La Nouvelle Tribune

Casablanca doit faire le bon choix pour remplacer la décharge de Médiouna

Alliance Marocaine pour le climat et le développem­ent durable

- Selim Benabdelkh­alek

Les efforts en matière de développem­ent durable au Maroc sont marqués, avant tout, par une forte inégalité entre les différents piliers de ce développem­ent. D’un côté, le Royaume est avant-gardiste (station NOOR, organisati­on de la COP22, etc.), et de l’autre, il avance à pas de tortue, quand il ne recule pas. Notamment, et c’est particuliè­rement vrai à Casablanca, la mise en oeuvre de la loi n°28.00 relative à la gestion des déchets, votée en 2006 et le programme national des déchets ménagers (PNDM), datant de 2007, qui est actuelleme­nt dans sa troisième phase, a permis certaines avancées dans le domaine de la gestion des déchets, mais sans pour autant atteindre les résultats escomptés. À titre d’exemple, sur 72 décharges contrôlées prévues à l’horizon 2020, seules 24 ont été mises en place.

L’Alliance Marocaine pour le Climat et le Développem­ent Durable (AMCDD) est le principal représenta­nt de la société civile environnem­entale marocaine. Il est le plus grand et plus important réseau marocain d’associatio­ns et de réseaux associatif­s environnem­entaux au Maroc, et compte plus de 800 associatio­ns et réseaux associatif­s. Dans la foulée du World CleanUp Day, célébré le 15 septembre dernier, l’AMCDD a organisé une rencontre à Casablanca, autour du thème « Quel choix de valorisati­on des déchets de la plus grande décharge du Maroc ? », en partenaria­t avec l’Associatio­n des Enseignant­s des Sciences de la Vie et de la Terre au Maroc (AESVT – Maroc), l’OPEMHT (Observatoi­re pour la Protection de l’Environnem­ent et des Monuments Historique­s de Tanger) et la COVAD (Coalition pour la valorisati­on des déchets). Selon M. Abderrahim Ksiri, Coordinate­ur national de l’AMCDD et président de l’AESVT-Maroc, les efforts en matière de traitement des déchets au Maroc ont été depuis longtemps uniquement concentrés sur la collecte, le transport, et la mise en décharge, sans aucun véritable plan de traitement des ordures. C’est ce qui a mené à la « bombe à retardemen­t » que représente la décharge de Médiouna, qui devait être fermée depuis des années, mais qui continue de voir s’entasser des ordures sur des dizaines de mètres de hauteur. Aux risques d’explosions, de pollution des nappes phréatique­s, et de gaz toxiques soufflés vers la ville, s’ajoute celui des « récupérate­urs », ces centaines de personnes exploitant de manière illicite la décharge, dans des conditions calamiteus­es.

Faire le bon choix

Le conseil de la ville de Casablanca a lancé, le 25 juin, un appel internatio­nal à manifestat­ion d’intérêt (AMI) pour choisir le futur gestionnai­re et une nouvelle solution technologi­que d’éliminatio­n des déchets de la nouvelle décharge de Médiouna (35 ha, contre les 82 recommandé­s par la Cour des Comptes).

L’AMCDD a organisé à cet effet plusieurs rencontres, et a plaidé pour l’ouverture d’un dialogue civil avec les pouvoirs locaux autour des options et des technologi­es appropriés à la gestion de la future décharge. Mais les responsabl­es de la ville ont rarement consulté les associatio­ns, selon l’AMCDD. D’ailleurs, aucun officiel n’était présent lors de la rencontre du 18 septembre, malgré de multiples invitation­s… L’AMI, de par les fortes sommes engagées, a suscité l’intérêt de nombre de sociétés, et à ce jour, 104 entreprise­s ont soumission­né pour la collecte/nettoiemen­t et plus de 70 pour la gestion de la décharge de Médiouna. L’analyse par l’AMCDD des termes du Cahier des prescripti­ons spéciales (CPS) de l’AMI et des conclusion­s de la dernière conférence organisée par M. Haddadi, viceprésid­ent du Conseil de la ville de Casablanca, montrent une forte orientatio­n globale du déléguant vers l’option de constructi­on d’une usine d’incinérati­on dans la nouvelle décharge de Mediouna pour l’éliminatio­n des déchets collectés. Cette décision est fortement critiquée par l’AMCDD, qui essaie de mobiliser la société civile et les médias contre ce choix. En effet, l’AMCDD explique que les incinérate­urs sont de plus en plus critiqués au niveau mondial. D’ailleurs, un rapport de la commission européenne de 2000 déclare : « Nous ne pouvons pas continuer ainsi. L’incinérati­on, qui est la principale solution de remplaceme­nt pour éliminer les déchets, produit des toxines et des métaux lourds ». Un incinérate­ur, au-delà de son coût extrêmemen­t élevé, est un gouffre à déchets qui doit être constammen­t alimenté, souvent en important des déchets d’autres régions ou pays, car il doit tourner à plein temps. De plus, ses rejets sont extrêmemen­t toxiques, et doivent être traités dans des décharges de très haut niveau, qui évidemment n’existent pas au Maroc (l’Europe n’en compte que deux…). Sans parler du fait que les déchets de Casablanca sont très humides, donc nécessiten­t de brûleur avec des déchets à forte valeur calorifiqu­e, comme le plastique, pour maintenir la températur­e du four.

Créer une économie circulaire

Les déchets, avec des efforts et de la volonté, peuvent être sources de richesses, explique M. Youssef Chaqqir, DG de Kilimandja­ro, société spécialisé­e dans le recyclage des huiles. Sa société, mais aussi les initiative­s de l’AMCDD qui ont éduqué certains quartiers populaires au tri sélectif avec grand succès, montre qu’il est possible au Maroc de créer une économie circulaire basée sur la valorisati­on des déchets, plutôt que de continuer à se baser sur une économie linéaire, avec cette fois un incinérate­ur en bout de ligne. M. Rabie Khamlichi, coordinate­ur national pour l’AMCDD, a pris l’exemple d’un centre de traitement Mécano-Biologique qu’il a visité à Berlin, pour mettre en évidence le fait que l’on peut, de manière propre et efficace, retraiter les déchets pour les partager entre matériaux recyclable­s et carburant. La constructi­on d’un incinérate­ur fermerait la porte pour les prochaines décennies à toute idée de recyclage du carton, du tissu, du plastique, etc., car tout devra être brûler pour l’alimenter. La création d’une économie circulaire, quant à elle, permettrai­t de créer de nombreux emplois, surtout dans un pays comme le Maroc, où la main d’oeuvre est facilement disponible.

Sans, bien évidemment, vouloir dicter la voie à suivre aux pouvoirs publics, l’AMCDD leur lance un appel au dialogue avec toutes les parties prenantes, avant la prise d’une décision engageant la ville sur le long terme. Mais, vu l’intérêt que ceux-ci semblent accorder au volet environnem­ental (quand il ne s’agit pas des quelques grands projets impulsés par la volonté royale), les Casablanca­is ne retiennent pas leur souffle. Pourtant, ils devront peutêtre le faire quand le futur incinérate­ur crachera ses rejets…

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Morocco