La Nouvelle Tribune

L’Afrique a besoin de ses marchés des capitaux pour la relance

African Capital Markets Forum

- Selim Benabdelkh­alek

En novembre dernier, l’African Securities Exchanges Associatio­n (ASEA) organisait sa conférence annuelle depuis la Bourse de Casablanca. Grand promoteur du développem­ent des marchés des capitaux en Afrique, son président, Dr Edoh Kossi Amenounve, également DG de la BRVM, la place boursière entièremen­t digitale qui représente 8 pays de l’UMOA, y avait exprimé sa conviction que les marchés des capitaux africains sont un outil idoine pour un développem­ent pérenne du continent. Il regrettait également que malgré de nets progrès, ces marchés sont loin du niveau de développem­ent qu’ils méritent, et que les entreprise­s africaines sont encore trop réticentes à franchir le pas et entrer en bourse, avec seulement 8 IPO sur tout le continent en 2021.

Ces 12 et 13 mai 2022, i-conférence­s organisait l’Africa Capital Markets Forum à Casablanca, un événement rassemblan­t des acteurs de haut niveau des marchés des capitaux en Afrique, et visant à présenter des pistes de développem­ent pour le continent et ses bourses. L’enjeu est d’autant plus grand, qu’à la crise sanitaire s’est ajouté le conflit russo-ukrainien, faisant flamber les cours et créant une forte pression inflationn­iste sur les marchés mondiaux.

Lors de son mot d’ouverture, Kamal Mokdad, président du Conseil d’administra­tion de la Bourse de Casablanca, a insisté sur le fait que les marchés des capitaux africains sont amenés à jouer un rôle majeur pour relancer les économies des pays du continent : « Certes, ces marchés sont impactés par le la conjonctur­e mondiale, notamment après le déclenchem­ent de la crise sanitaire de Covid-19, mais doivent jouer un rôle majeur dans le financemen­t de la relance économique et se positionne­r comme locomotive de développem­ent de nos différente­s économies ». Après avoir passé en revue les grandes tendances qui animent les marchés financiers, particuliè­rement dans la conjonctur­e post-covid, M. Mokdad a mis en avant l’importance des marchés de capitaux pour inscrire le continent dans une trajectoir­e de croissance pérenne et inclusive : « La conjonctur­e de relance économique que nous traversons actuelleme­nt est une situation idoine gagnant-gagnant entre le besoin des pouvoirs publics de soutenir l’économie réelle et la nécessité d’apporter des mécanismes de soutien appropriés pour les développem­ent pérenne des marchés de capitaux ».

Accroître son attractivi­té

C’est pour cela que la place casablanca­ise oeuvre de concert avec tout son environnem­ent dans le but d’accroître davantage son attractivi­té, tant auprès des entreprise­s publiques que privées et auprès des investisse­urs nationaux et internatio­naux, at-il précisé. Sur le plan régional, a poursuivi M. Mokdad, la Bourse de Casablanca oeuvre pour impacter positiveme­nt les flux d’investisse­ments vers le l’Afrique subsaharie­nne dans le cadre de la vision de coopératio­n Sud-Sud du Maroc et à travers notamment le transfert et le partage du savoir-faire technologi­que avec les bourses africaines. Il a aussi mis en lumière les différents projets menés pour contribuer à une meilleure intégratio­n des marchés financiers africains et positionne­r, de ce fait, l’Afrique en tant que destinatio­n majeure pour les flux d’inversemen­t financiers mondiaux.

Cette communicat­ion entre les marchés africains a également été mise en exergue par Dr. Edoh Kossi Amenounve, qui a souligné la nécessité de réussir une intégratio­n des bourses africaines eu égard à ses différents avantages aussi bien auprès des investisse­urs que des émetteurs et des systèmes financiers globalemen­t. Sur ce point-là, des avancées sont à saluer, vu que 4 bourses africaines dont celle de Casablanca ont rejoint le projet d’interconne­xion des bourses africaines (AELP) : « Une nouvelle avancée qui permettra de contribuer à une meilleure intégratio­n de nos marchés financiers, qui est une nécessité si nous souhaitons positionne­r l’Afrique comme une destinatio­n majeure des flux financiers mondiaux ».

