Amina Benkhadra, Directeur Général de l’ONHYM « Le Maroc bénéficie d’une géologie favorable, d’un environnement stable sur le plan politique et sécuritaire et d’un cadre législatif attractif »
A l’occasion d’une intervention de Mme Benkhadra, Directeur Général de l’ONHYM, au Parlement en avril dernier, portant sur l’activité des hydrocarbures de l’Office National des Hydrocarbures et des Mines, certains médias ont annoncé indument des découvertes d’hydrocarbures importantes par le Royaume du Maroc. Certes, cette information très attendue, aurait été la bienvenue, mais dans le cas d’espèces, celles-ci sont de taille modeste (exemple du Gharb, Essaouira, Tendrara, Lixus…) pour pouvoir propulser le Maroc parmi les pays exportateurs. Pour clarifier les choses, nous avons approché Mme Benkhadra Amina qui a accepté de partager avec nous les points forts de l’activité d’exploration des hydrocarbures de l’office, objet de son intervention au parlement, à travers les missions de l’ONHYM, les avancements des travaux de ses équipes de géologues, leur étendue géographique, ses contraintes multiples et ses moyens financiers. Dans l’interview qui suit, Mme Benkhadra explique les différentes étapes qui s’imposent durant l’exploration pétrolière, les processus requis pour le domaine minier et celui des hydrocarbures. De même, elle a bien voulu partager avec nos lecteurs certains résultats de l’office en apportant des réponses pragmatiques aux questions récurrentes relatives aux découvertes minières et en hydrocarbures au Maroc.
La Nouvelle Tribune : Mme Benkhadra, l’ONHYM que vous dirigez a fait l’actualité à la suite de votre présentation de l’activité de recherche des hydrocarbures au Parlement, pouvez-vous nous en retracer les grandes lignes ?
Mme Benkhadra : En effet, certains médias ont fait des sorties sur les travaux menés par l’ONHYM ou certains de ses partenaires, il est bon d’en clarifier la teneur. Je voudrais d’abord rappeler que l’ONHYM est l’organe de l’État en charge de l’exploration des hydrocarbures mais aussi des mines et que dans ce cadre-là, nous opérons dans un processus bien organisé, fait de phases déterminées, qui vont de la reconnaissance générale à celles du contrôle des play concepts et de prospects avant de procéder à des opérations plus fines jusqu’au forage.
Cette dernière étape permet de définir de façon plus précise les résultats, à savoir les ressources potentielles dans un bassin. Tout au long du processus, on parlera de ressources potentielles en place, de ressources prospectives (non découverte, c’est-à-dire avant forages) et de ressources découvertes (après forage) à différents degrés de reconnaissance (ressources potentielles découvertes en place ou récupérables, jusqu’aux réserves avec plusieurs degrés : réserves possibles, probables et prouvées). Ces opérations sont menées en partie par nous-mêmes avec nos équipes qui font des études d’évaluation géologiques sur des bassins onshore ou offshore. Toutefois, la majeure partie de nos travaux sont réalisés par des partenaires, pour la majorité des groupes internationaux, qui sont soit des majors, des groupes indépendants ou des sociétés juniors, cotées en bourse.
Le Maroc est donc très attractif du fait de ses richesses potentielles minières et en hydrocarbures ?
Le Maroc est très attractif parce qu’il a une géologie favorable, il jouit également d’un environnement stable sur le plan politique et sécuritaire qui est porteur et dispose d’un cadre législatif attractif. La loi sur les hydrocarbures est considérée au niveau international comme incitative parce qu’elle offre aux investisseurs qui financent seuls les travaux d’exploration, des avantages certains. Le premier avantage porte sur le fait qu’en cas de découverte, l’État marocain, représenté par l’ONHYM, ne s’attribue que 25% du projet de développement qui s’en suit, laissant 75% pour le partenaire. De plus, les sociétés intervenantes bénéficient d’exonérations de TVA et des droits de douane sur le matériel importé en plus d’une exonération de l’IS sur les 10 premières années d’exploitation.
Pour les hydrocarbures, le contrat de reconnaissance et le permis d’exploration sont octroyés dans des conditions transparentes et simples.
Le premier a une durée d’une année renouvelable une ou deux fois, selon l’étendue des zones. Le permis d’exploration prend le relai pour une durée de 8 ans, divisée en 3 périodes. A l’issue de chaque étape et en fonction des résultats obtenus, le partenaire décide de continuer ou d’arrêter.
Et bien sûr, l’État marocain peut mettre fin à un permis si le partenaire ne respecte pas ses engagements.
Qui sont vos principaux partenaires étrangers, dans quels domaines sont-ils le plus présents ?
