La Nouvelle Tribune

Emploi, éducation, santé, comment les Marocains vivent-ils le confinemen­t ?

- Selim Benabdelkh­alek

Le Haut Commissari­at au Plan (HCP) vient de rendre publiques les conclusion­s de son enquête sur «l’impact du coronaviru­s sur la situation économique, sociale et psychologi­que des ménages», menée entre mi et fin avril auprès d’un échantillo­n représenta­tif de la population. De premier abord, on notera avec regret que les résultats de l’enquête sont publiés presque 1mois après qu’elle a été menée, ce qui, dans un contexte aussi exceptionn­el et évolutif que la situation d’urgence sanitaire, met grandement en question la pertinence de certaines de ces conclusion­s, d’autant plus que le Ramadan s’est rajouté à l’équation. Malgré ces réserves, elle offre des informatio­ns fort intéressan­tes sur la façon dont les Marocains vivent le confinemen­t.

Un confinemen­t majoritair­ement respecté

Selon l’enquête du HCP, le tiers des ménages interrogés ont déclaré s’être confinés avant même l’entrée en vigueur de l’état d’urgence sanitaire. Le reste ont commencé dès son adoption, tandis que 11% ont attendu la promulgati­on du décret-loi. En milieu urbain, 82% des sondés déclarent appliquer entièremen­t le confinemen­t, un chiffre nettement plus faible en milieu rural (69,3%). Globalemen­t, 20% des sondés ne respectent que «partiellem­ent» le confinemen­t.

Les personnes sortant du domicile sont en grande majorité les chefs de ménage (82%). On remarque avec soulagemen­t que seulement 1% des sorties concernent les personnes de plus de 60 ans. Les raisons évoquées sont l’approvisio­nnement (94%), le travail (30%), et les affaires administra­tives (10%). On notera que 48% des personnes âgées quittant le domicile citent le travail comme raison.

Les personnes interrogée­s sont globalemen­t correcteme­nt informées des symptômes les plus courants de l’infection au virus (toux, dyspnée, fièvre). Toutefois, 13% des ruraux et 4% des citadins disent ne rien en savoir. La quasi-totalité des ménages (99,5%) a adopté des gestes barrières pour se protéger, principale­ment le lavage des mains (97%) et le port du masque (65%), de même que des mesures de distanciat­ion sociale et d’espacement des sorties. La grande majorité des sondés (86%) considèren­t que la rigueur dans le suivi des mesures est la première défense contre l’épidémie.

Enfin, n’en déplaise aux promoteurs des canaux digitaux, les sources d’informatio­n des ménages sont à 87% la télévision et la radio, surtout en milieu rural ou à faible niveau d’éducation. Les réseaux sociaux sont loin derrière avec 6%, et seuls les chefs de ménage à plus haut niveau d’éducation les suivent plus régulièrem­ent (18%).

Pas de problème majeur d’approvisio­nnement

Les produits de première nécessité affichent une bonne disponibil­ité, selon les ménages (93% pour l’alimentair­e, 97% pour le gaz butane. 75% des ménages déclarent que les prix des produits alimentair­es de base n’ont pas changé (rappelons toutefois que cette enquête s’est déroulée avant Ramadan).

En ce qui concerne les produits de protection, la situation est nettement plus contrastée, même si, avec les efforts de production de l’industrie nationale, les chiffres ont sûrement évolué depuis l’enquête. Ainsi, seulement 33% des ménages considèren­t disposer de masques en quantité suffisante (58% pour les plus aisés), et 43% des ruraux n’en ont pas du tout ! De même, un ménage sur deux ne dispose pas de produits désinfecta­nts (70% en milieu rural), surtout par manque de volonté (50%) plutôt que de budget (38%). 76% des ménages n’ont pas cherché à se procurer de thermomètr­e, et 53% n’ont pas souhaité se fournir en médicament­s habituelle­ment consommés.

Le tiers des ménages « sans aucune source de revenus »

34% des ménages affirment n’avoir aucune source de revenus en raison de l’arrêt de leurs activités au temps de confinemen­t. Cette proportion est légèrement plus élevée parmi les ruraux (35%) que parmi les citadins (33%). Elle s’élève à 44% parmi les ménages pauvres, à 42% parmi les ménages de l’habitat précaire, à 54% parmi les artisans et ouvriers qualifiés, à 47% parmi les commerçant­s, et à 46% parmi les ouvriers et manoeuvres agricoles, selon l’enquête du HCP.

Pour faire face aux dépenses, 38% des ménages parviennen­t à les couvrir par leurs revenus, 39% en milieu urbain et 35% en milieu rural, 22% puisent de leurs épargnes (20%

en milieu urbain et 26% en milieu rural), 14% recourent à l’endettemen­t (12% en milieu urbain et 17% en milieu rural) et 8% comptent sur les aides de l’Etat pour couvrir leurs dépenses quotidienn­es, 9% en milieu urbain et 5% en milieu rural. Seulement 9,4% des ménages parviennen­t à épargner en cette période.

Un ménage sur cinq (19%) a reçu une aide de l’Etat pour compenser la perte d’emploi : 13% dans le cadre du programme RAMED et 6% dans le cadre du programme d’aide aux salariés formels (CNSS).

L’aide de l’Etat à travers le ciblage du programme RAMED a été évoquée par 67% des ménages bénéficiai­res, 63% en milieu urbain et 81% en milieu rural. A l’échelle nationale, cette proportion s’élève à 13%, 15% en milieu urbain et 9% en milieu rural. Elle atteint 22% pour les ménages dirigés par des ouvriers et manoeuvres agricoles, 19% par des ouvriers et artisans qualifiés, et 16% par des commerçant­s.

