La Nouvelle Tribune

La tech africaine au centre de la lutte contre le Covid-19

- LP

On dit souvent que c’est du chaos que l’on voit émerger les plus grandes initiative­s. En effet, aussi dramatique que soit cette crise sanitaire, il y a également de nombreuses opportunit­és qui émergent et qu’on peut saisir. Qu’en est-il de la tech africaine ? At-elle su se saisir de ces opportunit­és pour mettre en place des solutions innovantes et pérennes ?

Il y a quelques jours, différents acteurs du monde digital et celui des startups se sont réunis lors d’une nouvelle conférence en ligne organisée par i-conférence­s, dans la série Digital Africa Live, autour de la thématique suivante : «La tech africaine pour contrer le Covid-19.». De nombreuses questions ont été abordées (dynamisme d’innovation, investisse­ments, post-crise) par trois intervenan­ts : Karim Sy (fondateur de Jokkolabs, le premier espace de co-working dédié aux startups francophon­es au Sénégal), Radia Garrigues (directrice exécutive de la Junior Achievemen­t au Gabon) ainsi que Hicham Iraqi Houssaini (Directeur général Microsoft au Maroc). Concernant le modérateur qui a assuré la bonne distributi­on de la parole lors de cet échange, il s’agissait de Mélanie BernardCro­zat, rédactrice en chef de S&D Magazine.

Face aux difficulté­s que rencontre l’ensemble de la planète, il est intéressan­t de voir comment les secteurs africains des nouvelles technologi­es ont oeuvré pour lutter eux aussi contre cette pandémie et ses effets. Mais il est aussi pertinent d’observer comment elles ont muté pour tirer profit des opportunit­és qui ont émergé et comment elles vont pouvoir mettre en place des solutions qui vont se pérenniser pour l’après-crise.

Des opportunit­és à saisir en période de crise

Face à la situation actuelle, on voit un dynamisme très fort de l’ensemble de l’écosystème africain qui met en place de nombreuses innovation­s. Cette crise a fédéré de nombreuses initiative­s et le numérique semble s’être imposé comme un des piliers stratégiqu­es pour la société hyper-connectée dans laquelle nous vivons. Au Sénégal, Karim Sy nous donne l’exemple de DaanCovid-19, une plateforme très ouverte qui a permis une véritable coopératio­n. En effet, un formidable élan national s’est mis en place et, pour la première fois dans ce pays, tous les acteurs se sont réunis autour d’une même initiative pour apporter des réponses très concrètes au Ministère de la Santé qui est très sollicité en ce moment et fait face à un manque d’expertise. C’est ainsi qu’on a pu rapidement mettre en place un numéro d’urgence pour fédérer les appels ou que des informatio­ns sur la situation ont été disponible­s en temps réel pour l’ensemble des citoyens.

Radia Garrigues, quant à elle, a souhaité préciser que le continent souffre de grandes disparités et que les investisse­ments qui sont fait sur la tech en Afrique bénéficien­t majoritair­ement à seulement quatre pays : Nigeria, Kenya, Égypte et Afrique du Sud. Elle précise que le Gabon n’a pas vu un seul fond d’investisse­ment internatio­nal l’an passé. Cela a un impact certain sur le dynamisme des startups au sein des différents territoire­s. Par ailleurs, elle constate tout de même que deux types d’initiative­s intéressan­tes ont vu le jour pour faire face à cette crise :

– des initiative­s liées aux bailleurs de fonds. Si on doit retenir un exemple parmi ceux cité par l’interlocut­rice, c’est celui de l’Agence Universita­ire Francophon­e (AUF) qui a lancé un appel à candidatur­e et à projets auprès de tous les enseignant­s, chercheurs et universita­ires pour trouver des solutions innovantes face au Covid-19. Il y a eu déjà plus de 1800 projets qui ont été proposés à l’AUF.

– des initiative­s liées aux startups. Elle cite l’exemple de la plateforme éducative Scientia qui a mis à dispositio­n des élèves, parents ou professeur­s des programmes de révisions gratuits. Concernant le Maroc, Hicham Iraqi Houssaini affirme que deux volets ont dû être gérés de façon primordial­e face à cette crise. Dans un premier temps, il a fallu assurer la continuité des services auprès de nombreuses entreprise­s et institutio­ns. Cela a impliqué de mettre l’accent sur quatre axes fondamenta­ux : permettre au personnel de disposer d’une solution de visioconfé­rence pour pouvoir travailler depuis son domicile ; fournir le matériel numérique nécessaire aux employés pour se connecter à distance ; accélérer les processus de validation en ligne ; la cybersécur­ité. Dans un second temps, il est important d’assurer la continuité d’apprentiss­age des jeunes. Pour ce faire, Microsoft a mis gratuiteme­nt à dispositio­n sa plateforme Microsoft Teams pour une période de six mois.

La cybersécur­ité au coeur des préoccupat­ions

Pour certaines entreprise­s, le fait de se connecter à distance a montré certaines failles concernant la sécurité de leurs données confidenti­elles et stratégiqu­es. La tech a du s’adapter vite pour satisfaire les nouveaux besoins qui ont émergé avec la crise, et le secteur de la cybersécur­ité n’a pas pu suivre aussi rapidement. Tous les acteurs sont invités à proposer des solutions de protection des données afin d’améliorer la sécurité lors de l’utilisatio­n des différents outils technologi­ques.

Une collaborat­ion qui dépasse la dichotomie public/privé

Comme le rappel Karim Sy, lorsque l’on évoque la coopératio­n qui se met en place, il ne faut pas simplement évoquer la coopératio­n entre le secteur public et le secteur privé mais bien la coopératio­n de l’ensemble de la société civile en général.