Les partenaires de l’ONHYM dans les activités associées aux hydrocarbures sont des sociétés de différentes nationalités, européennes, notamment anglaises mais aussi américaines ou autres. Le Maroc étant un pays sous exploré, dans le volet hydrocarbures, nos équipes, après avoir mené les premières analyses et études géologiques, participent à de nombreuses conférences au niveau mondial pour présenter les bassins marocains et attirer l’attention de partenaires étrangers. Les investisseurs qui sont intéressés par ces informations se déplacent au Maroc, pour analyser en détail les données géologiques et techniques lors de Data Room pour confirmer leur intérêt pour une zone, et décider de signer un contrat de reconnaissance ou un permis d’exploration. La promotion est donc une de nos missions fondamentales.
Elle constitue le second pilier de la stratégie de l’ONHYM, après son capital humain dont les équipes qui réalisent les travaux géoscientifiques.
Mme Benkhadra, le bilan de l’ONHYM n’est-il pas plus probant dans le secteur des mines que dans celui des hydrocarbures ?
Les mines et les hydrocarbures sont des ressources du soussol. Il s’agit de substances enfouies sous terre qui sont repérées avec des techniques très spécifiques Certes, le secteur minier est de très longue tradition au Maroc, il peut se prévaloir d’une expérience et d’un savoir-faire qui remonte au Moyen-Âge, sachant que le Maroc les exploite depuis une centaine d’années. Au-delà des phosphates, notre première richesse qui place le Maroc en acteur stratégique à l’international et dont l’exploitation et la commercialisation relèvent du périmètre de l’OCP, nous avons une multitude de substances minérales qui vont des métaux de base( le cuivre, le plomb, le zinc,..) les métaux précieux (l’or, l’argent) et d’autres substances (le manganèse, le fer, la barytine ,le cobalt ,…), ainsi que d’autres substances dites utiles comme la bentonite, la calcite, soit des substances très diversifiées.
Dans ce secteur, l’ONHYM agit en tant qu’établissement public, il effectue la recherche et également la promotion de ses permis. Auparavant, nous étions intégrés de l’amont à l’aval, soit de l’exploration stratégique et tactique à l’identification de la ressource et des réserves, son étude et son développement, jusqu’à la création d’une filiale dédiée à son exploitation. Avec la privatisation intervenue à ala fin des années 1990, toutes nos filiales ont été cédées au privé et l’ONHYM se positionne donc actuellement en amont. Aujourd’hui, le secteur minier au Maroc est composé de sociétés minières d’importance dont MANAGEM, COMABAR, SSM, SACEM, Jbel Aouam ,Aya et d’autres, qui exploitent, produisent et exportent, tout en faisant de la recherche autour de leur propre gisement.
Dans le secteur des Mines, l’effort déployé au niveau des investissements par la partie marocaine publique ou privée représente 75 à 80% contre 20 à 25% par les partenaires étrangers.
Ce secteur continue de donner des richesses, nous venons de faire un appel d’offres pour le site d’or de Tafrent pour lequel nous avons reçu 5 offres qui sont en cours d’études.
Le secteur des hydrocarbures au Maroc fait l’objet tout particulièrement d’une certaine attente de découvertes, pouvez-vous exposer la stratégie de l’ONHYM en la matière ?
Il faut savoir que contrairement au secteur minier, les investissements dans le secteur des hydrocarbures est réalisé à plus de 95% par les partenaires étrangers. A date, 13 sociétés partenaires sont actives au Maroc. De fait, ce secteur est très risqué et très capitalistique, et les ressources propres de l’ONHYM sont insuffisantes. C’est donc grâce aux investissements étrangers que nous pouvons aller plus loin dans le processus de l’exploration. Pour faire le point, on doit admettre que la densité des forages réalisés au Maroc est infime. D’après les critères admis dans le domaine de l’exploration des hydrocarbures, un pays est suffisamment exploré quand il réalise 10 puits par 100 kilomètres carrés. Le Maroc en est à 0,04 puits sur la même superficie, c’est dire qu’il est loin de cette norme. Comme je l’ai annoncé au Parlement, sur les 20 dernières années nous avons foré 67 puits dans le bassin du Gharb quand d’autres pays réalisent au moins 50 puits par an. Certes, le Maroc fournit des efforts, associe des investisseurs et des explorateurs étrangers, mais le résultat est insuffisant par rapport à nos bassins sédimentaires et leur potentiel surtout en offshore.
Quelles sont les aréalisations du Maroc, précisément ?
Au Maroc, les puits forés sont situés dans le bassin du Gharb où nous avons des découvertes régulières. Il s’agit de petites poches de gaz qui alimentent 7 à 8 sociétés dans la zone industrielle de Kenitra. Nous forons aussi dans la région de Meskala qui appartient à 100% à l’ONHYM, où nous produisons du gaz pour les usines de séchage de l’OCP.
