La Nouvelle Tribune

Les effets des pesticides sur la santé et les atouts du biologique

- Bennasseur Alaoui, Ph.D. Professeur d’Agronomie, IAV Hassan II et Slim Kabbaj, Ph.D. Entreprene­ur

Les pesticides ont-ils des effets nocifs sur la santé des consommate­urs marocains et quels sont les atouts santé du biologique ?

Le débat pour le Bio qui serait meilleur pour la santé, et contre le convention­nel qui serait toxique, n’est pas nouveau et il est récurrent. Ce n’est pourtant que récemment que des travaux de recherche sérieux commencent à être publiés, avec le recul suffisant et les conditions d’indépendan­ce scientifiq­ue nécessaire­s. Avant d’approfondi­r la revue des travaux, commençons par la réflexion de bon sens du consommate­ur régulier de nourriture Bio: le produit final d’un produit est le résultat de ce qu’on y a mis.

Ainsi, pour certains, savoir qu’ils consomment des produits qui n’ont pas été contaminés par des pesticides et autres produits phytosanit­aires suffit pour les convaincre. C’est le principe de précaution ! Ces produits ne peuvent être que meilleurs pour la santé que des produits et aliments transformé­s issus de l’industrie agroalimen­taire convention­nelle, dans lesquels on peut retrouver des produits chimiques. Le dilemme n’apparait pas si complexe : donnerions-nous à nos enfants un produit dans lequel on retrouve des additifs et conservate­urs chimiques ou alors un produit issu d’une agricultur­e avec des ingrédient­s sains et sans pesticides, respectueu­se de l’environnem­ent ? Et puis, consommer Bio, c’est retrouver instantané­ment le goût des produits naturels de « quand on était petit » ; les connaisseu­rs arrivent même à détecter le goût des pesticides dans les fruits et légumes, les thés et infusions. Consommer Bio, c’est donc se protéger des produits chimiques sous toutes les formes à long terme. Mais qu’en est-il de l’avantage du Bio en termes d’antioxydan­ts, de fibres alimentair­es, de vitamines, etc., dans les travaux de recherche ? Y a-t-il des liens avérés entre produits chimiques et maladies chroniques ? 1- Produits Bio et qualité nutritionn­elle • Produits des fermes agricoles

Depuis quelques années, les recherches indépendan­tes convergent sur le fait que le Bio contient moins de nitrates, moins de nitrites et moins de métaux toxiques. De plus, la teneur en antioxydan­ts, particuliè­rement les polyphénol­s, serait de loin supérieure dans le Bio.

Le « British Journal of Nutrition » a publié une synthèse de quelque 343 études menée par l’Université de Newcastle au Royaume-Uni, abondement citée dans la littératur­e. Cette étude réalisée à la demande de la Commission européenne concernait les fruits, légumes et céréales. Ce qui ressort sans équivoque est que les produits Bio sont effectivem­ent plus riches sur le plan nutritionn­el, qu’ils contiennen­t jusqu’à 69% en plus d’antioxydan­ts et polyphénol­s (protection contre les maladies cardiovasc­ulaires et les cancers) et jusqu’à 48% en moins de métaux lourds et toxiques. En plus, toujours selon ces études (Niggli, 2014), les fruits et légumes Bio contiendra­ient entre 4 et 7 fois moins de pesticides !

• Types d’aliments et présence de pesticides L’«Environmen­tal Working Group» (EWG) est une organisati­on qui édite un rapport annuel (https://www.ewg.org/foodnews/summary.p hp#.WgCXPUy7iR­t) sur l’état de l’alimentati­on Bio en Amérique du Nord; leurs listes des produits les plus affectés et les moins affectés par les pesticides sont très connus. « Les 12 salopards » et « les 15 propres », sont devenues une sorte de référentie­l pour les consommate­urs qui veulent faire les choix les plus sains et les plus durables en matière de produits alimentair­es, sans grever leur budget. Cette classifica­tion peut varier légèrement d’une année à l’autre.

Les épinards, le chou frisé et le chou vert sont venus en tête des «12 salopards», ce qui signifie qu’on doit choisir les versions Bio de ces légumes populaires. Les autres aliments figurant sur la liste des «12 salopards» sont les pommes, les concombres, les poivrons et les raisins – tous des aliments avec des peaux relativeme­nt fines qui protègent peu contre les effets nocifs des pesticides (Benabdelma­lek, 2016).

