L'Officiel Maroc

Lady Dark

Dans le documentai­re Billie, le voile se lève sur le parcours chaotique mais flamboyant d’une des plus grandes divas jazz du siècle, avec le blues en plein coeur.

- Par Delphine Valloire

Pour s’attaquer à la vie furieuseme­nt déglinguée de Billie Holiday, plus de soixante ans après sa mort, mieux valait avoir un as caché dans sa manche… Et c’est bien ce que le réalisateu­r James Erskine a trouvé sous la forme de 125 cassettes enregistré­es dans les années 70 par la journalist­e Linda Lipnack Kuehl qui, pour écrire une biographie ( jamais parue) de la chanteuse, a interviewé tous ceux qui l’ont côtoyée : ses amis d’enfance, ses compagnons de cellule, les maquereaux crapuleux de son adolescenc­e, son avocat, son psy, les policiers qui l’ont poursuivie et surtout les musiciens qui l’ont aimée, de Charles Mingus à Count Basie. La chanteuse Sylvia Syms introduit d’ailleurs parfaiteme­nt la légendaire “Lady Day” en ces termes : “Pour les gens du showbiz, c’était la patronne. Sans même se forcer, elle était la plus sensuelle des chanteuses. Je voyais le monde entier sur ce visage, toute la beauté et toute la misère du monde. Billie Holiday ne chantait que la vérité ; elle ne connaissai­t rien d’autre”. Cette vérité-là, une vérité qui fait mal, nous est livrée par bribes au travers de mots conservés sur bandes magnétique­s : celle d’une femme géniale dans son art, sentimenta­le, fière et forte mais aussi blessée, masochiste et trop “impulsive” pour son bien. Linda Lipnack Kuehl voulait dresser son portrait en évitant de la traiter comme une victime mais comme la superbe artiste qu’elle était. Une artiste qui a été exploitée toute sa vie : par ses macs quand elle était adolescent­e, par une industrie du disque gérée par des Blancs, et enfin par des boyfriends managers ou des maris violents et toxiques, des “salopards” abusifs. Billie Holiday s’est pourtant défendue comme une lionne, contre tous et pas seulement contre ce Sud ségrégatio­nniste ultra-violent, cet “enfer” selon le batteur Jo Jones, qu’elle a parcouru avec l’orchestre de Count Basie à 22 ans. Elle a affirmé sa bisexualit­é, ses désirs débordants, sa personnali­té, ses combats en chantant l’extraordin­aire Strange Fruit sur les lynchages au Cafe Society en 1939 devant un public imbu de ses privilèges. Après son année d’emprisonne­ment en 1947 pour usage de drogues, elle revient sur la scène du Carnegie Hall pour un show glorieux, sold- out. Billie n’avait pas peur de grand-chose, mais peut-être aurait-elle dû avoir un peu plus peur d’elle-même. Son corps a lâché devant ses excès de drogues, de pilules et d’alcool en 1959, à 44 ans seulement. Après sa mort, ses disques ont continué de remporter des prix, et à rapporter des millions de dollars ; les gardénias sont fanés depuis bien longtemps mais sa voix, unique, résonne, elle, encore très fort.

Billie, documentai­re de James Erskine, en salles le 30 septembre.

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