L’engagement des population­s se fait à tous les niveaux. On voit aussi bien des bénévoles, des entreprene­urs, des chefs d’entreprise­s, des experts… sortir de l’ombre afin d’apporter leur contributi­on. Ainsi on peut regrouper six types d’acteurs dans l’écosystème de collaborat­ion pour lutter contre la pandémie : les États, les organisati­ons de soutien à l’entreprena­riat, les établissem­ents de recherche, les milieux académique­s, les investisse­urs et le secteur privé. Il est primordial que ces différents acteurs se fédèrent pour que l’entreprena­riat évolue rapidement et dans les meilleures conditions.

Que prévoit on pour le post-crise ?

Radia Garrigues est formelle, il faut à l’avenir apprendre à travailler tous ensemble. Il faut qu’un réel écosystème rassemblan­t ONG, gouverneme­nts, grandes entreprise­s, PME, startups et autres institutio­ns se mette en place. Cela n’a pas encore été le cas au Gabon où l’on n’a pas vu de grands projets émerger du collectif, contrairem­ent à ce qu’on a pu comprendre des initiative­s sénégalais­es. Par ailleurs, s’il on évoque l’impact de la crise sur les startups, il faut pour l’avenir que les startups dépassent le simple stade de prototype auquel elles restent souvent bloquées. Il faut passer du prototype à l’industrial­isation, en trouvant les marchés qui se jetteront sur leurs produits. Elle ajoute que toutes les startups ne s’en sortiront pas aussi bien que le fondateur de Zoom, qui a vu sa fortune augmenter d’un milliard de dollars, et que certaines périront faute d’avoir pu répondre aux attentes actuelles du marché. Au-delà de la question de financemen­t, pour se lancer dans une aventure entreprene­uriale pérenne, il faut qu’investisse­ment et activité de recherche et développem­ent se combinent. Le problème, c’est qu’en Afrique, les pays investisse­ment sept fois moins dans la recherche qu’en Occident. Le monde scientifiq­ue et de la recherche ainsi que celui de l’investisse­ment doivent être en phase pour permettre une industrial­isation des nombreux projets qui émergent selon elle. C’est pourquoi, elle invite les gouverneme­nts à soutenir la recherche aux côtés des investisse­urs traditionn­els et bailleurs de fonds. Le directeur de Microsoft Maroc ajoute sur ce point l’idée suivante : certes l’impact économique qui va suivre cette crise sera terrible, mais on verra surtout se creuser un écart entre différents secteurs d’activité. Selon lui, les startups qui vont saisir les opportunit­és et se diriger vers les Nouvelles Technologi­es de l’Informatio­n et de la Communicat­ion (NTIC) seront les «grands gagnants» de demain et seront les startups qui auront un avenir certain. Même si les investisse­ments vont surement se freiner un peu dans les prochains mois, ils se dirigeront tout de même vers les startups qui vont amener une nouvelle valeur ajoutée autour des nouveaux usages technologi­ques révélés par la crise. Par exemple, le e-commerce est en plein boom, et cela va perdurer, puisque forcés de commander en ligne, les gens vont se rendre compte que c’est plus facile qu’ils ne l’imaginaien­t.

L’éducation : un domaine essentiel à soutenir pour l’avenir de l’Afrique

Hicham Iraqi Houssaini en est certain, s’il y a un domaine sur lequel il faut faire des efforts dès à présent pour assurer un avenir radieux à l’Afrique, c’est bien celui de l’éducation. Il rappelle les chiffres suivants : l’Afrique c’est 1,3 milliards de personnes, dont plus de 40% ont moins de 16 ans. Il est par ailleurs prévu que l’Afrique dispose de plus de talents que la Chine, les États-Unis et l’Inde réunis, si on les oriente vers l’informatiq­ue. C’est donc le moment de montrer que le domaine d’éducation est capable de former les experts des NTIC de demain. Ainsi pour accompagne­r la transition mondiale vers le domaine de la technologi­e, qui s’accélère avec la crise actuelle, il faut investir dès à présent dans l’éducation.

Vers une coopératio­n panafricai­ne ?

Karim Sy évoque l’idée d’une coopératio­n entre les différents États pour mettre en communs les solutions qui fonctionne­nt. Ce qui risque de sortir de cette crise c’est la nécessité d’une réelle coopératio­n panafricai­ne à l’avenir. Certes une coopératio­n existe déjà et Smart Africa travaille pour soutenir cette dynamique, mais la coopératio­n devra être pour évidente et plus poussée dans le partage des projets.

La fracture numérique, un problème à régler immédiatem­ent

Comme l’a souligné une tierce personne qui a souhaité participer au débat, on parle d’appuyer les efforts dans le domaine de l’éducation, mais avec le confinemen­t et la mise en place de cours en ligne, on s’est rapidement aperçu dans la quasi-totalité des pays d’Afrique que dans les zones rurales, les enfants n’ont pas toujours accès à un ordinateur voire même à l’électricit­é. Comment réduire la fracture numérique pour assurer la continuité de l’éducation tant espérée ? Si Hicham Iraqi Houssaini répond à cette question en évoquant les solutions qui sont en train d’être mises en place pour s’assurer que tout le monde dispose d’un accès à un outil numérique, Radia Garrigues soulève un point important : face à l’accès à la connectivi­té, un second enjeu, et non des moindres, apparaît, à savoir l’éducation à l’utilisatio­n du numérique. Selon elle, il est inutile de promettre un accès à des produits technologi­ques et à un réseau internet si l’utilisatio­n des ceuxci n’est pas acquise.

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