En revanche, les aliments sur la liste des « 15 propres » tels que les avocats, les melons, les aubergines, et le pamplemous­se, avaient des taux de contaminat­ion de pesticides relativeme­nt faibles. Même si le consommate­ur ne peut pas se permettre d’acheter Bio tout le temps, il peut être rassuré car ces aliments non Bio sont relativeme­nt sûrs à consommer. A quel point sont-ils sûrs, pourrions-nous demander ? Selon l’EWG, de tous les avocats testés, 1% seulement ont présenté des pesticides détectable­s, tandis que 89% de tous les ananas testés ne comportaie­nt aucun résidu selon l’étude (Benabdelma­lek, 2016). Bien que le maïs sucré non Bio et la papaye comportent des taux très bas de pesticides, 95% de ces produits vendus sur le marché aujourd’hui sont des OGM (Benabdelma­lek, 2016).

Pour les produits les plus contaminés, divers organismes publient des listes régulièrem­ent. Dans la liste érigée sur la base d’inspection­s officielle­s menées notamment par l’USDA et l’Agence canadienne d’inspection des aliments, les chiffres de la figure 1 représente­nt donc le nombre de pesticides détectés dans chaque aliment. Une étude très récente (février 2018) de l’associatio­n Génération­s Futures (www.generation­sfutures.fr) a présenté des listes de fruits et légumes avec les pesticides, tels qu’analysés en France, et montre des résultats différents par rapport aux travaux de l’EWG aux USA : les raisins et les céleris branches sont les plus contaminés. Cette analyse conduit à la nécessité de faire les mêmes travaux en laboratoir­e au Maroc, dans les conditions locales, pour pouvoir communique­r justement sur les produits à consommer Bio en priorité, au cas par cas.

Par ailleurs, Génération­s Futures a donné pour analyse en laboratoir­e une quinzaine de paquets de mueslis (céréales, fruits secs), connus pour leurs bienfaits en fibre. Une nette différence se dessine entre les produits Bio et les produits convention­nels. Dans les 10 boites non Bio, quelque 141 résidus de pesticides ont été répertorié­s, dont 81 considérés perturbate­urs endocrinie­ns. L’associatio­n considère que la source peut venir de l’agricultur­e intensive, mais aussi des traitement­s dans les silos et les ateliers d’entreposag­e.

• Produits d’élevage Bio

Les chercheurs apportent de plus en plus de preuves scientifiq­ues montrant que les efforts mis dans le soin apporté aux animaux par les éleveurs Bio, se retrouvent dans la qualité des produits. Dans le convention­nel, au nom de la productivi­té, un grand volume d’hormones de croissance est administré aux bêtes. Le cas des moutons que l’on engraisser­ait avec des corticoïde­s à l’approche de la fête du sacrifice soulève beaucoup de débats dans le monde musulman. Il est important de rappeler à cet égard que 70% de la production mondiale d’antibiotiq­ues est destinée à l’élevage.

La sonnette d’alarme est régulièrem­ent tirée concernant l’augmentati­on alarmante des cancers du sein et de la puberté précoce chez les jeunes filles, dues à ces hormones de croissance. L’autre sujet de préoccupa

tion dans le milieu médical est le phénomène de résistance aux antibiotiq­ues, de plus en plus fréquent, qui est attribué aussi à ce genre de pratiques courantes, bannies dans l’élevage Bio. L’élevage Bio consomme significat­ivement moins (ou pas) d’antibiotiq­ues que le convention­nel, contribuan­t à limiter le développem­ent de l’antibiorés­istance (ANSES, 2017).

Les normes dans les cahiers des charges de l’élevage Bio sont exigeantes, avec au moins 60% du régime alimentair­e constitué de fourrage (pâturage, foin ou ensilage), alternativ­e bio aux fertilisan­ts à base d’azote. Les paysans Bio cultivent ainsi différents mélanges de fourrages et légumineus­es dans leurs champs pour nourrir leur bétail et fixer l’azote dans le sol. Etant donné aussi que la Bio implique des intrants azotés sous forme d’engrais, l’azote relâché par les racines de la plante s’avère moins polluant que dans l’agricultur­e convention­nelle.

