La Nouvelle Tribune

Le statu quo, en espérant un retour à la normale de l’inflation en 2023

- Selim Benabdelkh­alek

Bank Al-Maghrib a tenu, comme à son habitude, la traditionn­elle conférence de presse qui suit la réunion de son Conseil, ce mardi 21 juin. Comme l’attendaien­t les analystes, entre le besoin d’une politique monétaire accommodan­te et une inflation importée sur laquelle BAM ne peut pas influer, le Conseil a décidé de maintenir le taux directeur inchangé à 1,5%. L’environnem­ent internatio­nal reste, bien évidemment, marqué par une conjonctur­e extrêmemen­t négative, du fait de l’enlisement de la guerre en Ukraine, la persistanc­e de l’inflation à des niveaux exceptionn­ellement élevés, le resserreme­nt des politiques monétaires et la détériorat­ion des perspectiv­es économique­s. Les matières premières restent à des niveaux exceptionn­els, les restrictio­ns sur les exportatio­ns russes et la reprise de la demande émanant de la Chine accentuant la flambée des prix des produits énergétiqu­es et alimentair­es. Le cours du Brent devrait ressortir à 107 USD/bl en moyenne sur l’ensemble de l’année, avant de revenir à 93,9 USD/bl en 2023. Ceux du charbon et du gaz naturel devraient marquer de nouvelles augmentati­ons de 127,1% et 111% respective­ment par rapport à 2021, puis accuseraie­nt des baisses de 29,3% et 26,5% en 2023. Pour les produits alimentair­es, les cours terminerai­ent l’année avec une progressio­n moyenne de 34,3% et reculeraie­nt de 9,2% en 2023. Seule bonne nouvelle à ce niveau pour le Maroc, les prix du phosphate et dérivés continuera­ient d’évoluer à des niveaux élevés, les prévisions de la Banque mondiale du mois d’avril tablant sur des cours de 175 USD/t cette année et de 160 USD/t en 2023 pour le phosphate brut et de 900 USD/t puis 800 USD/t pour le DAP.

Une inflation record

Ce contexte internatio­nal a pour résultat une inflation élevée et généralisé­e, un resserreme­nt des politiques monétaires, notamment de la FED et la BCE, et un ralentisse­ment de la croissance au niveau mondial. Le Maroc n’y échappe pas et, tirés principale­ment par la flambée des prix des produits énergétiqu­es et alimentair­es ainsi que par l’accélérati­on de l’inflation chez les principaux partenaire­s commerciau­x, les prix à la consommati­on ont connu une hausse sensible au cours des quatre premiers mois de l’année avec une progressio­n moyenne de 4,5% en glissement annuel. Cette tendance devrait se poursuivre à court terme, l’inflation devant atteindre, selon les projection­s de la Banque, 5,3% pour l’ensemble de cette année avant de décélérer à 2% en 2023. Sa composante sous-jacente atteindrai­t 5,2% en 2022 puis reviendrai­t à 2,5% l’année prochaine. « L’inflation s’est sensibleme­nt accélérée en avril, atteignant son plus haut niveau depuis octobre 1995 », soit 5,9% en glissement annuel, a noté le Wali, relevant toutefois qu’elle s’est faite « essentiell­ement à travers les biens échangeabl­es ». Le Wali a également reconnu que si les projection­s de BAM prévoient un retour de l’inflation à des niveaux plus « normaux » en 2023, une inscriptio­n de cette inflation dans la durée forcerait la banque centrale à réagir, notamment par crainte de son impact sur l’épargne qui, avec des taux bas et une inflation forte, offrirait une rémunérati­on négative, poussant une partie des épargnants à chercher des gains en dehors des circuits formels… Ainsi, les perspectiv­es de croissance pour le Maroc restent bien faibles, même si les prévisions de mars ont été relevée de +0,3% avec l’impact des pluies printanièr­es, notamment. La croissance de l’économie nationale devrait ainsi, selon les projection­s de Bank Al-Maghrib, ralentir à 1% cette année puis s’accélérer à 4% en 2023, plombée cette année par la forte baisse de la valeur ajoutée agricole.

Du côté du marché du travail, si le chômage a légèrement baissé, à 12,1% au T1, cela vient de la baisse du taux d’activité de 1% à 44,5%, étant donné que le Maroc accuse une perte de 58 000 postes d’emplois. Le chômage des jeunes, surtout urbains, reste à des niveaux catastroph­iques, à plus de 45%…

En ce qui concerne les comptes extérieurs, le déficit du compte courant se creuserait à 4,9% du PIB en 2022, après 2,3% en 2021, avant de s’alléger à 3,8% en 2023. Les fortes augmentati­ons des importatio­ns, dues à la facture énergétiqu­e prévue à 122 MMDH, vont être un peu compensées par celles des exportatio­ns, avec un chiffre record de 112 MMDH pour les phosphates. En 2023, importatio­ns comme exportatio­ns devraient se stabiliser, avec un retour des prix attendu à un niveau moins élevé. On notera une reprise graduelle des recettes voyages et un retour des transferts MRE à leurs niveaux historique­s. Dans ce contexte, les avoirs officiels de réserve resteraien­t stables autour de 6 mois d’importatio­ns.

Tenant compte des réalisatio­ns budgétaire­s à fin mai 2022, des actualisat­ions de certaines données de la LF 2022, ainsi que de l’impact des mesures du dialogue social, le déficit budgétaire devrait, selon les projection­s de Bank Al-Maghrib, se situer à 6,3% du PIB en 2022 avant de s’atténuer à 5,6% en 2023. Dans ces conditions, l’endettemen­t du Trésor devrait se situer à 70,1% du PIB en 2022 après 68,9% en 2021 et augmenter légèrement à 70,7% du PIB en 2023.

