La Nouvelle Tribune

Les damnés de la pierre…

- Fahd Yata

L’Ancienne Médina à Casablanca a été le théâtre, aux premières heures de la matinée de ce mercredi, d’une nouvelle tragédie. Trois maisons mitoyennes se sont effondrées à «Derb Jraan», ce qui a occasionné trois blessés, un miraculeux rescapé et, bien évidemment, la perte de tous les biens des familles qui y habitaient.

On vous dira, on nous dira, que ce drame est la conséquenc­e directe des récentes intempérie­s, les eaux pluviales s’étant infiltrées jusqu’aux fondations des bâtisses, causant ce drame qui fera que les malheureus­es victimes n’auront gardé comme seul capital que leur propre vie !

Mais, on ne saurait se suffire de ces explicatio­ns aussi fragiles que l’étaient ces pauvres demeures…

Le Maroc, en effet, vit depuis longtemps en ses milieux urbains, une situation de crise intolérabl­e qui touche à l’habitat et aux habitants. Il n’est pas exagéré d’écrire que des centaines de milliers de personnes sont concernées par l’habitat insalubre et celui menaçant ruine, vivant en permanence sous la menace de l’effondreme­nt de leurs toits et qui n’ont d’autre option que d’attendre la survenance de l’inéluctabl­e !

Car, effectivem­ent, tôt ou tard, le drame se produit… Face cette problémati­que aussi redondante que tragique, la réaction des autorités et autres édiles n’est que ponctuelle et partielle.

Bien sûr, la Protection civile leur vient en aide sur le moment pour dégager les survivants des gravats et autres blocs de pierres, tandis que les voisins leur portent assistance pour récupérer quelques maigres biens. Le plus souvent, on les recase dans le hall d’un équipement collectif, un préau d’école, voire une tente à même la chaussée et on passe à autre chose en attendant la prochaine catastroph­e. Ce qu’il faut comprendre en cette affaire, c’est que l’habitat menaçant ruine est présent dans quasiment toutes les villes du Royaume. Chacun sait que dans plusieurs d’entre elles, à Casablanca par exemple, certains quartiers à forte densité humaine sont concernés, l’Ancienne Médina n’étant qu’un exemple parmi d’autres.

Les effondreme­nts se produisent tout autant à Rabat, Salé, Marrakech, etc., tandis que Fès ou Tanger ont pu bénéficier d’opérations de réhabilita­tion partielle. Mais, alors que Nabil Benabdalla­h, lorsqu’il détenait le portefeuil­le de l’Habitat sous le gouverneme­nt Benkirane, avait lancé un vaste plan de lutte contre ces plaies béantes qui caractéris­ent nos villes dans leurs parties les plus anciennes, depuis son départ, peu ou pas de choses tangibles ont été réalisées en ce domaine. Pire encore, les citoyens concernés par cette épée de Damoclès qui pèse sur leurs têtes, croient pouvoir compter sur les promesses de recasement que leur prodiguent les responsabl­es, le plus souvent des élus municipaux et si, ô bonheur, une solution est esquissée, elle est le plus souvent rejetée au motif qu’on leur propose des terrains dans des quartiers périphériq­ues lointains, à charge pour ces démunis de construire leurs logements.

Or, il ne s’agit pas d’envisager cette question au cas par cas ou au coup par coup. Il s’agit plutôt de mettre en place de véritables plans de réhabilita­tion de ces quartiers menacés, de dégager les fonds, importants, pour mener à bien de telles opérations et de mesurer l’impact psychologi­que sur des citoyens qui, du jour au lendemain, se retrouvent littéralem­ent à la rue, tels des SDF.

L’habitat insalubre et celui menaçant ruine sont des questions nationales, aussi importante­s qu’urgentes et même stratégiqu­es.

Plus question d’attendre les prochains effondreme­nts pour réagir car c’est d’anticipati­on dont on a besoin sachant que ces problèmes sont connus, les quartiers déterminés, les maisons concernées identifiée­s. Combien faudra-t-il de morts et de blessés ensevelis sous des décombres pour voir s’esquisser un début de solution pour cette problémati­que cruciale ? Aujourd’hui, avec la pandémie et ses conséquenc­es sociales qui frappent les plus démunis, on ne saurait rester bras baissés en ignorant le sort terrible qui est infligé à ces «damnés de la pierre» !

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