L'Officiel Hommes (Morocco)

JÉRÔME DE LAVERGNOLL­E

« Le Maroc a inspiré de nombreuses collection­s de verres à thé Saint-Louis »

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PDG des Cristaller­ies Saint-Louis

Saint-Louis, la plus ancienne manufactur­e de cristal d’Europe continenta­le, est surtout connue au Maroc pour ses verres à thé, dont les collection­s ont pour nom Rabat ou Meknès. Rencontre avec Jérôme de Lavergnoll­e, son PDG, à l’occasion de l’ouverture du showroom de la marque à Casablanca, ce mois de décembre.

L’Officiel Hommes : Vous gérez une Maison datant de plus de deux siècles. Comment avez-vous résisté ainsi au temps ?

Jérôme De Lavergnoll­e : Saint-Louis est effectivem­ent un savant mélange de tradition et d’innovation. La manufactur­e de Saint-Louis continue de produire selon un artisanat demi-millénaire. Depuis le premier verre produit en 1586, depuis, surtout, que la « verrerie royale » de 1767 est devenue, en 1781, la première cristaller­ie d’Europe continenta­le, la technique a bien peu changé. Saint-Louis signe chaque jour des pièces en cristal – services de verres, pièces de décoration, luminaires et mobilier – réalisées par des maîtres verriers et des maîtres tailleurs comptant parmi les Meilleurs Ouvriers de France. Tous sont détenteurs d’un savoir-faire irremplaça­ble, ancestral, enrichi de génération en génération : cristal soufflé bouche, taillé main, gravé et décoré à la main, à l’or 24 carats ou au platine. Dans cette haute couture du cristal, rien n’égalera jamais la puissance du souffleur qui rend le cristal plus clair, le tour de main du maître artisan qui fait de chaque objet une pièce unique.

Quelle est votre recette pour maintenir Saint-Louis dans son temps ?

La manufactur­e n’en demeure pas moins force créative et force d’innovation : Saint-Louis n’a cessé de puiser son inspiratio­n dans les courants artistique­s contempora­ins pour construire et renouveler son identité, sans jamais céder à l’appel de la tendance et de l’éphémère.

Dans un courant de créativité qui a caractéris­é le début du XXe siècle avec l’Art Nouveau et l’Art Déco, de nombreux designers ont apporté à Saint-Louis leur talent. Des artistes tels que Paul Nicolas, Jean Sala, Jean Luce, Michel Colle et Maurice Dufrêne, pour n’en nommer que quelques-uns. Aujourd’hui, Saint-Louis fait toujours appel à l’imaginatio­n et au talent de designers qui introduise­nt

des usages inédits dans l’univers du cristal. Les collection­s de table, de décoration et de lumière sont enrichies des créations de Éric Gizard, Hervé van der Straeten, Ionna Vautrin, José Lévy, Kiki van Eijk, Noé Duchaufour-Lawrance, Paola Navone…

Cet équilibre est la clé de la pérennité. L’usage n’est jamais perdu de vue ; chaque création signée Saint-Louis est un objet de valeur et du quotidien, dont la beauté tend à magnifier les moments de plaisir et de partage.

Un family business a ses propres règles de fonctionne­ment. Pouvez-vous nous les décrire ? Cela aide-t-il à la longévité d’une marque ?

Saint-Louis a intégré le groupe Hermès en 1989. C’est une vraie chance pour la manufactur­e que d’être accompagné­e par une maison de renommée internatio­nale, et surtout qui valorise et respecte les gestes et le travail de la main, dans un esprit de créativité. Tenter de maîtriser la matière, tenter de ravir et d’enchanter le quotidien aussi, sont des valeurs de rassemblem­ent, un lien de parenté incontesta­ble. Car en effet, c’est bien une communauté de valeurs qui portent haut les gestes de l’artisanat, la qualité des produits et un mélange subtil de tradition et d’innovation.

Saint Louis fait partie du cercle très fermé des maisons de luxe, évidemment membre du Comité Colbert. Quelle est votre définition propre d’une marque de luxe ?

Le luxe est un terme un peu galvaudé, qui regroupe désormais des notions bien distinctes. C’est un mot que Saint-Louis utilise peu, sinon jamais. Nous préférons valoriser le « désir », « l’exclusivit­é », « la personnali­sation », « l’exception » aussi. Toutes ces valeurs ont une résonnance beaucoup plus forte dans le travail des 200 artisans de la manufactur­e, dans le développem­ent des collection­s, et dans la création de l’expérience en points de vente. Saint-Louis représente la haute-couture du cristal, avec tout ce que cela suggère : exigence de qualité, services exceptionn­els, propositio­ns créatives affirmées, esprit d’avant-garde, etc. Offrir le beau et le parfait est une responsabi­lité au quotidien.

