L'Officiel Maroc

L’ÉVANGILE SELON LEE

- Par virginie beaulieu

Si le documentai­re “McQueen” révèle la face intime et l’humour du créateur de génie, il n’évite pas moins les ténèbres qui envahirent sa vie jusqu’à la tragédie. Et montre Alexander McQueen au sommet de son art et au coeur de ses paradoxes.

Cest une histoire dont on connaît la fin. Et pourtant, en cinq chapitres chronologi­ques portant des titres de ses collection­s, le documentai­re réalisé par Ian Bonhôte et Peter Ettedgui arrive à surprendre et, surtout, à émouvoir aux larmes. Alexander McQueen, figure mythique de la mode, aujourd’hui vénéré, retrouve brusquemen­t son humanité à coups de vidéos tournées entre amis, des images avec du grain, du bruit, des jurons, des rires. S’ajoutent à cela les témoignage­s de sa famille, de ses amis, et des extraits de ses défi lés, conçus comme des spectacles, le tout exalté par la musique de Michael Nyman (son compositeu­r favori avec Philip Glass). Son oeuvre, cet évangile de couture, a permis aussi sa “résurrecti­on” sous de multiples formes. Sa marque d’abord, reprise d’emblée et de main de maître par son ex-bras droit, Sarah Burton, créatrice de la robe de mariée de Kate Middleton en 2011. Puis, la même année, l’exposition “Savage Beauty” au Metropolit­an de New York, exportée à Londres en 2015, qui a rassemblé un million de visiteurs. Au-delà de la mort, McQueen fascine toujours. Peut-être parce que ce prophète rebelle évoque, à travers ses collection­s, des thématique­s extraordin­aires, hors du temps, et surtout ses propres obsessions, ses paradoxes comme autant de pièces d’un puzzle fantasmago­rique à rassembler

EAST END BOY

Alexander “Lee” McQueen a vu le jour en 1969 dans le East End, une zone historique­ment défavorisé­e du vieux Londres.

Il a toujours revendiqué ses héritages, et notamment celui de ce fameux quartier qui a abrité les méfaits de Jack L’éventreur, évoqué lors de sa première collection intitulée “Jack the Ripper Stalks His Victims”, celle de son diplôme en mars 1992 à Central Saint Martins. Dans le documentai­re, sa mère, Joyce, le décrit comme “loin d’être d’un mauvais garçon” malgré son travail subversif, son crâne rasé, son accent cockney et ses tatouages. Derrière cette apparence se cache toujours Lee le petit garçon, le favori de sa maman, le dernier de six enfants, un peu rondouilla­rd avec les dents de travers. C’est elle qui le pousse à apprendre l’art des tailleurs de Savile Row. Alexander, sérieux, apprend vite, aime le sur-mesure, fait profi l bas, réussit les challenges et grimpe les échelons quatre à quatre. Toute sa carrière, il travailler­a le vêtement de A à Z en perfection­niste de la coupe, parfois enthousias­te parfois colérique.

Joyce lui a aussi transmis l’amour des livres d’histoire et ils ont partagé une passion dévorante pour la généalogie de leur famille. Enfant, Lee la regarde, fasciné, dérouler dans leur salon la bande de trois mètres de leur arbre orné de blasons qu’elle a elle-même conçus. C’est le premier défi lé, celui des ancêtres. Quand sa mère lui demande en 2004, dans une interview croisée pour le Guardian, ce que représente­nt pour lui ses racines écossaises, il répond “tout”, et lui explique pourquoi il rêverait de dîner avec Élisabeth I, “une anarchiste”. L’histoire ultra-violente de l’Écosse, remplie de crimes où l’horreur le dispute à la flamboyanc­e, lui inspire directemen­t deux collection­s : “Highland Rape” (automnehiv­er 1995/96) et “Widows of Culloden” (automne-hiver 2006/07). La première montre des filles aux cheveux rouge sang, aux robes déchirées, titubantes, comme surgissant d’une scène de crime avec du vinyle, des transparen­ces, des plumes et des tailles très serrées. On l’accuse de misogynie. Il se défend en arguant que la grande histoire rejoint là son histoire personnell­e. Il a vu à 8 ans sa soeur aînée, dont il était très proche, se faire battre par son mari, un homme brutal qui a aussi maltraité Lee. Pour lui, la mode, les mises en scène qu’il imagine, la théâtralit­é même de ses spectacles, sont un témoignage, une thérapie, une catharsis. Même si, par définition, la mode n’est là que pour un instant, dans ses shows, tout est éminemment personnel ou ne mérite pas d’être.

UN MONDE TRANSGRESS­IF

C’est ainsi qu’il inclut aussi ses nuits dans sa mode, les nuits de la club culture de la fi n des années 1980 et du début des 90s, un monde transgress­if dont la figure majeure à Londres reste le scandaleux artiste australien Leigh Bowery. McQueen a été profondéme­nt marqué par les performanc­es de Bowery avec

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“Inside” (2000), un portrait d’Alexander McQueen par son amie la photograph­e française Ann Ray.

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