Une école en ligne d’avenir, d’équité et de qualité pour tous
Aomar Ibourk est Senior Fellow au Policy Center for the New South et professeur d’économie à l'Université Cadi Ayyad à Marrakech. Tayeb Ghazi est économiste au Policy Center for the New South. Il est aussi doctorant, membre du Groupe de Recherche en Economie Sociale et Solidaire de l’Université Cadi Ayyad. Dans cette analyse, les deux universitaires partagent leurs réflexions autour d’un modèle bien conçu : l’école numérique.
Par ces temps de coronavirus, l’éducation, au Maroc comme partout ailleurs à travers le monde, est amenée à se tourner vers des alternatives à distance. Certains voient en ce changement un risque de creusement des inégalités déjà existantes en matière d’accès, de qualité et de rétention. D’autres, saisissent cette nouvelle expérience pour ouvrir les voies de l’innovation et de la massification d’une éducation de qualité pour tous. Or, ces opportunités offertes, et ses souhaits exprimés, ne peuvent se matérialiser par l’initiative de la nature. Des efforts devraient être déployés à tous les niveaux de l’écosystème de l’apprentissage à distance. L’analyse des deux experts permet de s’arrêter sur la réalité des choses sur quatre composantes de cet écosystème d’enseignement à distance au Maroc, à savoir : les conditions d’accès et d’usage, l’engagement des parents dans un contexte d’autonomie permise ou requise, la maitrise et l’interaction des enseignants, et, finalement, l’adéquation des interfaces pour un enseignement effectif de qualité. L’éducation fait aujourd’hui face à une menace d’ampleur inédite.
La pandémie du Covid-19 a impacté la livraison des services d’éducation dans les écoles pour plus de 1,6 milliard d’enfants et de jeunes dans 161 pays, soit près de 80 % des élèves scolarisés dans le monde. Aujourd’hui, le nombre d’enfants et de jeunes concernés est réduit à environ 1,45 milliard distribué sur 172 pays ; et à la date de la rédaction de l’essai, seuls sept pays dans le monde ont ouvert leurs écoles et 13 l’ont fait en imposant des limitations (la Banque mondiale). A l’instar de ce qui est observé dans le domaine de l’éducation en ces temps de crise sanitaire, le Maroc a pris la décision de procéder à la fermeture des écoles pour empêcher la propagation du virus. Une décision a été prise pour la suspension des cours présentiels dans tous les établissements d’enseignement, à compter du 16 mars 2020, et ce jusqu’à nouvel ordre. Ensuite, le ministère de l’Education nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, a annoncé la mise en place un enseignement à distance au profit d’environ 10 millions d’élèves, d’étudiants et de stagiaires.
Ce switch vers l’éducation à distance a relevé un ensemble de questions. Des plus critiques d’entre elles, celles concernant l’accès, les apprentissages et l’équité, étant donné que les capacités sont limitées1. En fait, il est contraire au bon sens de penser que tous les élèves marocains auront un accès égal aux ressources et aux possibilités d’apprentissage à distance en ligne lorsque les écoles seront fermées. Pour atténuer le risque de creusement des inégalités scolaires qui incombent à la fracture numérique, dont on parlera plus loin, entre les strates socio-économiques et géographiques, l’ordonnance était de diffuser les cours sur internet mais aussi à la télévision, de conclure un partenariat avec les opérateurs des télécommunications pour permettre à tous les élèves de se connecter gratuitement sur les plateformes éducatives, et de recourir à des approches multimodales.
Cette prompte réponse du Ministère a permis de dresser un bilan positif, même s’il reste encore beaucoup à faire. Depuis le lancement du nouvel dispositif à distance jusqu’au 1er avril, 2600 cours filmés ont été mis à disposition aux niveaux central, régional et provincial, soit un total de 730 leçons à un rythme de 50 à 60 leçons par jour transmises via les chaines nationales concernées. Le portail électronique TelmidTice a permis, de son côté, l’accès d’environ 600 000 utilisateurs par jour à un total de 3000 ressources numériques, tous niveaux et filières confondus. Le service participatif intégré au système “Massar”, “Teams”, quant à lui, a permis d’assurer une interaction directe entre enseignants et élèves, du public comme du privé, dans plus de 400 000 classes virtuelles comptant plus 100 000 utilisateurs actifs au total, depuis le lancement jusqu’au 1er avril. Le taux de couverture de ce dernier dispositif était, selon un bilan d’étape établi par le ministère de l’Education nationale, d’environ 52% sur l’ensemble des classes de l’enseignement public et 15% des classes de l’enseignement privé. Dans leur conclusion, les deux universitaires soulignent que ces alternatives alimentent la réflexion de certains comme elles nourrissent les craintes des autres. Certains voient en ce switch un risque de creusement des inégalités déjà existantes en matière d’accès, de qualité et de rétention. Leur point de vue est pertinent alors que beaucoup de pays ne sont pas encore bien armés pour un tel mode d’enseignement. Le danger de voir la fracture numérique entre les strates de la population se transformer en une fracture d’apprentissage est donc justifié. D’autres saisissent cette nouvelle expérience pour ouvrir les voies de l’innovation et de la massification d’une éducation de qualité. Il est alors très important d’explorer des pistes pour faire de cette composante à distance un levier de mise à niveau du capital humain national, d’apprentissage tout au long de la vie et, donc, d’un éventuel accompagnement d’une transformation structurelle, très bien souhaitée, mais aussi d’une préparation effective pour les métiers de demain.
Or ces opportunités offertes, et ces souhaits exprimés, ne peuvent se matérialiser par l’initiative de la nature. Des efforts devraient être déployés à tous les niveaux de l’écosystème de l’apprentissage à distance.