Nous avons des perspectives de développement dans la zone de Meskala parce que suite à des travaux d’acquisition, traitement et interprétation sismiques et un forage que nous allons développer en 2023 et 2024, nos résultats sont probants. Nous avons fait également des consultations pour un partenariat sur le grand Meskala. Dans la région de Tendrara, notre partenaire Sound Energy, à la suite de 2 puits positifs, a mis en place un plan de développement pour alimenter via un gazoduc les centrales de l’ONEE.
De même, il a engagé une étape préliminaire pour du gaz GNL porté, destiné à des industriels sur la côte atlantique en 2024. Nous avions par ailleurs annoncé au début de l’année 2022, au large de Larache, que le permis LIXUS a abouti à des résultats très encourageants suite au forage réalisé par notre partenaire Chariot, qui y réalise des études complémentaires pour l’évaluation des ressources et le développement du projet, dans une perspective de mise en production fin 2024.
Toutefois, il s’agit encore de volumes limités, mais qui peuvent être améliorés en poursuivant les travaux d’évaluation et de forage.
A ce sujet, il faut faire la distinction entre une ressource potentielle et une réserve ! Dans le cas d’espèce, notre partenaire
Europa Oil a indiqué dans son rapport d’activité sur le permis d’Inezgane Offshore qu’il évalue les ressources potentielles (avant forage) à un milliard de barils. Il s’agit d’une estimation dont les forages préciseront la proportion concrète.
Entre une ressource potentielle et une découverte, il y a un long chemin fait d’investissements, de travaux et de forages. Pour revenir à ce qui a été divulgué par les médias, au large de Tarfaya, il n’y pas eu de découverte mais des programmes d’exploration et des puits qui ont montré des indices de gaz ou pétrole.
Vous avez parlé d’opportunités pour les investisseurs. Comment cela se traduit-il ?
Les investisseurs prennent des risques en espérant faire une découverte. Ce sont des sociétés qui ont un portefeuille diversifié qui leur procure des résultats variables, positifs dans une zone et négatifs dans l’autre. Ainsi en intervenant dans différentes zones à travers le monde, ils s’assurent que les échecs rencontrés dans une zone seront compensés par des résultats positifs et des profits dans d’autres zones. Au Maroc, ces sociétés sont attirées particulièrement par l’incitation à bénéficier de 75% du gisement en cas de découverte et d’une géologie qui présente des analogies avec des bassins à l’international. Sachant que le code des hydrocarbures jusqu’en 2000 imposait 51 % à l’État marocain et 49% au partenaire étranger. Depuis, on a atteint le pic d’une trentaine de sociétés opérant au Maroc.
Pourquoi ces sociétés ne sont plus que 13 aujourd’hui ?
A cause des crises économiques qui se sont succédées depuis 2014., ces dernières impactent les investissements dans le secteur du Oil & Gas ; lorsque les prix du baril et du gaz baissent, ils entrainent dans leur sillage les investissements au niveau mondial et dans les différentes zones.
Donc, aujourd’hui les prix du gaz et du pétrole étant à leur plus haut niveau, les investisseurs sont en haute saison ?
Oui, quand les prix sont à des niveaux records, en principe les investissements d’exploration sont expansifs car du fait de la réévaluation de leur portefeuille, les sociétés peuvent prendre de nouveaux risques. C’est le cas particulièrement des majors qui ont des portefeuilles très larges dans plusieurs zones, les sociétés juniors cotées en bourse lèvent des fonds en fonction de l’avancement de leurs travaux, donc au gré des bonnes nouvelles, le marché financier les finance d’avantage pour continuer à investir.
Différentes sociétés majors ont investi au Maroc dans le secteur des hydrocarbures au fil du temps, parmi lesquelles Chevron,
ENI, Total, Shell, Petronas une société malaisienne qui a foré au large de Rabat-Salé il y a une dizaine d’années.
Elles viennent et repartent an fonction de leurs intérêts et des priorités de leurs portefeuilles. Pour aller vers des découvertes, il faut multiplier les efforts d’investissements en termes de travaux géologiques et géophysiques dans certains bassins et augmenter le nombre de puits. Par exemple, une dizaine de puits sur le bassin de Boujdour ou 4 ou 5 puits d’un coup sur la zone de Tarfaya pourrait donner plus de résultats. Le Maroc n’a pas assez foré pour faire de vraies découvertes. A titre comparatif, dans la Mer du Nord, avant la première découverte commerciale, pas moins de 200 puits ont été forés dans cette même zone alors que l’offshore marocain n’est couvert que par 43 puits d’exploration.