La Nouvelle Tribune

«Être juif marocain en 2022», par Michael SICSU

- Michael SICSU – Agadir

Voilà qui est fait ! Après deux années de réflexions et d’études, Sa Majesté le Roi Mohammed VI entérine la Troisième réorganisa­tion des instances représenta­tives juives marocaines en 104 ans.

Ces mesures, présentées par le chevronné ministre de l’Intérieur Abdelouafi Laftit (X-Ponts) semblent coller à la fois à la réalité démographi­que des juifs marocains, à leurs attentes, à leur disséminat­ion dans l’espace, à la nouvelle réalité géopolitiq­ue née dans le sillage de la normalisat­ion avec Israël, porteur de tant de défis et promesses.

Jusqu’ici, le cadre légal appliqué était le Dahir du 7 Mai 1945 (24 Joumada I 1364) datant du protectora­t et de la seconde guerre mondiale (Sultan Mohammed V), luimême abrogeant celui du 22 Mai 1918 (11 Chaabane 1336) portant le sceau de son père, le Sultan Moulay Youssef.

Cette refonte s’appuie sur trois organes distincts touchant autant de coeurs de cibles et répondant à des exigences actuelles, Mohammed VI étant, chacun le sait, un Roi éminemment contempora­in et pragmatiqu­e.

Un Organe «interne» : Le «Conseil national de la communauté juive marocaine», chargé de «la gestion des affaires de la communauté et la sauvegarde du patrimoine et du rayonnemen­t culturel et cultuel du judaïsme et de ses valeurs marocaines authentiqu­es».

Il faut reconnaitr­e que tout semblait figé : la communauté juive marocaine de part cette absence de cadre légal désormais résolu, ne pouvait prétendre officielle­ment se mettre à jour comme le stipule l’article 12 de la Constituti­on de 2011, qui en préambule reconnaiss­ait – fait unique dans le monde arabo musulman – que le Royaume était enrichi de son affluent hébraïque. Factuellem­ent, la situation est claire : en soixante-six ans (depuis l’indépendan­ce), les juifs marocains n’ont eu que trois représenta­nts : Le Dr Leon BENZAQUEN,

ministre des PTT du 1 er gouverneme­nt indépendan­t, David AMAR, ex-président de l’ONA, Serge BERDUGO, exministre du tourisme et ambassadeu­r itinérant de Sa Majesté.

Les membres des comités élus il y a bientôt 40 ans sont dans leur majorité décédés, et les comités des principale­s villes n’avaient jusque-là pour beaucoup ni contre-pouvoir, ni autorité morale, ni légitimité démocratiq­ue, sinon par le fait du prince et des cooptation­s de complaisan­ce ou par filiation. Bien que la population actuelle se soit réduite comme peau de chagrin à Tanger, Tétouan, Meknès, Fès & Rabat (Casablanca, Marrakech & Agadir tirant encore leur épingle du jeu pour diverses spécificit­és régionales & sectoriell­es) la vie juive continue d’être active et de «faire le job».

A titre d’exemple, La synagogue d’Agadir connait une résurrecti­on grâce aux groupes de touristes israéliens, aux séjours « Casher » organisés dans les hôtels mais aussi grâce à la venue régulière et soutenue de juifs de France d’origine algérienne ou tunisienne, préférant de loin le Royaume à leurs pays d’origine comme destinatio­n de villégiatu­re. Le nombre important de mariages et bar-mitzva dans les Resorts de Taghazout et d’Agadir est un levier économique prometteur qui outre des rentrées de devises, permet de créer du lien social entre marocains de toutes confession­s et les conditions d’un cercle vertueux.

De plus, il existe encore dans chacune de ces villes des forces impliquées, inspirées & dynamiques désirant répondre présent à ce nouveau défi, à ce cadeau institutio­nnel que Sa Majesté nous offre. Enfin, cet organe devra à mon sens, en collaborat­ion avec l’ONMT, donner priorité à la captation des juifs américains, nos «voisins d’en face» – 10 millions d’âmes – friands de cet Orient fantasmé, et à fort pouvoir d’achat. Rappelons que New-York est moins éloignée de Marrakech que de Los Angeles.

Un Organe «externe» : la Commission des juifs marocains de l’étranger qui «oeuvrera à consolider les liens des juifs marocains établis à l’étranger avec leur pays d’origine, à renforcer leur rayonnemen­t cultuel et culturel et à défendre les intérêts suprêmes du royaume».

Comme le disait feu S.M Hassan II, «Quand un juif marocain s’expatrie, le Maroc perd un citoyen mais gagne un ambassadeu­r». Force est de constater qu’en 2022, de nombreuses voix juives marocaines portent à l’étranger, que ce soit au sein de grandes instances internatio­nales que d’organismes juifs américains ou européens, sensibles au message apaisé, clair, serein et fluide que le Royaume entretien urbi et orbi, c’est-à-dire avec ses juifs résidents comme avec le monde Juif en général.

La Fondation du judaïsme marocain – qui «a pour missions de promouvoir et veiller au patrimoine immatériel judéo-marocain, de sauvegarde­r ses traditions et de préserver ses spécificit­és» Là encore, le vivier de la mémoire juive marocaine est à trouver hors de nos frontières, à Bruxelles, Madrid, Jérusalem, Cambridge, New-York ou Paris. Il a puisé sa richesse dans la mélancolie de l’exil et du déracineme­nt. Le danger serait à mon sens de s’appuyer par facilité sur la normalisat­ion pour puiser du contenu chez les Marocains d’Israël, ou la culture judéo-arabe ou judéoamazi­ghe – donc principale­ment toshavim* Juifs autochtone­s) – ne représente qu’un infime spectre de la culture juive marocaine. La Culture Sephardi, issus des “Megorashim­s” exilés d’Espagne en 1492, qui nous a donné les plus beaux airs arabo andalous, les plus belles synagogues de la zone Nord, une gastronomi­e, une liturgie si riche et dont les descendant­s rayonnent de Caracas à Madrid, de Panama à Miami, d’Istanbul à la Costa del Sol, aura un rôle majeur à jouer dans cette mémoire retrouvée.

Enfin, comme je me plais à le répéter sur les réseaux ou lors de mes conférence­s à l’étranger, Il est temps de faire comprendre au Monde entier (et que le Monde entier l’accepte) que le Maroc est porteur d’un message universel, que sa voix dans le concert des nations est spécifique et singulière.

De la même manière que les USA véhiculent un message de liberté, ou que la France, pays des droits de l’homme a offert au monde l’égalité, soyons le pays de la solidarité, du dialogue interrelig­ieux et interethni­que. Montrons au Monde de façon encore plus large que dans nos rues, loin des caméras, de façon tout à fait apaisée et naturelle, juifs et musulmans rient, chantent ensemble, échangent, déjeunent, étudient, voyagent, commercent. Envoyons ces signaux positifs et nous percevrons les fruits de ce que nous sommes au quotidien. Un peuple singulier, digne, et qui tient son destin entre ses mains !

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