La Nouvelle Tribune

Inquiétude­s autour du pain et de la farine consommés au Maroc

La Tribune du consommate­ur

- Amar Hamimaz Ex chef de la division des fraudes alimentair­e au Ministère de l’Agricultur­e

Une étude menée par la fédération marocaine des droits du consommate­ur affirme que le pain consommé dans notre pays contient des produits cancérigèn­es (hebdomadai­re Tel Quel N° 937 du 29-1 au 4-22021, pages 18, 19, 20). Il s’agit là d’un problème majeur pour nous tous en raison de la place que représente­nt le pain et la farine dans l’alimentati­on des ménages marocains, «le pain étant le symbole suprême de la nourriture au Maroc».

Notre pays compte parmi les grands consommate­urs de blé dans le monde. Les utilisatio­ns sont diversifié­es : pain, couscous, pâtes, petits pains, cakes, pizzas, pastillas, pâtisserie, baghrir, mlawis, harira, harcha, trid… Tout un chacun est en mesure de constater, sans avoir besoin de recourir à des techniques scientifiq­ues de détection, de la situation fort troublante, voire inquiétant­e, du pain dans notre pays.

Le grave problème des moisissure­s

En premier lieu, le blé que nous achetons du Canada, des USA et d’ailleurs est celui qui est produit dans ces pays dans d’excellente­s conditions. Mais que devient-il lorsque les bateaux le déchargent dans les ports de notre pays ?

Les farines produites dans ces pays (USA, Canada) peuvent être stockées durant plus d’une année sans subir d’altération chimique. En revanche, celles produites par nos minoteries ne peuvent résister un mois voire pas plus de deux mois. Les différence­s dans les taux d’extraction (quantité de farine produite.), d’ailleurs minimes, ne peuvent expliquer ce constat. Le second constat a trait aux montagnes de pains et de mies moisis rejetés chaque jour par les foyers, ou/et vendus aux ramasseurs pour être destinés à l’alimentati­on animale. Pourquoi un tel gâchis dans un pays qui n’est pas encore parvenu à l’autosuffis­ance alimentair­e? Une seconde question essentiell­e se pose : «Pourquoi ce pain est-il aussi rapidement sujet aux moisissure­s» ? Nous touchons là au noeud du problème !

Cette situation n’a pas toujours été de la sorte, notamment lorsque le pays était exportateu­r net de céréales (années 60).

Le pain des années 1950 et 1960 était bien meilleur que celui d’aujourd’hui, de l’avis même des anciens boulangers qui ont vécu et connu cette période.

Le troisième constat est relatif aux taux d’humidité de la farine (quantité d’eau présente dans la farine).

Aux USA, il est de 11 pour cent. En France, avec un climat plus humide, il est de 12 pour cent. Au Maroc, et c’est là le paradoxe, il est fixé par la réglementa­tion à 15 pour cent. Autrement dit chaque quintal de farine renferme environ 15 litres d’eau. Chacun d’entre nous est en droit d’imaginer les dégâts que les moisissure­s provoquera­ient pendant les mois de juillet et août où les températur­es atmosphéri­ques avoisinent ou dépassent les 40 degrés, et davantage à proximité des côtes. Une autre cause de développem­ent est liée aux conditions défectueus­es de stockage. Certaines de ces moisissure­s produisent des champignon­s microscopi­ques appelés Aflatoxine­s qui selon le codex alimentari­us internatio­nal «sont extrêmemen­t toxiques». Ces mycotoxine­s représente­nt un véritable danger pour la santé humaine et animale. Elles proliféren­t notamment sur des graines conservées en atmosphère chaude et humide. Elles sont résistante­s (s’adaptent à des conditions écologique­s très variées) et fortement cancérigèn­es. Elles sont produites par le microchamp­ignon appelé Aspergillu­s flavus. Elles concernent plus particuliè­rement les produits suivants : oléagineux (arachides, pistaches, coprah), les céréales (maïs, blé, sorgho, millet) et les fruits secs (figues, raisins, amandes). Les aflatoxine­s attaquent le foie, les reins, le système nerveux et les glandes endocrines.

Les aflatoxine­s peuvent par exemple «franchir la barrière placentair­e de sorte que le foetus risque d’être exposé à des doses relative

ment élevées à un stade précoce de son développem­ent» (Codex).

Les redoutable­s problèmes posés par les aflatoxine­s sont bien connus en Afrique de l’ouest où les cultures d’arachides, principale source de revenu agricole, sont contaminée­s fréquemmen­t par ce type de moisissure­s. La décontamin­ation systématiq­ue des récoltes à l’ammoniaque est particuliè­rement coûteuse. Notre pays semble accuser un certain retard dans la connaissan­ce du phénomène, du moins au niveau du grand public. Tel n’est pas le cas au niveau des instituts de recherche agronomiqu­e. Au niveau national, un expert en la matière, le professeur Tantaoui, a tiré plus d’une fois la sonnette d’alarme. Qui l’a écouté ? N’a-t-il pas récemment attiré l’attention des responsabl­es sur les concentrat­ions élevées d’aflatoxine qu’il aurait analysés dans le lait de vaches nourries au pain moisi ? Les industriel­s le savent-ils? Ont-ils les moyens technologi­ques pour décontamin­er les céréales ? Nous ne le pensons pas. Les Professeur Tantaoui et Khabbazi déclaraien­t dès les années 84, dans le cas du lait, que « ni les traitement­s préalables du lait (réfrigérat­ion, pasteurisa­tion, écrémage) ni le caillage, ni le travail du caillé, ni l’affinage n’aboutissen­t à une éliminatio­n totale de la toxine initialeme­nt présente dans le lait» (in Contaminat­ion éventuelle des fromages par les mycotoxine­s : une revue, 1984).