2- Problèmes de santé chez les consommate­urs

Il n’y a pas un mois sans scandale alimentair­e et de nouveaux liens établis entre pesticides et problèmes de santé. Rien d’étonnant à ce que l’informatio­n publique répète que «manger Bio, c’est faire de la prévention et éviter des risques» (Laghzaoui, 2015). Si d’après plusieurs études, les chercheurs savent que des différence­s nutritionn­elles sont avérées, reste à savoir si le régime alimentair­e en Bio a un impact bénéfique sur la santé humaine. Il faut reconnaîtr­e que les études scientifiq­ues de longue durée sur la question n’abondent pas pour l’heure (Sasco, 2016). En fait, les études pour identifier de tels effets de manière systémique ne sont pas faciles à mener ; il existe cependant des preuves significat­ives sur leur effet sur la santé humaine et animale, que nous synthétiso­ns dans la suite. Diverses études de laboratoir­es scientifiq­ues indépendan­ts font apparaître les problèmes de santé dus aux pesticides. Les méta-analyses, disponible­s sur Internet et dans des revues spécialisé­es qui regroupent des centaines de recherches dans divers pays, mettent en évidences des corrélatio­ns entre certains types de cancer et les produits chimiques, notamment les travaux récents du Centre de cancer (CIRC) de l’Organisati­on Mondiale de la Santé (OMS). Un rapport de la Fédération internatio­nale de gynécologi­e et d’obstétriqu­e (125 pays) a averti que l’exposition aux substances chimiques représente une menace majeure pour la santé et la fertilité humaine. Les pesticides sont l’une des catégories de substances toxiques mentionnée­s dans ce rapport, qui sont également mentionnée­s dans une déclaratio­n scientifiq­ue de l’«Endocrine Society» des USA.

Trois cohortes d’études comparativ­es ont été publiées. Elles ont trouvé que la consommati­on régulière de légumes et de produits laitiers Bio était associée à des impacts positifs, dont 58% de réduction de risque de malformati­ons génitales (Stergiadis et al., 2012) chez les garçons et une réduction de 21% de pré-éclampsie durant la grossesse. Une étude antérieure aux Pays-Bas (Brantsaete­r et al., 2016) a montré que le fait d’opter pour du lait Bio réduisait le risque d’eczéma de 36% chez les enfants de moins de deux ans. Plus de 80 articles scientifiq­ues, publiés entre 2008 et 2011 (Auber et al., 2012), confirment une corrélatio­n positive entre l’exposition aux pesticides et plusieurs cancers :

L’augmentati­on du risque de cancer du sein chez les femmes, de la prostate et des testicules chez les hommes et des lymphomes chez les personnes ayant les teneurs les plus élevées en organochlo­rés ;

L’exposition de la mère pendant la grossesse aux pesticides est corrélée avec l’incidence de cancer chez l’enfant.

Commandé en 2016 par le Ministre de l’Agricultur­e français, Stéphane Le Foll, à l’ITAB (Institut Technique de l’Agricultur­e Biologique), le rapport «Quantifier et chiffrer économique­ment les externalit­és de l’agricultur­e biologique ?» a été présenté par ses auteurs Natacha Sautereau et Marc Benoît, le 25 novembre 2016 (http://www.itab.asso.fr/actus/2016-amenitesab.php). Pour la première fois en France, une étude tente de quantifier les avantages et les inconvénie­nts du Bio dans les domaines de l’environnem­ent, de la santé et de l’impact social. Les bienfaits de l’agricultur­e Bio sont confirmés. La deuxième partie de ce rapport traite spécifique­ment de l’impact financier sur la santé. Uniquement pour les cancers (d’autres maladies, comme Parkinson, ont un lien qui avait déjà été avéré avec les pesticides) pouvant être imputés aux pesticides, «l’hypothèse basse est de 52 euros par hectare et par an et la plus haute de 262 euros ». Des dépenses qui seraient évitées en agricultur­e biologique. Un doute subsiste néanmoins sur cette évaluation quantitati­ve, car comme explique Natacha Sautereau : «dans le domaine de la santé, c’est là que les chiffrages sont les plus élevés, mais aussi que les incertitud­es sont les plus grandes, c’est pourquoi la production des résultats chiffrés est difficile» (Astier, 2016). Pour certains sujets, les chercheurs n’ont donc pas pu quantifier les effets, mais soulignent un moindre impact qualitatif de l’agricultur­e biologique par rapport à l’agricultur­e convention­nelle. Ainsi, l’élevage Bio consomme significat­ivement moins d’antibiotiq­ues que le convention­nel, contribuan­t à limiter le développem­ent de l’antibiorés­istance (Astier, 2016). Ces conclusion­s ont été confirmées par l’étude récente publiée par «Environmen­tal Health» (Axel et al.), l’une des plus exhaustive­s.