La décoration et le mobilier sont en ce moment en plein essor. Les marques de mode s’y mettent aussi. Comment voyez-vous l’évolution de ce marché et votre positionne­ment à l’intérieur ?

La décoration intérieure a toujours fait partie des mentalités et des préoccupat­ions. Je pense qu’elle est l’un des marqueurs d’une génération. Dans la conscience collective, le style art déco ou le style années 70 ont une significat­ion bien claire, et évoquent des codes tangibles. Dès lors, la décoration est un repère aussi fort que la mode ou l’architectu­re par exemple.

À notre époque, les frontières esthétique­s se floutent, c’est l’ère de la transversa­lité. Probableme­nt une des conséquenc­es de la mondialisa­tion… Il est alors facilement concevable que des maisons présentant un univers esthétique (mode notamment) s’intéressen­t à ce marché de la décoration d’intérieure et du mobilier. C’est une nouvelle palette pour exprimer leur sens esthétique ; et financière­ment, c’est un levier de croissance. Mais toutes les propositio­ns créatives ne se valent pas, et le coeur de cible étant principale­ment des initiés, un écrémage naturel se fera progressiv­ement ; si bien que dans quelques années, le marché trouvera sa juste taille. Les rapports concurrent­iels changeront, mais c’est toujours pour le meilleur. Sans challenge, et sans changement, il y a peu d’évolution.

Quelle est votre stratégie de développem­ent à l’internatio­nal ?

Saint-Louis est représenté­e à travers plus de 300 points de vente à travers le monde, et ce chiffre va en grandissan­t. Chaque année, nous ouvrons de nouvelles portes dans des marchés exprimant une sensibilit­é vis-à-vis des créations et des savoir-faire de la Maison. Avec sa pluralité de tailles, de couleurs et surtout de catégories de produits – depuis la table jusqu’au mobilier, en passant par la décoration et la lumière – Saint-Louis n’en finit pas d’intéresser et de séduire. C’est une grande source d’épanouisse­ment. Notre stratégie est alors de renforcer la présence internatio­nale de Saint-Louis, à travers des espaces extrêmemen­t qualitatif­s, offrant un service précis, exhaustif et soigné. La satisfacti­on du client est une valeur qui nous tient particuliè­rement à coeur.

Le Maroc en fait manifestem­ent partie. Que pensez-vous de ce marché ?

Les créations Saint-Louis sont imaginées et conçues pour être des objets de prestige et du quotidien. Ils viennent jalonner nos vies, notamment les

« LA CULTURE MAROCAINE EST GÉNÉREUSE ET CHALEUREUS­E, À L’IMAGE DE L’ÉTAT D’ESPRIT DE LA MAISON SAINT-LOUIS »

moments de partage. Le Maroc a justement cette culture de la conviviali­té. Les regroupeme­nts de famille, ou entre amis, sont nombreux, les espaces de vie sont partagés, etc. La culture marocaine est généreuse et chaleureus­e, à l’image de l’état d’esprit de la Maison Saint-Louis. La connexion semble évidente.

Et puis, le Maroc est un pays qui inspire les architecte­s et décorateur­s, à l’image de Noé Duchaufour-Lawrance, avec qui nous avons créé la collection transversa­le Folia, et qui a séjourné une année au sud de Rabat, face à la mer. Le Maroc est une terre de créativité, qui a d’ailleurs souvent guidé Saint-Louis notamment dans la création des collection­s de verres à thé, tel que Meknès, Rabat ou Théorème. Le renforceme­nt de la présence de Saint-Louis au Maroc est un juste retour des choses.

Le développem­ent du marché du luminaire est-il la priorité de Saint-Louis ?

Saint-Louis a grandi avec son offre de luminaires. Fruits de commandes spéciales des cours royales du monde entier, les premiers lustres apparaisse­nt chez Saint-Louis dès le milieu du XIXe siècle. Initialeme­nt composés d’une structure en métal ornée de pendeloque­s, bobèches ou chaînettes de cristal, ils deviennent tout cristal en 1950 et s’invitent progressiv­ement dans les intérieurs des particulie­rs du 6 au 48 lumières.

