L’île flottante
Emblématique de l’art culinaire français, ce dessert au parfum dominical et d’ennui poli, mais délivrant nos premières leçons des plaisirs de la table, revient en force.
Le come-back
On l’a connue en majesté chez le grand Paul Bocuse, plus modeste dans un routier posé sur le chemin de Bordeaux, et recroisée, customisée comme une paire de sneakers portée par les nouvelles vagues de post-néo-rétro-bistrots, l’île flottante est de retour sur toutes les cartes, repérables sur tous les GPS de la scène gourmande.
Quel nom délicat, un peu antinomique aussi : a-t- on jamais entendu parler d’une île volante ? Il dit cependant tout de son équilibre si fragile entre l’onctueux, la sucrosité, ce goût roudoudou entre coton bonbon et marshmallow liquéfié. Elle flotte entre deux états, liquide et solide. Ratée, cette île prend des allures de naufrage écoeurant ; réussie, elle donne des envies d’y planter sa tente. Généalogie
Imaginée en 1903 sous cette dénomination par Auguste Escoffier, elle a connu une évolution assez salutaire : initialement composée de tranches de génoise, de biscuits de Savoie ou de brioche, imbibées de liqueur, entre lesquelles de la marmelade faisait office de liant, elles étaient enfin nappées de crème anglaise et décorées d’amandes et de raisins secs. Oui, cette inclination à l’empilage baroque laisse assez songeur (et la description épique du gâteau de mariage d’Emma Bovary qu’en donne Flaubert paraît soudain assez plausible). Point d’oeuf, donc, mais de quoi embouteiller les artères. Cette recette nous parle d’un temps d’avant l’injonction au manger-bouger.
On la connaît aujourd’hui sous la forme veloutée de blancs d’oeufs montés fermement en neige (au fouet manuel, s’il vous plaît), puis moulés dans un dôme chemisé de sucre (pour caraméliser l’ensemble) et cuits au bain-marie au four. Nappée de crème anglaise et de caramel, l’île dérivera ainsi paisiblement loin des rivages des bonnes résolutions.
Sur mesure
Gourmandise modulable selon les caprices et les saisons, Michel Guérard l’électrise de zestes de citron vert, mangue et gingembre (comme la recette de son livre majeur de 2012, Minceur essentielle), Christophe Michalak lui offre une brillante coque de pralins, le Café Ineko joue les contrastes jouissifs en lui offrant des fruits secs, tandis que la Coupole fraîchement sortie des eaux poussiéreuses où elle s’endormait la propose caressée d’un suave caramel. Jean-François Piège, lui, l’escorte de pralines roses…