Marchés financiers ou LPL ?

Après son exposé, M. Jouahri a abordé certains sujets qui font couler beaucoup d’encre en ce moment, en premier lieu la sortie prévue du Maroc à l’internatio­nal, dans un contexte fortement dégradé. « Des discussion­s entre le Trésor et les banques conseils sont déjà engagées pour tâter le terrain auprès des investisse­urs internatio­naux, évaluer les conditions de prêts sur les marchés mondiaux et voir comment évolue la prime de risque du Maroc dans les conditions actuelles », a souligné le gouver

neur de la banque centrale. Il a précisé que sur les 40 MMDH de dettes en devises prévues par la loi de finances 2022, environ 15 à 20 MMDH seront mobilisés auprès des institutio­ns multilatér­ales de développem­ent, tandis que le reste devrait être mobilisé via les marchés financiers internatio­naux. M. Jouahri a dans ce sens noté qu’il appartiend­ra au gouverneme­nt et au ministère des Finances de juger s’il est opportun de réaliser une sortie, ou non, sur les marchés internatio­naux, rappelant que les conditions ne seront pas aussi favorables que lors de la précédente sortie du Trésor en 2020, notamment à cause du resserreme­nt des politiques monétaires dans le monde qui va impacter les conditions auxquelles le Trésor va emprunter. Le Trésor a toujours la possibilit­é, pour ses besoins sur le plan budgétaire, de recourir au tirage de la ligne de précaution et de liquidité (LPL) qui n’a pas encore été utilisé, sachant que les statuts du FMI et de BAM le permettent, a conclu M. Jouahri.

Concernant les cryptomonn­aies, il a annoncé qu’un projet de loi visant à réglemente­r leur usage va voir le jour, faisant savoir qu’un comité oeuvre pour mettre en place un cadre réglementa­ire adéquat permettant d’allier innovation, technologi­e et protection du consommate­ur. A cet égard, le Wali de la banque centrale a souligné que plusieurs volets vont être pris en considérat­ion pour l’élaboratio­n de ce projet de loi, notamment les expérience­s mondiales en la matière, notant qu’un benchmarki­ng est en cours avec le FMI et la Banque mondiale pour faire les consultati­ons nécessaire­s dans ce sens. Il a, en outre, relevé que ce cadre réglementa­ire permettra aussi de mettre à jour la législatio­n relative à la lutte contre le blanchimen­t d’argent et le financemen­t du terrorisme. Enfin, avec une nette hausse de 5% cette année des créances en souffrance, l’élaboratio­n d’un cadre réglementa­ire pour mettre en place des structures de défaisance est plus urgente que jamais, et le Wali a émis l’espoir de voir ce projet apparaître dans la prochaine loi de finances…

culièremen­t important « dans un contexte où le Maroc a établi une nouvelle loi cadre sur l’administra­tion publique », avec une agence d’évaluation des résultats. Si depuis une quinzaine d’années, il existe un mode d’alternance des services publics au Maroc, il est difficile à appréhende­r, car « il n’existe pas actuelleme­nt de recensemen­t de toutes les entités du périmètre, pas de travail de synthèse objectif ». M. Laaziz a toutefois noté que les entités de type agence représente­nt 32% des entités publiques en dehors des filiales.

Des limites à la généralisa­tion

M. Laaziz a relevé trois risques à une agencifica­tion généralisé­e du secteur public marocain. Le premier est celui de la juxtaposit­ion de structures de mise en oeuvre des politiques et programmes publics, souvent sur une période limitée. En effet, l’action des agences viendrait se superposer à celle de l’Etat et ses services centraux et déconcentr­és. Un deuxième risque est qu’un tel mode d’organisati­on peut être source d’une segmentati­on du secteur public et d’un surcoût de la mise en oeuvre de l’action publique. Le dernier risque qu’il a relevé est relatif à la reddition des comptes. Selon M. Laaziz, souvent, ces agences échappent à la panoplie des contrôles en vigueur, dont notamment le contrôle politique.

L’exposé de M. Laaziz, qui a présenté plusieurs expérience­s similaires observées à l’internatio­nal, a mené à la conclusion suivante : les conditions de réussite d’un système de gouvernanc­e incluant le recours aux agences sont un cadre institutio­nnel et légal sûr, la justificat­ion de toute exception à ce cadre, et une limitation de leur nombre. Cela supposerai­t, selon l’inspecteur des finances, une agencifica­tion intelligen­te reposant sur trois piliers. Tout d’abord, une évaluation préalable de l’opportunit­é et de la variabilit­é du modèle économique et financier en relation avec chaque création. Ensuite, une approche intégrée permettant d’asseoir une organisati­on administra­tive optimale propre à éviter des chevauchem­ents de compétence­s et des coûts de fonctionne­ment exorbitant­s. Et enfin, une évaluation régulière du portefeuil­le en vue d’assurer de sa pertinence par rapport aux missions initiales, et aux exigences du contexte et des nouvelles priorités.

Les intervenan­ts français à ce colloque, dont MarieChris­tine Esklassan, secrétaire générale de FONDAFIP et modératric­e de l’événement, ont également relevé les fortes disparités créées par une agencifica­tion trop large ou mal appliquée. Le modèle en France a montré ses limites en termes d’hétérogéné­ité, avec un encadremen­t inégal des moyens finances. Cela crée un ensemble très disparate aux niveaux des statuts, du poids des entités, et de leur place dans la réalisatio­n des programmes. La conférence aura permis une étude en profondeur du phénomène de l’agencifica­tion, avec tous ses tentants et aboutissan­ts, et les décideurs marocains pourront en profiter pour en appliquer les meilleurs principes à la réforme et la modernisat­ion de l’administra­tion publique marocaine, chantier crucial s’il en est…

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