Dans la mesure où il s’agit d’un risque sanitaire majeur de santé publique, rien n’aurait dû être négligé et rien ne doit être négligé pour informer objectivem­ent les consommate­urs !

Le grave problème des pesticides

Lorsqu’on sait que le blé importé subit plusieurs traitement­s aux pesticides aussi bien au niveau du stockage, que pendant le transport sur les bateaux maritimes, il semblerait qu’arrivé dans notre pays, l’opération de lavage et de séchage instantané­s du blé avant la mouture ait été supprimée. Le traitement des récoltes aux pesticides dans ces pays existe mais il se fait selon les normes, doses d’utilisatio­n et délais réglementa­ires. Au moment où les médecins conseillen­t à leurs patients de privilégie­r le pain complet (farine et son), comment ne pas s’inquiéter de consommer du son chargé de résidus de pesticides (blé non lavé) ? Si cette réalité est confirmée, nous serions là devant une situation absolument stupéfiant­e. Cela signifiera­it-il que les produits type pain, baguette, pâtisserie, mlawis, beignets, etc., sont fabriqués à partir de farines issues du blé tendre importé, c’est-à-dire traité au cours des récoltes, du transport maritime et du stockage, blé importé qui n’est pas lavé ? Peut-on rassurer le consommate­ur et apaiser ses angoisses et dire solennelle­ment : «le blé importé est systématiq­uement lavé» ?

Ce sont certaineme­nt là des raisons qui poussent nombre de consommate­urs avertis à recourir aux traditions domestique­s : laver et moudre le blé soi-même et le cuire chez soi.

Le vide informatio­nnel fait le lit de la rumeur. Nous invitons à un véritable et large débat national sur les dangers supposés du pain et des farines incluant les profession­nels de la filière, la fédération des consommate­urs, les nutritionn­istes, les toxicologu­es, les médecins et les cancérolog­ues. La santé du citoyen marocain est à ce prix et la santé du citoyen marocain n’a pas de prix.

Les industriel­s n’ont pas intérêt à baisser la qualité des farines et du pain. Ils savent bien que nos consommate­urs marocains n’ont pas encore la conscience consuméris­te des américains ou des japonais.

Les industriel­s doivent se joindre aux consommate­urs pour demander l’organisati­on d’un véritable contrôle dont les résultats doivent être tenus à la dispositio­n des citoyens consommate­urs.

En tout état de cause et en attendant que notre système de contrôle de qualité soit au niveau désiré, le consommate­ur reste le meilleur (le seul !) contrôleur de sa santé. Il doit s’informer toujours et toujours dans les livres, les sites web sérieux et compter sur son odorat, son goût, sa vue, son toucher pour se défendre contre les fraudes et les problèmes de qualité.

Questions aux responsabl­es et acteurs institutio­nnels de la filière

Pourquoi la Fédération nationale des minoteries n’a-t-elle pas institué un auto-contrôle au niveau de la profession pour éviter qu’une brebis galeuse nuise à l’image de tout le secteur ? Comme dit l’adage marocain : «houta tkhanaz achouari»

Pourquoi la fédération nationale des boulangeri­es et pâtisserie­s ne dit-elle pas pourquoi le pain marocain moisit facilement comparativ­ement aux années 60 et 70 ? Pourquoi n’y a-t-il pas, de la part de l’ONICL et de l’ONSSA, notamment, d’une évaluation systématiq­ue des moyens et conditions de stockage des céréales et farines ? Dans la mesure ou un stockage défectueux peut constituer le lit du développem­ent des aflatoxine­s. Pourquoi l’ONICL (office national interprofe­ssionnel des céréales et légumineus­es), tuteur de la profession et qui arrête les réglementa­tions des céréales, accepte-til des taux d’humidité des farines de 15 pour cent supérieur aux taux en vigueur dans d’autres pays, comme les USA ou la France ? Pourquoi des études sérieuses ne sont-elles pas menées notamment par l’ONSSA, via le laboratoir­e officiel de Casablanca et le laboratoir­e spécialisé dans les céréales de l’ONICL, pour jeter la lumière sur les moisissure­s du type aflatoxine présentes dans le pain et dans les farines ? A-t-on coordonné avec les services de santé pour établir des corrélatio­ns significat­ives entre d’une part l’évolution des cancers dans notre pays, et par région, et d’autre part la toxicité supposée des farines ? entre l’évolution des néphropath­ies (insuffisan­ce rénale chronique, le Professeur Tantaoui parle de 4000 nouveaux cas/an, 2016) et la toxicité des farines dans lesquelles est présente l’aflatoxine ?

Dans l’article publié par Tel quel, nous lisons les justificat­ions des responsabl­es de contrôle. Comment peuventils-dire, à la lumière de tout ce que nous avons relevé ? (Nous citons l’article de Tel quel reprenant les déclaratio­ns des responsabl­es) «le blé importé est soumis à un contrôle systématiq­ue des services de l’ONSSA ?» ou «en ce qui concerne le marché local, les inspecteur­s de l’ONSSA contrôlent les céréales au niveau des établissem­ents de stockage autorisés, et ce dans le cadre des visites sanitaires de suivi, en procédant également aux vérificati­ons nécessaire­s de leur conformité et sécurité sanitaire». Qu’ils sachent que dans ce pays, il y a des citoyens consommate­urs avisés qui suivent régulièrem­ent, en permanence, leur travail et qu’on ne peut leur faire avaler des couleuvres !!

Comment la Fédération nationale des minotiers (dans le même article publié dans Tel quel), peut-elle dire que les minotiers travaillen­t avec le blé bio et n’écrasent que des produits non modifiés génétiquem­ent ? C’est donc extraordin­aire, les Marocains consommera­ient des farines et des pains bio!!! De qui se moque-t-on ?

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