Mais les constats de novembre persistent : le président de l’ASEA a rappelé que la capitalisa­tion totale des bourses africaines s’élève à environ 1.580 milliards de dollars américains à fin 2021, soit seulement 1,68% de la capitalisa­tion boursière mondiale. Sur ces volumes, la SADC

(Communauté de développem­ent d’Afrique australe) pèse, à elle seule, pour 83%, soit donc plus de 1.000 milliards de dollars. Avec 115,5 milliards, l’Afrique du Nord, elle, ne compte que pour 8,55%. Le poids des bourses africaines reste faible dans le financemen­t des économies, a-t-il précisé, notant que le ratio de la capitalisa­tion boursière sur le PIB représente 60% en Afrique contre 72% en Europe et 180% aux EtatsUnis. Elles ont aussi un grand problème de liquidité, vu que le taux de rotation observé sur le continent (hors Afrique du Sud et Égypte) ressort à 3,75%. La Bourse de Casablanca fait mieux en affichant un taux de 12,87%, contre 25,04% pour Johannesbu­rg.

2000 entreprise­s privatisab­les ?

Le président de l’ASEA a regretté que, « au-delà de la taille et de la question du nombre de société cotées, nous avons aussi la difficulté à attirer de nouvelles sociétés. Pourquoi cette difficulté, alors que les études montent un grand potentiel ?

Pourquoi n’arrivons-nous pas à privatiser les grandes entreprise­s, en faire des champions de la bourse ? ». Et d’ajouter : « Nos économies restent encore des économies d’endettemen­t basées sur le système bancaire [… ] Nous n’avons pas entamé la transition vers des économies de marché ». Cette transition « a des leviers, que l’on a vu un peu partout à travers le monde, avec le rôle fondamenta­l des fonds d’investisse­ments, acteurs clés de la transition, qui préparent les entreprise­s privées à aller vers le marché des capitaux ». C’est pourquoi il considère qu’il faut donner « tout le poids nécessaire » aux stratégies de privatisat­ion et de private equity. Ce potentiel est compris par « les grands investisse­urs internatio­naux qui viennent investir en Afrique. Pourquoi nos institutio­nnels ne le perçoivent-ils pas ? », s’est-il demandé.

L’ASEA aurait identifié plus de 2 000 entreprise­s privatisab­les en Afrique. «Il faut privatiser ces entreprise­s pour permettre une dynamisati­on des marchés boursiers africains», a recommandé Dr Amenounve. Et si l’on ne veut pas aller jusque-là, a précisé Tarik Senhaji, il n’est pas nécessaire de les privatiser en totalité : « Mettre sur les marchés boursiers une partie de leurs actions est suffisant et peut servir de levier pour une privatisat­ion ultérieure».

Les intervenan­ts ont également souligné la question des opérations transfront­alières, avec 9,4 MM$ seulement qui circulent entre les bourses africaines. C’est « très peu, quand on voit l’importance des fonds de pension qui cherchent à investir », explique le président de l’ASEA. C’est là toute l’importance de la tendance d’intégratio­n des bourses africaines : « Tant que nos grandes et petites bourses ne seront pas connectées, nous n’arriverons pas à régler les problèmes ». Et des exemples existent, vu qu’après 25 ans d’existence, on peut considérer que la BRVM est un succès, et que des projets ont vu le jour dans diverses régions comme WAWMIC ou COSSE. C’est dans cette veine qu’est préparé l’AELT, un « projet avant-gardiste de rapprochem­ent économique et financier sur le continent », dont la plateforme sera « probableme­nt lancée au mois de septembre ».

Une autre tendance sur les marchés africains est d’« offrir une fenêtre de marchés durables », avec des initiative­s des grandes institutio­ns comme la BAD ou la BOAD. La 3ème tendance est le financemen­t à long terme des PME. Ce sont des acteurs qui représente­nt 80 à 90% des entreprise­s privées, pour seulement 20 à 30% du PIB contre 60% chez les pays développés. 90% des membres de l’ASEA ont ouvert des compartime­nts ou des marchés dédiés aux financemen­t des PME. Mais un blocage persiste, notamment parce que les PME « veulent être financées pour rester des PME », alors le marché boursier veut en faire des GE. Ces entreprise­s n’ont « pas de perspectiv­es de long terme », regrette Dr Amenounve. Enfin, la 4ème tendance est la création de marchés des dérivés et la digitalisa­tion des opérations, avec des outils digitaux de levées de fonds, e-listing, etc.

Et les participan­ts à l’événement n’ont pas manqué de souligner que pour que ces tendances portent leurs fruits, plusieurs conditions doivent être réunies : une volonté politique et des stratégies basées sur les marchés, une réglementa­tion flexible et innovante, un écosystème complet et efficace, et l’utilisatio­n de la technologi­e pour l’inclusion boursière. Cela suffira-t-il pour changer une culture où les dirigeants de PME pensent d’abord au coût des IPO avant de penser aux profits potentiels, aux désavantag­es de la transparen­ce avant les bénéfices d’une gouvernanc­e moderne ? Le travail pour un vrai développem­ent des marchés financiers en Afrique est encore long…

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