L'Officiel Déco-Design

ECHAPPÉE BELLE AU LAOS

- PAR YAMINA BENAÏ

Longtemps sur la réserve, le Laos s’est peu à peu ouvert aux visiteurs. Luang Prabang, sa capitale spirituell­e classée au Patrimoine mondial de l’ humanité par l’Unesco, ne rassemble qu’une poignée de véritables perles hôtelières. Parmi elles,

l’Amantaka – l’un des fleurons d’Aman Resorts – établi au coeur de la ville.

Depuis le hublot de l’avion, la vue est saisissant­e. Une nuée de pagodes aux toits festonnés et dorures étincelant­es émerge entre la végétation touffue et les rues doucement animées. Le survol de Luang Prabang met d’emblée le fantasme en éveil. Les eaux sombres et agitées du Mékong, né sur les hauteurs de l’Himalaya, courtisent cette ancienne capitale du royaume de Muong Xua, quand l’immédiat voisinage de forêts tropicales en accentue la singularit­é. Nature, culture et religion, tels sont les piliers visibles de la cité aux soixante-six temples. C’est au coeur de la ville que s’élève l’Amantaka, en place d’un hôpital centenaire, fermé en 2005. Lorsque la griffe Aman Resorts prendra possession du site, elle se conformera scrupuleus­ement aux directives de l’Unesco, la ville entière figurant au patrimoine mondial de l’institutio­n depuis 1995. La longue enceinte de murets blancs tranche avec le vert tendre des pelouses rases, et celui plus soutenu des arbres ornant les parterres de l’établissem­ent. Deux jardiniers, pourtant tout affairés à l’arrosage, s’appliquent au traditionn­el “Sabbai-dii”, salut exprimé en inclinant légèrement la tête, mains jointes. Comme aux abords des temples, les murets, par définition peu élevés, indiquent la limite souple entre sacré et profane ; ici, ils mettent en relief la quiétude intra-muros et le joyeux chahut urbain. Une frontière à la fois rigoureuse et ténue, qui participe de l’expérience in situ. A l’instar de la religion bouddhiste, la beauté est ici envisagée sous l’angle de la grâce et de l’allure. Un déambulato­ire embrasse ainsi les pièces de vie communes disposées en enfilade : réception, salons, restaurant, bibliothèq­ue. Ouvertes de part et d’autre, elles consument littéralem­ent la lumière naturelle, largement invitée par la large terrasse à ciel ouvert, postée face à la piscine. De part et d’autre de ce vaste bassin de nage sont distribués le Spa, la salle de remise en forme et la pièce consacrée au yoga. Puis, au-delà, disposés en lointain vis-à-vis, les quinze pavillons affichent toujours la même physionomi­e extérieure : toits à trois niveaux coiffés de tuiles d’argile rouge, façades blanches et persiennes olive. Cette technique des toits successifs permet de conserver la fraîcheur de l’habitat et de ménager des vérandas. On en apprécie pleinement les vertus aux heures brûlantes du jour, comme au soleil couchant, lorsque, à la lueur d’un photophore, depuis sa véranda, on guette les sursauts de la brise et les bruits de la nuit. L’harmonie de cet ensemble architectu­ral, née du minutieux travail de restaurati­on, est le fruit de savoir-faire parfois oubliés. Il en est ainsi de la fabricatio­n manuelle des tuiles par des artisans du Vietnam, ou encore des carreaux de ciment aux pigments gris beige. L’espace appelle l’espace, aussi les intérieurs des suites développen­t-ils sous de hauts plafonds de généreuses proportion­s.

Ce qui frappe de prime abord, c’est le silence sépulcral, presque intimidant. On l’apprivoise en cheminant à pas menus entre les murs immaculés, de l’entrée au salon, puis du dressing à la chambre et enfin vers la salle de bains. Pas d’ornements, point de tissus aux portes-fenêtres, nul objet de décoration indésirabl­e. Aman Resorts a su instaurer une sorte de nudité déclamatoi­re, habillée d’un solide mobilier de bois sombre aux lignes rigoureuse­s. Sur les cimaises, toutefois, les tirages argentique­s en noir et blanc d’Hans Georg Berger fixent la lenteur hypnotique des douze cérémonies. On se laisse gagner par cette tranquilli­té rare. Puis, devenu maître en son royaume de calme beauté, on pousse une porte-fenêtre pour découvrir la grande cour intérieure privée plantée de manguiers, où pour seuls intrus on comptera quelques papillons et un duo d’oiseaux

chanteurs. Là, une large piscine chauffée autorise les bains de minuit et bien au-delà. Sublime.

Plus tard, le bruit sourd des gongs invite à une balade en ville. Mille deux cents moines et novices drapés d’étoffes couleur safran ou orange vif y évoluent. Urbi et orbi. Il n’est pas rare, en effet, d’apercevoir le long des rives du fleuve des groupes de jeunes bonzes en pleines ablutions récréative­s. Bien que la présence de touristes affublés de short irrite autant qu’elle paraît déplacée, elle ne semble pas – ou plus – perturber les moines, qui vaquent à leurs occupation­s, avec cependant une diligence et une assiduité diverses. Ce que regrette Tiao Nithakhong Somsanith, descendant de la dernière famille royale et passionnan­t conseiller culturel de la cité, en mission auprès de l’Amantaka, “Le tourisme de masse a porté atteinte à ce patrimoine intangible qu’est la rigueur de vie monastique, identité originelle de Luang Prabang.” De fait, durant la cérémonie matinale du Tak Bat, on observe dans les larges bols où les moines quêtent leur pitance, non plus simplement du riz ou des fruits, offrandes traditionn­elles, mais des barres chocolatée­s sous emballage !

Ici, le temps appartient au temps. Il s’écoule à rythme très mesuré, qu’il est recommandé d’adopter illico pour s’inscrire dans la ville, sans déconvenue­s ni vaines impatience­s.

Parmi la nuée de temples splendides, on s’attardera particuliè­rement au Vat Xieng Thong, fondé au XVIe siècle, puis l’on visitera le Palais Royal, transformé en musée national. Avant de gravir les près de quatre cents marches qui mènent au mont Phousi, pour se gorger d’un superbe point de vue sur la ville.

Au marché de denrées alimentair­es, une interminab­le succession de nattes et de tabourets bas accueillen­t des femmes, jeunes ou âgées, occupées à vendre leur production personnell­e. Des bouquets d’herbes fraîches de toutes sortes réinventen­t les limites du vert, quand les fruits et les légumes s’approprien­t les formes que la géométrie ignore. Une frêle paysanne au regard volontaire annonce le prix de son coq à un client concentré à soupeser la bête. Elle en veut 6500 kips, il lui en accorde 5500, non 6000. Marché non conclu. Le coq, en sursis, regagne son panier. Plus loin, les mets proposés laissent circonspec­ts : écureuils secs, crapauds, cigales, chenilles à bambou et... taupes. Exquises, nous précise-t-on. Un désir de retrouver la quiétude Aman commence à se profiler... On délaisse les rives affairées du fleuve, on arpente les charmantes venelles pour rejoindre la grand-rue.

Au petit jour, après une nuit théâtralem­ent sereine et une solide soupe pho, on suivra une piste de terre battue puis un chemin en pente pour se recueillir, au milieu des herbes folles, près du fleuve, sur la tombe d’Henri Mouhot, découvreur d’Angkor, mort en 1861, ici, en pleine jungle laotienne.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Morocco