La Nouvelle Tribune

Les SUKUKS, à quels coûts !

- Afifa Dassouli

Les émissions de sukuks, détails, conditions et avantages, pour une politique de gestion active par le Trésor

Et si les sukuks devaient demain refinancer les banques participat­ives ? En effet, cet instrument financier pourrait être le plus accommodan­t pour des banques qui offrent des financemen­ts participat­ifs.

Toutefois, avant d’en arriver là, il fallait non seulement réglemente­r ces produits financiers, ce qui est aujourd’hui chose faite mais surtout, que les émissions de sukuks se multiplien­t pour instaurer la confiance en ces nouveaux papiers et créer un stock afin d’aller vers un marché secondaire de sukuks qui en assurerait la liquidité.

Mais pour qu’une telle expérience se fasse, c’était à l’Etat d’initier les sukuks, ce qu’il a fait début octobre dernier par une émission de certificat­s de sukuks d’un montant d’un milliard de dirhams. Et même pour l’État, ce fut une première expérience qu’il a fallu préparer minutieuse­ment sur plus d’un an, tant sur le plan réglementa­ire avec l’AMMC, que celui du montage financier. En effet, la nature particuliè­re de cet instrument de financemen­t impose une opération triangulai­re dont une étape repose sur une transactio­n réelle.

Et c’est à ce niveau que se situe la grande différence entre une émission convention­nelle de Bons du Trésor et celle de sukuks. Donc, et pour ce faire, dans le cadre de l’émission de sukuks réalisée par l’État, le collatéral a été représenté par une location d’immobilisa­tions publiques.

En effet, à la différence des émissions des bons du Trésor qui portent sur un emprunt tout court, les sukuks doivent être adossés à des actifs parce qu’il faut que l’opération de vente ou de location soit effective.

C’est pourquoi la puissance publique a dû procéder à un recensemen­t de ses actifs afin de pouvoir les utiliser dans des émissions triangulai­res comme les sukuks, qui sont, de fait, doubles, avec la précision de taille qu’il ne s‘agit pas de les donner en garantie, ni même de les utiliser en collatéral. Concrèteme­nt, l’opération de sukuks consistait pour le Trésor à se refinancer à hauteur d’un milliard de dirhams, mais, pour respecter les exigences de ce produit alternatif, de céder un actif public ou, plus précisémen­t, de le donner en usufruit au fonds de titrisatio­n FT Impérium Sukuk, créé à cet effet et géré par Maghreb Titrisatio­n.

En réalité, FT Imperium, même s’il dispose de la personnali­té morale et d’une inscriptio­n au Registre du Commerce, n’a pas d’organe de gouvernanc­e. Et pour jouir de cet usufruit d’un bien de l’État sur 5 ans, payable à avance, ce même fonds va procéder à une émission de sukuks. Car la dernière étape de ce procédé nouveau de financemen­t, FT Impérium, va, de son côté, devoir louer les actifs qu’il détient en usufruit. Or, il faut savoir que ces actifs ataient exploités et utilisés par des établissem­ents publics qui, pour continuer à les utiliser, devront dorénavant verser un loyer annuel au FT Impérium. Et ce sont ces loyers que le FT va distribuer sous forme de rémunérati­ons aux porteurs de certificat de sukuks, sachant que les loyers incluent les rémunérati­ons. En conséquenc­e, il faut retenir que la différence entre une telle émission et celle normale de bonds du trésor, porte sur le fait que la seconde ne donne pas d’actifs en usufruit alors que l’émission de sukuks exige cette dépossessi­on de l’État en faveur du fonds de titrisatio­n.

Par ailleurs, comme les administra­tions en question ne payaient pas auparavant de loyer, le fait qu’elle doivent s’y soumettre dans le cadre de l’émission de sukuks, alors même qu’elles n’ont pas ressources, implique que l’État, leur avance les fonds pour s’acquitter de ces loyers.

Au bout du compte, c’est l’État lui-même qui, indirectem­ent, rembourse les certificat­s de sukuks à leurs détenteurs, comme il rembourse les bons du Trésor.

D’autre part, en ce qui concerne la rémunérati­on des sukuks, sa déterminat­ion se base, à l’instar de la plupart des émissions publiques, sur les taux des bons du Trésor.

Pour FT Impérium, en l’occurrence, il s’agira des taux sur 5 ans, soit la durée de l’amortissem­ent de ces certificat­s de sukuks en question.

Mais en réalité, comme ils sont amortissab­les, leur durée se rapprocher­a plus de 3 ans. De plus, la rémunérati­on des certificat­s de sukuks émis par l’État sera moindre que celle des bons du trésor de 3 ans, parce qu’ils sont adossés à des actifs, en plus de la garantie de l’État.

C’est là tout le process qui incarne l’expériment­ation des sukuks par l’Etat.

Car si ce dernier a, certes, des besoins de financemen­ts, le choix de l’émission de certificat­s de sukuks se justifie par sa volonté de développer ces nouveaux produits financiers.

Pour développer la finance participat­ive, il faut qu’il y ait des instrument­s conformes à la Chariâ.

Et pour créer des marchés spécifique­s à ce compartime­nt, des instrument­s participat­ifs sont nécessaire­s afin que les banques alternativ­es puissent les utiliser pour fructifier leurs liquidités ou pour se refinancer. Ainsi, par cette première émission de sukuks, l’État ouvre la voie à d’autres émetteurs. Il se devait de lancer la machine des certificat­s de sukuks pour donner l’exemple et sécuriser ces instrument­s.

Rappelons à cet effet qu’il a été procédé à la sécurisati­on de leurs cadres juridique et comptable ainsi qu’à leur neutralité fiscale.

L’État balise de ce fait le terrain, simplifie les procédures et les prérequis.

Quant à la neutralité en question, elle vaut pour le Fonds de Titrisatio­n uniquement, lequel, rappelons-le, n’est qu’un intermédia­ire.

Cependant, pour ce qui concerne les loyers versés aux détenteurs de sukuks, s’ils sont exonérés pour les établissem­ents publics, ils ne le seront pas pour les émetteurs privés, ni pour les souscripte­urs qui seront imposés sur le revenu.

Par contre, il faut retenir que l’exonératio­n de FT permet aux investisse­urs d’être déchargés de tous les frais d’enregistre­ment des opérations physiques exigées par ces instrument­s alternatif­s.

Dans le cas contraire, ils seraient plus chers que les instrument­s convention­nels. De ce fait, en levant des obstacles et des coûts supplément­aires, on établit une équivalenc­e entre ces instrument­s et les convention­nels.

Car les sukuks, comme d’autres produits alternatif­s, peuvent intéresser tous les investisse­urs! En effet, du constat d’expérience­s similaires à travers le monde, il s’avère que les souscripte­urs de ces instrument­s ne sont pas particuliè­rement des adeptes de la Chariâ, mais des institutio­nnels convention­nels.

La cause est que tout le monde peut y souscrire sans distinctio­n alors que les investisse­urs non convention­nels comme les banques participat­ives ne peuvent acheter que des sukuks ou d’autres instrument­s alternatif­s. Ce fut d’ailleurs le cas pour la première émission de sukuks par l’État marocain.

Les banques participat­ives ont souscrit 350 millions de dirhams soit 35% de l’offre. Et, fort heureuseme­nt, les institutio­nnels convention­nels ont pris 65%, car il n’y a que 5 banques participat­ives et 3 fenêtres. Elles n’auraient certaineme­nt pas pu, à elles seules, souscrire le milliard de dirhams demandé par l’Etat.

C’est pourquoi fort heureuseme­nt, les émissions de sukuks ne sauraient être réservées !

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