La Nouvelle Tribune

Longtemps délaissé, le tourisme national doit maintenant sauver le secteur !

- Hassan Zaatit

Un profession­nel de longue date, le directeur du Conseil Provincial du Tourisme d’Ouarzazate, Zoubir Bouhout, nous explique qu’en ces moments de crise sanitaire, le secteur touristiqu­e, aussi bien mondial que national, vit le chaos… total. Analyse.

« Le tableau de simulation basé sur les chiffres de 2010 à 2019 fournit plusieurs options qui peuvent servir de base pour les projection­s futures. Les prévisions des recettes touristiqu­es varient entre 7 milliards et 31,4 milliards, avec une hypothèse de mobilisati­on de 75% de la consommati­on interne et la récupérati­on de 75% du volume du tourisme émetteur (chiffre de 2019) », explique-t-il, notant que si le FMI anticipait mi-avril une récession du PIB mondial limitée à 3%, le cabinet Oxford Economics annonçait le 15 mai une chute de 4,8 %. La Commission européenne a prévu de son coté -7,7% pour la zone euro, tandis qu’au RoyaumeUni, la Banque d’Angleterre prévoit une chute de 14% du PIB cette année.

Un risque de perte d’1,2 milliard d’arrivées, 1200 milliards d’USD de recettes et 120 millions d’emplois. Le secteur du Tourisme qui contribue à 10,4% du PIB mondial est sans aucun doute, le secteur le plus touché par cette crise. Ainsi après 10 ans de croissance, avec des arrivées record culminant à 1,5 milliard en 2019 et 1,5 milliard de dollars US de recettes, ce secteur est plongé dans une crise sans précédent.

Et de préciser que le constat est sans appel : il est impératif que le Maroc révise son modèle de développem­ent touristiqu­e. Le recours aux nationaux ne doit pas être considéré comme un simple palliatif au moment des crises, jetable dès la reprise des arrivées internatio­nales, il doit constituer le noyau dur de la future stratégie touristiqu­e. Le tourisme interne que la stratégie nationale (visions 2010 et 2020) a délibéréme­nt délaissé (nous y reviendron­s) est aujourd’hui sollicité pour sauver le secteur. Pour rappel, la conjugaiso­n d’un certain nombre d’événements tragiques (terrorisme, SARS…) a toujours eu un impact négatif sur l’activité touristiqu­e au Maroc, surtout les arrivées des touristes étrangers. Pourtant, le tourisme interne semble être le grande oublié de la vision 2010 malgré les orientatio­ns du Discours Royal, qui indiquait : « Ils doivent également accorder une importance extrême à l’encouragem­ent et à l’intégratio­n du tourisme intérieur qui connaît une reprise remarquabl­e depuis quelques années, et ce, en mettant en place des établissem­ents hôteliers répondant aux besoins et attentes du touriste marocain et à la portée de toutes les catégories sociales».

En effet, bien que l’objectif visait le doublement du nombre des touristes nationaux hébergés en hôtels classés, en le portant de 1,2 millions en 2000 à 2 millions en 2010, alors que le volume des Touristes étrangers devait être porté de 2,32 millions en 2000 à 9,22 millions en 2010 (taux de progressio­n annuel de 15%), aucune mesure concernant la mise en place d’infrastruc­ture d’hébergemen­t adaptée au citoyen marocain n’a été préconisée, les concepteur­s se sont limités à proposer des produits spécifique­s «attrayants» (formules week-end, semaine, packages tout compris) commercial­isés à des tarifs promotionn­els et supportés par une campagne nationale de promotion en direction des nationaux. La version 2020 n’a fait qu’entériner le plan Biladi lancé en 2007 (à moins de 3 ans de 2010) prévoyant une capacité litière additionne­lle de 30.000 lits, dont 19.000 lits en campings et 11.000 unités en résidences hôtelières horizontal­es, repartie sur huit nouvelles zones touristiqu­es intégrées d’une superficie allant de 25 à 45 hectares chacune. En termes d’activité, ce plan prévoyait d’atteindre 7,2 millions de nuitées à l’horizon 2010 (contre 4 millions en 2000 et 5,9 millions en 2003) et plus de 9 millions de nuitées en 2015.

Or, treize ans après la présentati­on du Plan Biladi, le taux de concrétisa­tion sur ce segment se situerait à moins de 30 % : sur les 8 stations initialeme­nt prévues, deux seulement ont pu voir le jour avec des années de retard par rapport aux délais de livraisons prévus, deux autres sont toujours en cours de constructi­on, une station a été abandonnée à cause du foncier et 3 autres cherchent toujours preneurs.

Cette offre limitée de structures d’hébergemen­t adaptées aux citoyens marocains a limité d’une part l’accès des nationaux aux établissem­ents touristiqu­es classés, ce qui s’est traduit par un pourcentag­e très faible des nuitées passées dans les hébergemen­ts classées (3% du potentiel total), limitant ainsi la recette du tourisme interne à 7 MMDH en 2019, sachant que la consommati­on du tourisme interne est estimée à 22,7 MMDH (avec une part marchande estimée a 31%).

De ce fait, les marocains ont multiplié leurs voyages vers d’autres destinatio­ns touristiqu­es présentant probableme­nt des offres très compétitiv­es. Le tourisme émetteur est devenu un facteur d’éviction du segment du tourisme interne en le privant de parts considérab­les, son volume ne cesse de se développer, passant presque du double au triple des dépenses par rapport au tourisme interne entre 2010 et 2019.

Les Marocains auraient dépensé plus de 125 MMDH dans leurs voyages à l’étranger durant la période 20002019 alors que la recette du tourisme interne marchand se situerait à 6,3 MMDH/an durant cette période. Convaincu, notre interlocut­eur souligne que les nationaux vont certaineme­nt contribuer à amortir le choc d’une chute libre du secteur, comme ils l’ont toujours fait. Et de poursuivre que le volume de récupérati­on dépendra de la durée de l’état d’urgence sanitaire et des mesures de relances qui seront mises en place.

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