L’autonomie fiscale, aspect fondamental des finances locales
Chaque année, la Trésorerie Générale du Royaume (TGR) organise, en partenariat avec l’Association pour la Fondation Internationale de Finances publiques (FONDAFIP) et la Revue Française de Finances Publiques (RFFP), des conférences autour de thématiques liées aux finances publiques. La haute qualité des intervenants et des débats permet l’élaboration de recommandations destinées aux gouvernements des deux pays. Ce samedi 2 mars, le thème choisi était « Autonomie fiscale locale et développement territorial : diagnostic et état des lieux ».
Le régime fiscal local constitue un déterminant « important » du modèle de décentralisation, au regard de sa capacité de conditionner, « dans une certaine mesure », l’autonomie de gestion de la collectivité territoriale, a affirmé, lors de la séance d’ouverture, le Trésorier Général du Royaume, M. Noureddine Bensouda. « Le régime fiscal local reste un important déterminant du modèle de décentralisation, puisqu’il conditionne, dans une certaine mesure, l’autonomie de gestion de la collectivité, ainsi que le niveau et la qualité des services qu’elle peut offrir aux citoyens. J’ai bien dit ‘dans une certaine mesure’, car l’autonomie fiscale et l’autonomie financière, quoiqu’intimement liées, ne sont pas, pour autant, consubstantielles », a expliqué M. Bensouda. De surcroît, a-t-il poursuivi, l’histoire administrative et la culture politique, qui sont bien entendu des facteurs non liés aux ressources, influent également sur la réalité de la décentralisation et ce, indépendamment du modèle théorique.
Un modèle « optimal » de décentralisation
Parallèlement, M. Bensouda a souligné l’évolution constante du processus national de décentralisation depuis la promulgation du Dahir du 2 décembre 1959 portant division administrative du Royaume aux trois lois organiques de 2015 relatives aux régions, aux préfectures et provinces et aux communes. Le Maroc est toujours à la recherche d’un modèle optimal de décentralisation. Et c’est dans le qualificatif « optimal » que réside et se concentre toute la difficulté, a-t-il dit, expliquant qu’un tel modèle doit prendre en considération les besoins en termes de subsidiarité tout en gardant la centralité du pouvoir de l’Etat.
Il doit, aussi, pouvoir assurer un développement local qui soit en parfaite cohérence avec l’élan de développement national, et prendre en considération les grandes disparités entre les collectivités locales, notamment en matière de capacité de gestion, de disponibilité de ressources, du potentiel intrinsèque de toute nature. Le Trésorier Général du Royaume a également relevé qu’il s’agit là d’un processus continu, qui évolue à l’aune de l’évolution de la société elle-même, en essayant en permanence de relever les nouveaux défis et de répondre aux nouveaux besoins qui résultent de cette évolution.
Intervention du Pr Bouvier
Pour sa part, Michel Bouvier, Professeur universitaire et Président de la FONDAFIP, a expliqué que l’autonomie fiscale locale comme moteur du développement socio-économique territorial, et a rappelé l’historique de la décentralisation chez les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), notamment à partir des années 70 marquées par deux chocs pétrolier et une profonde crise économique mondiale, notant, à ce titre, que les exigences actuelles de la fiscalité locale ne correspondent pas souvent à leurs fondements. La question de l’autonomie fiscale Selon le Pr. Bouvier, l’autonomie fiscale locale dépend beaucoup des rapports entre les collectivités locales et l’Etat. Le principe d’autonomie financière des collectivités locales reste tributaire de la réalisation de l’autonomie fiscale, at-il jugé, faisant remarquer que l’autonomie fiscale est reconnue aux collectivités locales aussi bien au Maroc qu’en France, mais l’autonomie fiscale pose une autre question beaucoup plus fondamentale.
Suite à la grande crise économique des années 70, plusieurs pays ont estimé que les collectivités locales, les finances locales et la fiscalité locale étaient des moyens de revitaliser l’économie et de stimuler la croissance économique, ce qui a déclenché le processus de décentralisation, a rappelé le Pr Bouvier, soulignant que ce modèle a montré ses limites et que l’idée selon laquelle l’Etat devait être le régulateur majeur d’une société et garant de son rééquilibrage s’est progressivement imposée. S’agissant du rôle des finances locales comme outil de développement territorial, le Pr. Bouvier a nuancé: « Ce n’est pas tant l’autonomie fiscale que la capacité d’une collectivité locale à développer ses finances ». D’après lui, la collectivité doit disposer d’impôts suffisamment stables pour pouvoir développer une politique économique locale sur la base de ces recettes
fiscales.
Parallèlement, il a mentionné l’hypothèse de remonter la fiscalité au niveau de l’Etat et redistribuer une partie du produit des impôts d’Etat aux collectivités locales en utilisant une péréquation verticale, pour une redistribution en fonction d’un certain nombre de critères. Cela permettra, comme l’a précisé le Pr. Bouvier, d’abandonner la décentralisation financière telle qu’elle a été conçue dans les années 80. C’est-à-dire séparer la fiscalité de la décentralisation qui sera basée sur nouveau modèle financier local à même de répondre aux exigences actuelles des collectivités territoriales.
Une évaluation périodique Après ces constats, M. Bensouda, a tenu à bien faire comprendre l’importance d’une évaluation périodique du système fiscal local en vue de consolider l’autonomie financière des collectivités territoriales.
« Pour pouvoir réussir dans cette voie et consolider l’autonomie financière des collectivités territoriales, il est nécessaire de procéder périodiquement à l’évaluation du système fiscal local et d’assurer un reporting régulier auxdites collectivités pour leur permettre de mieux piloter leur fiscalité », a-t-il dit lors d’un panel tenu dans le cadre du colloque-webinaire ». Ce panel a été aussi l’occasion pour M. Bensouda de rappeler que les collectivités territoriales disposent d’une autonomie relative de décision, et d’un pouvoir propre leur permettant de fixer les taux de certaines taxes dans la limite d’une fourchette établie par la loi.