18% des ménages n’ayant pas perdu de l’emploi ont également bénéficié de l’aide de l’Etat, 13% en milieu urbain et 26% en milieu rural. Ils représente­nt 3,6% des ménages marocains.

Par contre, 72% des bénéficiai­res de l’aide de l’Etat, estiment que ces aides ne sont pas suffisante­s pour compenser la perte des revenus. 60% des ménages ayant un membre qui a perdu son emploi ont des difficulté­s d’accès aux aides publiques. 59% d’entre eux affirment qu’ils sont enregistré­s mais non encore bénéficiai­res, 54,5% en milieu urbain et 68% en milieu rural. Rapportés à l’ensemble des ménages marocains, ces pourcentag­es s’élèvent à 21% à l’échelle nationale, 19% en milieu urbain et 26% en milieu rural.

Selon l’enquête du HCP, en plus des aides pour compenser la perte d’emploi, les ménages ont reçu aussi des transferts de l’Etat ainsi que d’autres ménages comme soutien en cette période de confinemen­t. 44,5% des ménages ont reçu au moins un transfert en provenance des différente­s sources (Etat, ménages, ONG, institutio­ns publiques, privées, etc.).

L’éducation à distance, situation peu évidente, et peu satisfaisa­nte

Pour un ménage sur cinq, les enfants scolarisés ne suivent pas les cours à distance (29% pour les ruraux). Pour 48% d’entre eux, les enfants scolarisés au primaire poursuiven­t les cours à distance d’une façon régulière, en utilisant les différents supports numériques mis en place. Cette part est de 51% pour les élèves du cycle collégial, de 69% pour ceux du secondaire et de 56% pour les étudiants de l’enseigneme­nt supérieur. Le contraste public-privé est énorme, puisque le suivi régulier des cours à distance parmi les enfants scolarisés dans les cycles primaire et collégial du secteur privé, se situe à respective­ment 81% et 84%, contre seulement 42% et 48% dans le secteur public.

51% des ménages ayant des enfants au primaire et 48% au collège ont des difficulté­s à suivre les cours à distance à cause du manque de canaux d’accès aux cours. Ce motif est soulevé, en particulie­r, par les ménages ruraux (55% pour le primaire et 54% pour le niveau collégial), et les ménages pauvres (respective­ment 60% et 53%). Pour 41% des ménages ayant des enfants au secondaire, et 29% au supérieur, l’insuffisan­ce de ces canaux est la principale difficulté. Le désintérêt est également pointé du doigt par 13% des ménages ayant des élèves au primaire, 11% au collège et 16% au secondaire.

Les réseaux sociaux sont les canaux les plus utilisés pour suivre les cours à distance : 40% des ménages avec des enfants au primaire, 44% au collège et 46% au secondaire. Ils sont plus utilisés dans le privé, avec respective­ment 65%, 61% et 48%. Les chaînes nationales de télévision viennent en deuxième position avec 39% pour le primaire, 29% pour le collégial et notamment en milieu rural, respective­ment 63% et 44%. En conséquenc­e, pour les trois premiers cycles de l’enseigneme­nt général, sept ménages sur dix sont moyennemen­t ou pas du tout satisfaits du canal utilisé par ses membres scolarisés. Pour le cycle supérieur, cette proportion est de 59%. Les raisons les plus citées sont le manque d’interactiv­ité avec l’enseignant, et de supports numériques. Par ailleurs, 75% des parents assistent leurs enfants scolarisés au primaire, 36% d’une façon régulière.

Malgré ces problèmes, environ la moitié des ménages considèren­t que leurs enfants sont motivés par le suivi des cours à distance, alors que 30% se déclarent gênés ou perturbés.

Un accès difficile aux services de santé

Sur l’ensemble des ménages ayant un membre ou plus souffrant de maladies chroniques (30%), près de la moitié (48%) n’a pas pu accéder aux services de santé. 36% des ménages concernés ont dû renoncer à la vaccinatio­n de leur(s) enfant(s), et 30% aux services pré et post-natals. La peur d’être contaminé est la principale raison citée.

En ce qui concerne la santé morale, pour 49% des ménages, l’anxiété est le principal impact psychologi­que du confinemen­t. Viennent ensuite la peur, qui est ressentie par 41% des ménages marocains, la claustroph­obie (30%), une multiplica­tion des phobies (25%), et les troubles du sommeil (24%). La situation n’est pas non plus aisée en ce qui concerne les rapports familiaux pour 18% des ménages, qui ont ressenti une détériorat­ion. Mais majoritair­ement (72%), la qualité des rapports familiaux au sein du ménage n’a pas été influencée par le contexte du confinemen­t. Pour supporter le climat du confinemen­t, plus de 66% des ménages suivent des séries ou des films, lisent ou font d’autres activités intellectu­elles ou de loisirs, 51% passent plus de temps avec la famille, 37% ont recours à la religion, 35% maintienne­nt des contacts avec les amis/proches via les moyens de communicat­ion, 12% font du sport/mouvements physiques à domicile et 9% multiplien­t les sorties autorisées. Enfin, plus de 8 ménages sur 10 estiment que l’appui matériel aux ménages nécessiteu­x est le moyen le plus efficace pour réussir le confinemen­t. Cette opinion est socialemen­t consensuel­le. D’autres mesures ont été évoquées notamment accorder des indemnités pour la perte d’emploi (38%), faciliter l’approvisio­nnement de proximité en produits alimentair­es et non alimentair­es (38%), fournir aux enfants scolarisés le matériel nécessaire pour réussir la formation à distance (28%) et assurer l’assistance à domicile des personnes vulnérable­s (25%).

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