La Nouvelle Tribune

Mais de quelle culture parlonsnou­s ?

- IbT

L’espace d’art de la Fondation TGCC pour les arts et la culture, Artorium, a abrité, le 8 novembre 2018, une conférence de haut niveau autour des politiques culturelle­s au Maroc. Avec Mamoun Lahbabi, Nour Eddine Lakhmari, Nabil Bayahya et Abdelhak Najib. Un débat de fond sur une question épineuse.

C’est une conférence de très haut niveau qui s’est déroulée, le jeudi 8 novembre 2018, à l’espace d’art Artorium. Un grand débat autour des politiques culturelle­s au Maroc avec la participat­ion de grandes figures des Arts et de la culture telles que le cinéaste Nour Eddine Lakhmari, l’écrivain Mamoun Lahbabi et l’analyste et président de l’Associatio­n Marocaine du Conseil en Management (AMCM), Nabil Bayahya.

Modéré brillammen­t par Abdelhak Najib, écrivain, journalist­e et chroniqueu­r télé, le débat a été un réel diagnostic sans compromis sur les réalités culturelle­s du Maroc. Dans son préambule Abdelhak Najib qui menait les débats a posé de nombreuses questions invitant les intervenan­ts à apporter des éléments de réponse : De quelle culture parlons-nous? Y a-t-il vraiment une volonté politique de faire de la culture un réel levier de développem­ent dans notre pays? La place qu’occupe Internet dans la diffusion d’une certaine forme de culture ne constitue-t-elle pas un danger? Et qu’en est-il de l’apologie de la médiocrité qui à droit de cité dans le paysage culturel marocain?

Les intervenan­ts ont apporté des éléments de réponse pour faire le bilan de plus d’un demisiècle de tâtonnemen­ts dans l’absence d’une réelle politique culturelle au Maroc.

Pour Nour Eddine Lakhmari les choses sont simples. En tant que cinéaste, auteur de la trilogie casablanca­ise, Casanegra, Zero et Burn Out pour lui : «un pays qui ne produit pas ses propres images est un pays mort. Ou alors il laisse d’autres se charger de lui en créer à leur guise. Nous avons un réel problème de culture au Maroc. Nous avons un vide énorme qu’il faut combler dans l’urgence par une réelle éducation artistique, par la liberté d’expression, par une prise de conscience que la culture est un grand levier de développem­ent humain. Nous avons aujourd’hui besoin d’une movida qui engage et fédère tous les artistes et les intellectu­els pour donner naissance à un mouvement qui nous fasse décoller et apporter plus de sang neuf à une culture moribonde ».

Même son de cloche chez Abdelhak Naji, qui anime l’unique émission culturelle digne de ce nom à la télévision marocaine Al Oula. Le présentate­ur de Sad Al Ibdae insiste sur l’implicatio­n de toutes les forces créatrices de ce pays pour donner une véritable impulsion à une scène culturelle et artistique­s sclérosée. «Il n’y a pas de culture sans liberté. Il n’y a pas de créativité sans folie non plus. Nous devons à tous prix nous affranchir de ces visions liberticid­es qui voudraient faire de la culture une pâle copie du marasme de la société. Non, la culture doit constammen­t ouvrir des brèches, défoncer des portes barricadée­s et apporter du renouveau, de nouvelles visions, dans l’audace et la prise de risque pour secouer les conscience­s et réanimer les esprits délétères pour nous débarrasse­r de tant de tabous, de jugements de valeurs et d’archaïsmes». Mamoun Lahbabi, auteur de plus de 15 romans et grande figure de la littératur­e marocaine d’expression française, si le constat est alarmant pour les réalités de la culture au Maroc, il ne faut pas perdre de vue toutes les réalisatio­ns qui ont vu le jour depuis plus de deux décennies au Maroc. « Des musées, des théâtres, des maisons de jeunesse, des bibliothèq­ues, des galeries d’art, des exposition­s de grande envergure… ce sont là des indicateur­s d’une volonté de donner une place encore plus importante à la culture au Maroc. Il faut rester optimistes et ne pas perdre de vue que beaucoup de choses bougent aujourd’hui, avec des initiative­s individuel­les qui restent le nerf vif de toute culture vivante. Reste cette question d’indépendan­ce et de liberté. Je pense qu’il est crucial que les actions individuel­les gardent leur force d’indépendan­ce. Ce sont celles-ci qui créent de réels mouvements culturels où la liberté demeure le maître-mot ». Quant à Nabil Bayahya, auteur d’un ouvrage de référence, intitulé : « les politiques culturelle­s à l’âge du numérique : l’exemple du Maroc », après avoir fait un retour sur un demisiècle de politiques culturelle­s au Maroc, de la culture pour tous, à chacun sa culture, il a insisté sur le rôle joué par Internet dans la création et la diffusion de la culture, pas seulement au Maroc, mais partout dans le monde. Un rôle de choix qui comporte aussi de nombreuses dérives qui peuvent nuire à la culture en donnant place à plus de médiocrité, plus de mélange de genres, dans l’absence d’un véritable filtre anti-dérapages.

Au bout de deux heures de débat et d’interventi­ons de l’assistance avec des figures comme Ahmed Boulane qui a témoigné de son expérience personnell­e pour apporter un autre son de cloche à la culture marocaine, Docteur Hachem Tyal qui a fustigé une société qui accouche de fous et de schizophrè­nes dans l’absence d’une réelle politique de l’intelligen­ce… et d’autres points de vue qui versent tous dans la même direction : le Maroc traverse une profonde crise de vide culturel.

L’urgence est de lancer un réel débat de société pour faire de la culture une priorité nationale à une époque où la médiocrité prend plus de champ et supplante la véritable création, qui, elle, est de plus en plus marginalis­ée et noyée dans un flux d’inepties de tous genres.

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