AU REVOIR CINI BOERI
Fonctionnalité et espièglerie, minimalisme sobre et attitude “pop” distinctive : l ’architecte et designer milanaise, qui s’est éteinte à 96 ans, faisait incontestablement partie des maestri du design italien. Portrait de l ’une de ces rares voix et esprits féminins qui ont redéfini l ’architecture et le design de l ’Italie d ’après-guerre.
C’est précisément le jour de la remise du fameux Compasso d’Oro, prestigieux prix qu’elle avait elle-même gagné à deux reprises, que Cini Boeri a tiré sa révérence de la scène design, le 9 septembre dernier. Architecte et pionnière du design, célèbre dans le monde entier pour son talent à allier créativité et fonctionnalité, elle avait collaboré tout au long de sa carrière avec certains des plus grands noms du design italien, notamment la marque d’éclairage Artemide et les éditeurs de mobilier Knoll, Magis et Arf lex. Des objets et des architectures pop jamais ennuyeux ou présomptueux et à la fois extrêmement élégants, mélange presque impossible qu’elle seule avait l ’art de créer.
Née Maria Cristina Mariani Dameno en 1924, Cini Boeri grandit à Milan au coeur d’une famille antifasciste. Diplômée en architecture à l’École polytechnique de Milan en 1951, elle effectue un bref stage chez l ’architecte italien Gio Ponti puis collabore pendant de nombreuses années avec le designer Marco Zanuso avant de fonder, au début des années 60, son propre studio : Cini Boeri Architetti. Travaillant à la fois sur des projets résidentiels et commerciaux ainsi que sur le développement de dessins industriels pour des entreprises de premier plan, elle s’affirme en tant qu’architecte et designer dans les années où il est particulièrement difficile pour les femmes de parvenir à se distinguer dans le panorama de l ’architecture et du design italien et international.
Dans les années 1960, elle a déjà achevé plusieurs maisons de vacances en Sardaigne, dont la brutaliste Casa Bunker au sommet d’une falaise et la Villa Rotonda en forme d’escargot, conçus pour créer un dialogue avec le paysage environnant. De même, la Casa nel bosco de 1969, située dans une forêt de bouleaux en Lombardie, offrait une architecture fragmentée articulée pour éviter d’avoir à abattre les grands arbres env ironna nts. El le signera ensuite d ’autres projets, en Italie et à l’étranger, dans différents domaines de l ’architecture : de la Casa La Sbandata à La Maddalena (2004) à l’Appartement sur trois niveaux à Milan (2006) en passant par des aménagements de musée, des bureaux ou encore de magasins. Tous fidèles à un concept essentiel de son architecture : concevoir en respectant la dimension et les besoins des personnes, fruit d ’une grande attention à l’étude de la fonctionnalité de l’espace et aux rapports psychologiques entre l’homme et l’environnement.
Dans le domaine du design industriel, ses objets sont aujourd ’ hui présents dans des musées et expositions internationales. Tout au long de sa carrière, Cini Boeri a fréquemment collaboré avec Arf lex, la marque de meubles pour laquelle elle a créé certains de ses designs les plus connus, notamment le canapé “Bobo” en mousse monobloc (1967), puis ses différentes déclinaisons – “Bobolungo”, “Boboletto” et “Boborelax” –, et le canapé infini “Serpentone” (1971). Un canapé décalé fabriqué à partir de panneaux verticaux en mousse de polyuréthane attachés ensemble comme un accordéon, conçu pour être acheté au mètre et s’adapter à n’importe quel espace. Un an plus tard, cette idée a évolué vers le système de sièges modulaires “Strips”, dans lequel des briques en mousse surdimensionnées sont empilées comme des tuiles de Tetris pour former des configurations spatiales variables. Ce projet qui lui vaudra le prix du design industriel Compasso d’Oro fait aujourd’hui partie de la collection permanente de la Triennale de Milan. Sa collaboration avec Arf lex se poursuivra avec le fauteuil “Botolo”, disponible en deux hauteurs, la table “Talete” (1976) ou encore la bibliothèque tournante “Double face” (1980). Elle 1987, elle collabore aussi pour Fiam Italia avec la chaise “Ghost” (1987) qui ramène à l’époque l’innovation de pointe à une simplicité exquise : le siège est constitué d ’une seule feuille de verre de 12 mm d’épaisseur, pliée à l’extrême pour garantir à la fois stabilité et confort tandis que la série de tables “Lunaro” (1970) conçue pour Gavina fait écho aux ondulations de l’eau ou de la lumière, éléments essentiels à l ’existence humaine.
Une grande partie de son travail de mobilier modulaire toujours en production aujourd’hui, témoigne de la nature intemporelle de ses créations et de son intérêt durable pour la fonctionnalité. Des projets nés pour améliorer la vie des clients et des utilisateurs, des objets à “utiliser” et non à “posséder” car il s’agissait d ’outils qui amélioraient la qualité de la vie quotidienne : “J’aimerais que mon projet offre le meilleur de ce que mon client souhaite”, aimait-elle à dire. En 2012, Cini Boeri confiait au site de notre confrère italien Domus : “Parler de joie n’est pas si facile, mais je recherche généralement la joie avec optimisme. J’aimerais aussi la communiquer aux autres. La joie est inhérente à l’acte de concevoir, de proposer quelque chose de nouveau et de le créer avec responsabilité et passion”. Une belle façon d’aider les autres à vivre mieux.