L’arbitrage décisif de Bank Al-Maghrib
Le dernier Conseil de Bank Al-Maghrib au titre de l’année 2020, a confirmé la conduite de sa politique monétaire et maintenu son taux directeur à 1,5%.
Rappelons que depuis la crise financière de 2008, les banques centrales ont fait évoluer leur politique monétaire. Celle-ci ne consiste plus en une anticipation de l’inflation et une protection de l’épargne par un taux directeur approprié, elle est devenue plus expansionniste en s’engageant dans un refinancement des banques et des États pour soutenir les économies en difficulté.
Aujourd’hui, avec la crise sanitaire, économique et sociale, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la FED et la BCE continuent à faire prévaloir les mêmes instruments, et Bank Al-Maghrib, comme nombre d’autres banques centrales de par le monde, n’est pas en reste.
Avec une politique monétaire dynamique, son gouverneur, M. Abdellatif Jouahri, au côté du gouvernement et pour soutenir l’économie nationale, a fait évoluer sa politique monétaire pour faciliter l’accès au financement des acteurs économiques.
En effet, la banque centrale a adopté des mesures expansionnistes à travers deux baisses successives de son taux directeur de 25 points de base en mars 2020 et 50 en juin dernier, à 1,5%.
Elle a aussi opéré un élargissement du collatéral et une révision des coefficients de décote des actifs.
Pour combler le déficit de liquidités bancaires, elle a établi un recours plus important des banques à des instruments de long terme, les pensions livrées sur 1 mois et 3 mois.
Ainsi, l’instrument permanent de l’avance à 7 jours sur appel d’offres, a été réduit à environ 30% de l’encours global des interventions de la Banque centrale contre 90% avant la crise. Toutefois, un constat s’impose, le déficit de liquidités du secteur bancaire s’accentue, sous l’effet de la hausse de la monnaie fiduciaire et des créances nettes sur l’État, qui atteignent 105 MMDH à fin novembre. Le montant de la circulation fiduciaire a, par ailleurs, dépassé les 300 MMDH à la fin octobre 2020, contre 250 MMDHS à la fin 2019.
Cette situation est due aux retraits importants de cash du fait de la forte baisse des taux créditeurs, qui décourage les dépôts bancaires, particulièrement sur les comptes sur carnet et les dépôts à terme.
Face à ces insuffisances de liquidités, Bank Al-Maghrib a augmenté l’encours de ses interventions auprès des banques, passant à 112,6 MMDH en décembre contre une moyenne de 105,3 MMDH auparavant.
Elle sert aussi la totalité de la demande des banques des appels d’offres à 7 jours pour s’assurer de l’équilibre du marché interbancaire.
Par ailleurs, les besoins du Trésor explosent du fait de la baisse des recettes et la hausse des dépenses budgétaires ordinaires. La détérioration de l’équilibre budgétaire ordinaire se creuse, et les créances nettes de l’État avec, à 250 MMDH.
Sous la pression de sa demande, le Trésor subit un renchérissement du coût de son financement sur le marché domestique poussant les taux à court et moyen termes, à la hausse. Ainsi, l’efficacité de la politique monétaire de soutien à l’économie et à la politique budgétaire, est remise en cause.
La transmission de la décision du Conseil de Bank Al-Maghrib de baisser son taux directeur à 1,5%, s’avère partielle.
Le Taux Moyen Pondéré Global Débiteur (TMPGD) ne recule pas activement et les crédits à l’économie stagnent compte tenu de l’augmentation du risque.
De fait, dans la situation de crise économique actuelle, de meilleures conditions de financement pour la relance étaient attendues avec une nouvelle baisse du taux directeur de la Banque centrale.
Car les baisses du taux directeur de Bank Al-Maghrib et les différentes initiatives des autorités publiques en vue de faciliter l’accès au financement, ne se sont pas accompagnées d’une reprise des crédits bancaires du fait que la conjoncture économique n’est pas propice.
Toutefois, la sortie à l’international de l’État en ce mois de décembre, de 3 milliards de dollars, (autour de 30 milliards de dirhams) est intervenue pour « calmer le jeu ».
En effet, cette nouvelle manne va non seulement répondre aux besoins du Trésor, mais aussi à ceux des liquidités bancaires et donc soulager la tension sur les taux.
Car, en se finançant à l’international l’État lève la pression sur les taux à l’intérieur.
Ce qui dispense, par ailleurs, la banque centrale de procéder à un troisième ajustement à la baisse de son taux directeur. D’autant qu’en baissant le taux directeur pour faciliter le financement de l’économie, BAM aurait pris le risque de déprécier le dirham, alors que la réserve de change du Maroc est tombée de 306 à 293 MMDHS du fait du remboursement de prêts du Trésor public à l’international, le net recul des recettes touristiques et des flux d’IDE.
Affaiblir la monnaie, alors que la situation internationale du Maroc est précaire, est dommageable pour la santé financière du pays et ses possibilités de financement à l’extérieur. Et donc, malgré que la transmission complète des baisses du taux directeur vers les taux débiteurs et une reprise de la demande de crédit des entreprises ainsi que des ménages, se fait attendre, Bank Al-Maghrib en maintenant son taux directeur inchangé à 1,5%, a pris la bonne décision…