EMPLACEMENT RÉSERVÉ À KARL LAGERFELD
Disparu le 19 février dernier, le Kaiser de la mode accède instantanément au statut d’immortel. C’est à travers sa discipline de fer, sa force de travail colossale et sa soif inassouvie de culture qu’il faut comprendre la stature de ce talent à nul autre
Rousteing et, bien sûr, les influenceurs, dont le marché est évalué à un milliard de dollars, selon une étude de l’agence marketing Mediakix.
Dans ce cercle très fermé, Derek Blasberg est roi. L’auteur et journaliste de mode américain a récemment rejoint YouTube en tant que Fashion and Beauty director, un choix hautement stratégique pour booster le volume et la qualité des contenus mode de la plate-forme. Avec un C.V. qui compte le Wall Street Journal, CNN Style, Vanity Fair ou Harper’s Bazaar et des amitiés avec les plus grands noms de l’industrie ( Bella Hadid, Karlie Kloss, Diane von Fürstenberg…), il est l’une des figures les plus connectées – dans tous les sens du terme – du milieu de la mode. Un réseau qu’il a commencé à construire il y a plus de quinze ans, depuis son dortoir universitaire new-yorkais, et qu’il a peaufi né en produisant des vidéos montrant les coulisses des défi lés et en assistant à chacune des soirées organisées par les gens les plus influents du milieu. Quitte à n’y passer que quelques minutes. L’important est de se montrer aimable, disponible ou, comme il le confiait récemment au site Business of Fashion : “Content d’être là, et facile au travail.” Un motto qui l’a hissé jusque dans les bureaux de YouTube où “le Truman Capote de sa génération” (citation du New York Times qu’il reprend sur son site) occupe désormais l’un des postes les plus influents du métier.
Bien sûr, conseiller les plus grandes marques sur les bonnes stratégies à adopter sur les réseaux sociaux nécessite d’en maîtriser soi-même tous les codes, et de savoir jouer avec sa propre image, au moins aussi bien que ses clients. Si l’on en croit son Instagram, Derek Blasberg est partout, absolument partout. À Los Angeles avec Miley Cyrus ou Katie Perry, à Paris avec Zendaya, à Londres avec David et Victoria Beckham, qui vient d’ailleurs de lancer sa chaîne YouTube.
L’ART DU STORYTELLING
“Instagram est devenu comme une école mondiale de la mode”, assure Eva Chen. Cette New-Yorkaise de 39 ans sait de quoi elle parle, elle est responsable des
Lucky, Teen Vogue),
Insider
“La mode a longtemps eu cette mentalité de ‘Tu ne peux pas t’asseoir avec nous’. Aujourd’hui, tout le monde peut participer. Instagram a donné accès aux premiers rangs des défilés à tout le monde, permet de voir comment les stylistes travaillent ou comment les mannequins développent leur carrière.” C’est d’ailleurs le premier conseil qu’elle donne aux créateurs : montrer ce qui se passe backstage, envoyer des selfies, se montrer accessible plutôt que de cultiver une image trop figée. Et poster, poster, poster… “Il faut être actif, s’abonner, commenter, répondre aux messages privés. Les gens qui consomment de la mode sur Internet ouvrent Instagram 32,5 fois par jour, et 500 millions de personnes utilisent les ‘stories’ quotidiennement.” L’une de ses plus grandes réussites a été de développer des fi ltres personnalisés pour les marques, comme celui qui permettait récemment d’essayer une paire de lunettes Off-White à travers son téléphone. “Mon rôle est de répondre aux besoins et aux désirs des différentes communautés de la mode pour les connecter au monde. (…) Cela fait de moi une sorte de thérapeute d’Instagram.”
La mode ne s’est jamais montrée aussi stratégique pour apparaître plus authentique. Là est tout le paradoxe du digital, où l’on voit également naître les premiers lanceurs d’alerte du milieu, comme le mannequin Cameron Russell qui a publié des centaines de témoignages anonymes de professionnels de la mode victimes de harcèlement ou d’agressions sexuelles. Ou encore comme le fait le compte Instagram Diet Prada, qui dénonce les copies, l’appropriation culturelle et les marques qui s’inspirent un peu trop des collections de jeunes créateurs. Une façon autrement pertinente de capitaliser sur l’authenticité.
Si la mode est un miroir de la société, Karl Lagerfeld en a été le cadre le plus étincelant. S’adaptant à chaque époque et multipliant les styles durant sept décennies, il n’est pas l’homme d’une robe mais de centaines de styles. Des années 1950 à aujourd’hui, il aura habillé des millions de femmes, parfois même à leur insu car ses créations ont été réalisées pour d’autres griffes. Au- delà de l’homme de culture, du mondain souvent mordant, du photographe passionné et du créateur de mode virtuose, ce que l’histoire retiendra de cette force de la nature, c’est son sens du travail : “Je ne me vois pas comme une célébrité globale, déclarait-il à la série documentaire 7 Jours de Netfl ix, à l’occasion de son défi lé de haute couture printemps- été 2018, je suis juste de la classe des travailleurs.” Et puis, légèrement narquois : “Vous savez, travailler c’est classe !” Avant de redevenir sérieux : “J’ai le souci du travail.” Personne d’autre ne pouvait l’avoir pour lui… Car contrairement à la plupart des créatifs de sa trempe et de sa génération, Karl était seul et unique : “Ce que j’ai le plus souvent remarqué chez les légendes de mode, c’est qu’il faut être deux pour danser le tango : une force créative et un partenaire plus discret côté business, affi rme le journaliste et réalisateur américain Matt Tyrnauer. Pensez Valentino et Giancarlo Giammetti, Saint Laurent et Pierre Bergé. Karl était davantage un loup solitaire, un homme- orchestre capable de faire vivre sa légende, de nourrir le business et de maintenir un fl ot de créativité débordante pour des générations, en une seule action. Il était aussi l’un des plus spirituels et attachants sujets que j’ai jamais interviewés.”
D’UNE TENDANCE À L’AUTRE
Formé à l’École de la chambre syndicale de la couture parisienne au début des années 1950, Karl Lagerfeld n’aura pas eu la chance de son camarade de classe d’alors, Yves Mathieu-Saint-Laurent. Pas