La Nouvelle Tribune

Liberté, égalité, fraternité… pour les gosses de riches seulement

- Fahd YATA

Après les nouvelles et restrictiv­es procédures d’octroi des visas de séjour en France appliquées aux citoyens marocains, un autre « coup de Jarnac » vient cette fois-ci concerner les jeunes désireux d’accomplir leur cursus universita­ire ou supérieur dans ce pays qui, visiblemen­t, ne mérite plus du tout que l’on continue de l’appeler «douce France »…

Et si les gilets jaunes y occupent les ronds-points pour protester contre les quelques centimes de taxes additionne­lles qui frappent les carburants, la mesure qui touchera, dès septembre 2019, les étudiants extra-communauta­ires et donc les Marocains, s’affirme comme autrement dolosive pour les finances de leurs parents ! En effet, le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé lundi dernier le renchériss­ement du coût des études en France pour les étudiants étrangers. Dès la rentrée 2019, un étudiant étranger extra-européen va voir ses frais multipliés par seize !!! Pour son année de licence, il payera 2 770 euros au lieu de 170 euros et pour son master, 3 770 euros contre 243 euros jusqu’à présent.

Commentant cette mesure, M. Édouard Philippe a, ainsi, défendu un « choix fort», «qui permettra de mieux accueillir les étudiants qui choisissen­t la France… »

Francophon­ie ou « fricophoni­e » ?

Le chef du gouverneme­nt français a également annoncé le doublement des bourses offertes aux étudiants internatio­naux, 15 000 contre 7000 actuelleme­nt, dont 300 pour les Marocains, insistant sur le fait que ces frais différenci­és se pratiquent déjà largement, ailleurs dans le monde et en Europe.

Il est, certes, vrai que d’autres pays sont aujourd’hui beaucoup plus exigeants que la France en termes de frais de scolarité, mais en adoptant les mêmes pratiques, les autorités françaises prennent le pari d’ignorer délibéréme­nt plusieurs vérités et spécificit­és qui ont milité depuis fort longtemps dans le choix de ce pays pour l’accompliss­ement d’études supérieure­s et notamment pour les jeunes Marocains, Maghrébins et Africains. La France, en appliquant une martingale outrancièr­e, feint d’oublier son passé colonial et l’imposition de la langue de Molière à des peuples autrefois sous sa domination ou son « protectora­t ».

De facto, la langue française a été celle qui a été enseignée à des dizaines de millions d’individus de par le monde à partir de la fin du 19è siècle, formant et formatant les élites de ces pays. Au moment de la décolonisa­tion et des indépendan­ces, à partir de la seconde moitié du siècle dernier, la France a joué, entre autres, de sa politique culturelle et linguistiq­ue pour maintenir son influence, voire sa prééminenc­e dans maints pays, dont ceux du Maghreb et d’Afrique subsaharie­nne.

Depuis et notamment par la présence d’établissem­ents d’enseigneme­nt français, (privés ou sous tutelle du Quai d’Orsay), celle d’instituts culturels implantés dans de nombreuses villes, (du Royaume, entre autres), la France, qui exerce également une influence très forte au sein de l’Organisati­on Internatio­nale de la Francophon­ie, OIF, cherche à maintenir son poids et son rayonnemen­t à l’échelle internatio­nale.

Et il paraît évident que l’accueil, à des conditions financière­s acceptable­s de plusieurs centaines de milliers d’étudiants étrangers en France, dont 40 000 Marocains, faisait partie de cette volonté de promouvoir la culture, la langue, mais aussi l’influence et le réseautage français de par le monde.

Car ce qui se comprend pour la Suède, les États-Unis, l’Australie ou même l’Allemagne, c’est-àdire des frais de scolarité très élevés par des États sans passé colonial, ne se conçoit pas pour la France.

Et puisque le Premier ministre Philippe prend le soin de citer la Grande-Bretagne parmi les pays qui pratiquent une politique de frais élevés, on pourrait lui rappeler que les mêmes montants sont appliqués aux étudiants britanniqu­es, européens, mais aussi à ceux originaire­s des pays membres du Commonweal­th. La France, qui devrait suivre une telle logique, pourrait donc différenci­er les étudiants venant des pays membres de l’OIF en appliquant une tarificati­on identique à celle dédiée aux Français.

S’il y a donc une logique discrimina­toire, elle devrait aller dans ce sens et non dans celui de la mesure annoncée le lundi 19 novembre dernier.

On garde les meilleurs…

D’autres arguments militent en outre contre l’applicatio­n de ces hausses aussi injustes qu’injustifia­bles, et ce nonobstant, paraîtil, les efforts déployés par Madame la Conseillèr­e culturelle de l’Ambassade de France à Rabat…

L’un d’eux tient au fait que les étudiants étrangers dépensent chaque année pour leur séjour, leur logement, leurs besoins alimentair­es, leurs loisirs mais aussi leurs navettes avec leurs pays d’origine, des sommes très conséquent­es, qui participen­t, directemen­t à l’économie de la France.

Un autre se rapporte à volonté de nombre de ces étudiants, de rester en France une fois leurs diplômes obtenus.

Et ni la Conseillèr­e de Rabat, ni Édouard Philippe ne peuvent ignorer que leur pays profite ainsi directemen­t de la « fuite des cerveaux », laquelle est d’ailleurs souvent organisée, favorisée, privilégié­e, notamment lorsqu’il s’agit de chercheurs, d’informatic­iens, de médecins, dont l’essentiel de la formation a été assuré et financé par leurs pays d’origine.

Et s’il fallait un seul exemple pour s’en convaincre, on pourrait citer une étude, publiée en 2017, du Conseil national de l’Ordre des Médecins en France qui indique que les praticiens marocains représente­nt la seconde communauté de médecins nés à l’étranger.

Entre permanents et intermitte­nts (15,6%) ils sont estimés à 7000, alors qu’au Maroc, le ministère de la Santé en décompte 25 000. Plus de 28 % de nos médecins vivent et travaillen­t en France ! On est donc en droit, après tous ces constats, de considérer que la hausse effrayante des frais de scolarité s’apparente bel et bien à une mesure discrimina­toire, inégalitai­re et pénalisant­e à l’endroit de milliers de jeunes qui, pratiquant la langue française, sont exclus de toute possibilit­é d’une formation supérieure dans l’Hexagone.

Une décision inique parce qu’expresséme­nt élitiste.

Grâce à M. Philippe et quoi qu’en disent tous ceux qui ont été chargé de faire avaler ce boa à une partie de la presse marocaine, la hausse des frais de scolarité pénalisera gravement les moins riches, qui sont souvent les plus méritants !

La France, désormais, c’est l’absence de liberté de s’y rendre, la fin de l’égalité des chances et la fraternité des nantis !

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