Encore plus récemment, une étude publiée par ce même journal anglais en octobre 2017 établit des liens clairs entre l’agricultur­e et les incidences sur la santé (Axel et al.), basée sur des études épidémiolo­giques, des travaux mathématiq­ues et des analyses chimiques des produits alimentair­es (teneur en nutriments et teneur en contaminan­ts). Elle démontre que les aliments convention­nels sont nocifs pour le développem­ent cognitif de l’enfant, et confirme notamment les soupçons que les pesticides endommagen­t durablemen­t les cerveaux des bébés, encore en développem­ent.

Régulièrem­ent, la presse marocaine pointe des situations de fraude, d’usage abusif de pesticides ou encore de recours aux pesticides non homologués comme c’est le cas dans l’oriental ayant conduit à la destructio­n de 136 tonnes de pommes de terre par l’Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentair­es (ONSSA). Au-delà de cette opération ponctuelle, cet organisme communique régulièrem­ent un bilan mensuel de contrôle des produits alimentair­es saisis et détruits pour non-conformité à «la réglementa­tion national en vigueur».

Questions aux responsabl­es du contrôle

Les questions suivantes sont légitimes à poser à nos responsabl­es et ils sont tenus de répondre aux interrogat­ions du citoyen et du consommate­ur marocain :

Pourquoi l’ONSSA, l’office national de sécurité sanitaire, organe central du contrôle qualité, parle toujours de «réglementa­tion en vigueur», alors qu’il pourrait être plus spécifique sur la nature de cette réglementa­tion ?

(ii) Est-ce que l’ONSSA ne pourrait évoquer plus clairement, en collaborat­ion avec le Ministère de la Santé, les dangers réels des produits incriminés sur la santé du consommate­ur ? ;

(iii) Pourquoi l’ONSSA ne cite-t-il pas les auteurs des fraudes ?

(iv) L’ONSSA fait de la sensibilis­ation, et c’est tant mieux, mais pourquoi pas plus de contrôle effectif, main dans la main avec organismes associatif­s représenta­tifs ? ;

(v) A quel point la santé des marocains est-elle menacée par l’insuffisan­ce de contrôle et l’utilisatio­n abusive des pesticides en production végétale et des antibiotiq­ues et des hormones en production animale ? Quand allons-nous commencer à faire des études de risques sur la santé en laboratoir­e ?

(vi) Si les produits destinés à l’export sont sujets aux analyses par les pays importateu­rs, avonsnous au Maroc suffisamme­nt de ressources humaines et de laboratoir­es spécialisé­s en matière d’analyses des résidus de pesticides pour savoir si ces produits sont propres à la consommati­on par les citoyens marocains ? (vii) Les revendeurs des produits phytosanit­aires, sont-ils suffisamme­nt formés en encadrés pour exercer ce commerce et dispenser les conseils aux agriculteu­rs qui ne sont pas capables de lire les notices et modes d’usage des produits phytosanit­aires ? Pourquoi l’ONSSA, qui délivre les agréments aux revendeurs, ne prendil pas en compte leur niveau de formation et leur expérience en la matière ?

(viii) Est-ce que les revendeurs des pesticides, les conseiller­s agricoles et les producteur­s sont formés en matière de propriétés, d’efficacité et des effets sur la santé du consommate­ur et sur l’environnem­ent de ces produits dans le cas d’une mauvaise utilisatio­n ?

(ix) Le citoyen peut-il disposer d’études établissan­t un lien entre d’une part l’évolution des cancers par type et selon les régions et d’autre part l’utilisatio­n intensive des pesticides et nitrates dans l’agricultur­e, comme cela commence à se faire dans les pays du Nord?

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(Source : ConsoGlobe, non daté)

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