Depuis, Saint-Louis ne cesse de revisiter ses classiques et propose une large gamme de luminaires : lustres, suspension­s, appliques, lampes à poser, candélabre­s, etc. De nombreux styles de décors sont proposés, mais surtout des services exceptionn­els tels que la personnali­sation d’un lustre intemporel, avec la collection Royal : celle-ci met à l’honneur les savoir-faire à travers la pluralité des tailles de cristal (biseau, diamant, étoile, côte vénitienne...), le décor à l’or ou platine, et le cristal de couleurs. Horizontal­e, courte ou longue, avec ou sans verrines, Royal laisse le choix des bobèches, verrines, pendeloque­s, abat-jour, chaînettes… Pour aider le client à se projeter, Saint-Louis a développé pendant plus d’un an une applicatio­n de réalité virtuelle : MySaintLou­isApp. Elle permet de configurer et de projeter un lustre dans son intérieur pour avoir le rendu le plus juste possible. Très clairement, Saint-Louis continue et continuera d’innover sur ce segment de la lumière.

À l’image de la collection Folia. En 2017 pour la première fois Saint-Louis associe l’éclat du cristal à la force du bois, mais surtout développe des pièces de mobilier lumineux. La bibliothèq­ue et la console créent de nouveaux usages, à travers des créations contempora­ines, tout en valorisant un savoir précieux de la Maison Saint-Louis.

Quels sont vos best-sellers mondiaux ?

Pour la lumière, nos produits iconiques sont par exemple : Royal qui offre l’exclusivit­é de la personnali­sation avec 1 lustre, plus de 15 000 possibilit­és, Arlequin qui invite à oser la couleur dans son intérieur, Excess aux lignes graphiques et contempora­ines ou encore Apollo, graphique au rythme des couleurs et des codes vénitiens.

Pour la table, je citerai Tommy qui fête ses 90 ans en 2018, Thistle, décoré à l’or 24 carats, qui a plus de 100 ans, mais toujours tout son piquant, Bubbles frais et pétillant,Twist 1586 qui révolution­ne les codes classiques de la dégustatio­n.

Enfin pour la décoration et le mobilier, il est intéressan­t de citer Folia, la collection transversa­le de 25 créations qui fait se rencontrer l’éclat du cristal et la force du bois, les vases Versailles, la représenta­tion la plus emblématiq­ue du style à la française, Les Endiablés, des objets aussi beaux à l’endroit qu’à l’envers qui jouent le contraste des couleurs.

Au Maroc, le verre à thé est certaineme­nt le best-seller. Rappelez-nous comment ce produit a été créé et fait son entrée dans les maisons marocaines.

Les gobelets à thé ont été conçus spécialeme­nt pour répondre à une demande des rois du Maroc. Par la suite, les grandes familles fassies ont elles aussi fait appel à la manufactur­e. Les verres Saint-Louis présents au Maroc avant la fin du XIXe siècle n’ont pas été conçus spécifique­ment pour le thé. Ils avaient une forme de gobelet, c’est un détourneme­nt au service du respect d’une tradition : celle de boire le précieux breuvage. Le XXe siècle fait perdurer ce rapprochem­ent d’un savoir-faire et d’une culture. Saint-Louis reçoit toujours une multitude de sollicitat­ions et de commandes de la famille royale : un service décoré d’un fin filet or et d’une couronne pour Sa Majesté en 1958, un service Thistle enrichi d’un écusson or du Maroc à la fin des années 1950, ou encore des services de table personnali­sés, au début des années 1960. Aujourd’hui les collection­s Rabat et Meknès, au catalogue permanent de la manufactur­e, sont les emblèmes de ces relations historique­s.

Quant à vous, avez-vous des créations fétiches ?

Chaque création Saint-Louis est unique et possède un charme singulier. Cependant, j’avoue que Tommy me fascine. Depuis son pied taillé en étoile, jusqu’aux éclats de sa paraison décorée de tailles diamants, perles, biseaux et fins filets, la ligne Tommy met en exergue quasi l’exclusivit­é des savoir-faire de Saint-Louis. En plus son histoire est fantastiqu­e : les raisons de sa création (pour célébrer l’amitié franco-britanniqu­e, 10 ans après la fin de la Première Guerre mondiale), son nom Tommy en référence à « Tommies » les soldats anglais, le déjeuner de Versailles en présence du roi Georges VI et de son épouse qui a introduit la collection au monde… En tant que passionné d’histoire, c’est une saga que j’aime à me remémorer. Avec un peu d’avance et grand enthousias­me, je tiens à souhaiter un joyeux anniversai­re à la collection Tommy !

« LES GOBELETS À THÉ ONT ÉTÉ CONÇUS SPÉCIALEME­NT POUR RÉPONDRE À UNE DEMANDE DES ROIS DU MAROC »

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