Et de poursuivre: « A titre d’illustration, le recensement de la matière imposable de la taxe d’habitation et de la taxe professionnelle mériterait d’être régulièrement effectué avec l’appui des autorités locales en vue d’élargir l’assiette et d’augmenter le rendement. Or, dans les faits, il semble qu’il existe une certaine réticence à le réaliser, sous peine que les élus déplaisent à leur électorat ». En ce qui concerne la fixation des taux de certaines taxes, prérogative relevant de la compétence des collectivités territoriales, les élus recourent le plus souvent à l’application des taux marginaux des taxes, a fait remarquer le Trésorier Général du Royaume, ajoutant que dans ce cas précisément, la question se pose si la variabilité des taux a encore un sens ou encore si le parlement ne doitil pas fixer les taux une fois pour toutes.
« En somme, s’il est légitime de reconnaître une relative autonomie fiscale des collectivités territoriales, certaines recommandations vont dans le sens de confier la gestion de la fiscalité locale à une administration neutre et loin de toute interférence politique », a noté M. Bensouda, estimant que « la voie d’une administration professionnelle pour gérer la fiscalité locale semble être la plus adaptée à notre environnement économique et social ». Il a, parallèlement, indiqué que la loi n°07-20 de 2020 qui a modifié la loi n° 47-06 de 2007 sur la fiscalité des collectivités territoriales, a confié l’assiette et le recouvrement de la taxe d’habitation et de la taxe de services communaux à la TGR, tandis que l’assiette et le recouvrement de la taxe professionnelle ont été confiés à la Direction Générale des Impôts. Il s’agit là de l’entame d’un processus de gestion fiscale neutre qui gagnerait à être renforcé et qui permettrait, sans aucun doute, plus d’efficacité et de rendement, a détaillé M. Bensouda, indiquant que la mise en oeuvre de cette nouvelle approche de gestion de la fiscalité locale a été lancée, en 2021, par une expérience pilote au niveau de la ville de Mohammedia et qui sera bientôt généralisée à l’ensemble du territoire national.
Dans le même sillage, et pour permettre une gestion efficiente de la fiscalité gérée par les collectivités territoriales, le périmètre du système de gestion intégrée de la recette (GIR) de la TGR a été étendu pour prendre en charge les fonctionnalités d’assiette et de liquidation dévolues aux ordonnateurs et celles d’encaissement assurées par les régisseurs. Dans ce contexte, et toujours selon M. Bensouda, la fiscalité locale devrait être un instrument de politique économique qui contribue à consolider le processus de décentralisation. « La fiscalité locale doit être considérée comme un instrument de politique économique qui participe à la consolidation du processus de décentralisation, à travers l’amélioration des ressources fiscales propres et le partage des impôts d’Etat de manière rationnelle », a-t-il préconisé. L’objectif est de répondre aux attentes des citoyens par des politiques publiques mieux territorialisées, à même de satisfaire leurs besoins spécifiques et de faire fructifier les opportunités au niveau local, a-t-il expliqué. Pour cela, il est nécessaire « de faire des acteurs territoriaux les principaux acteurs du développement des régions et d’élargir leurs marges d’action et les outils de développement auxquels ils ont accès, comme le recours à des autorités régionales de développement pour porter des projets d’envergure ou la dynamisation du tiers secteur comme acteur du développement local ». Et de soutenir: « Cela exige en définitive, davantage de partage de responsabilité entre acteurs, de synergie et d’intégration des politiques publiques ». Parallèlement, le Trésorier Général du Royaume a relevé qu’une fiscalité gérée par le politique au niveau local ne peut favoriser une autonomie fiscale des collectivités territoriales, estimant que face à cette situation, il faudrait trouver une solution pérenne pour les finances locales, fondée sur des modes de financement autres que les transferts de l’Etat. « En effet, les transferts du budget de l’Etat ne pourront jamais permettre aux collectivités territoriales d’atteindre l’autonomie financière. Ils génèrent bien au contraire un accroissement de la dépendance des collectivités territoriales envers l’Etat, et par conséquent, une diminution de l’autonomie fiscale recherchée », a-t-il noté. S’agissant de la situation des finances locales au Maroc, elle ne laisse pas beaucoup de marge de manoeuvre aux pouvoirs locaux pour le développement territorial, d’où la nécessité de rechercher d’autres sources de financement des collectivités territoriales, a recommandé M. Bensouda. Il s’agit notamment de la réforme en profondeur de la fiscalité locale, principalement par l’élargissement de l’assiette fiscale locale et la réduction de certaines exonérations, ainsi que de l’amélioration du rendement des taxes locales en confiant la gestion à une administration neutre et professionnelle, a-t-il détaillé. Il est aussi question de rationaliser les dépenses locales afin de dégager des espaces budgétaires pour l’investissement et de recourir à l’emprunt en vue de financer des projets d’investissement créateurs d’emplois. Ce colloque-webinaire s’est articulé autour de trois panel portant sur l’autonomie fiscale et le développement territorial, outre la gouvernance et la gestion de la fiscalité locale. Plusieurs experts, économistes, fiscalistes et chercheurs nationaux et internationaux ont pris part à cette rencontre, laquelle s’inscrit dans le cadre des événements scientifiques de la TGR qui ambitionne d’incarner la volonté de partage et d’échange et de contribuer à faire mûrir la réflexion et enrichir le débat sur nombre de sujets cruciaux ayant trait aux finances publiques.