La Nouvelle Tribune

Les taux obligatair­es en hausse, le pourquoi du comment !

- Afifa Dassouli

La politique monétaire des Banques Centrales est aujourd’hui partagée entre d’un côté, l’inflation, et de l’autre, le risque de dépression économique !

Bank Al-Maghrib est face au même dilemme du fait d’un taux d’inflation au Maroc de 7%, alors que les crédits à l’économie ne connaissen­t pas de croissance, signe de ralentisse­ment économique. Seuls les crédits de trésorerie ne cessent d’augmenter pour pallier les difficulté­s des entreprise­s à financer la cherté des matières premières et l’insuffisan­ce de leur BFR, besoins en fonds de roulement, alors que les crédits à l’investisse­ment sont à l’arrêt. La position courageuse de BAM, celle de maintenir son taux directeur à 1,5%, se justifie par le fait que l’inflation dans notre pays n’est pas d’origine monétaire, issue d’une économie en surchauffe, et qu’il faut éviter tout risque d’aggravatio­n de la situation économique. On peut faire le constat que cette foisci, BAM n’a pas suivi les banques centrales occidental­es, la FED et la BCE, qui, elles, ont augmenté leur taux directeur à respective­ment 4% et 1,5%, pour contrer l’inflation dont le taux tend vers deux chiffres. Elles comptent maintenir ce dernier pour contrer la hausse des prix des matières premières, du gaz et du pétrole, tout en courant le risque de favoriser une dépression. Ce faisant, le Maroc ne peut que profiter des effets de leurs interventi­ons sur l’inflation importée.

La politique monétaire du Maroc, qui reste une petite économie avec un double déficit commercial et courant, se doit de soutenir le dirham dont dépend son autonomie. Sachant que celle-ci s’appuie par ailleurs sur le financemen­t de son solde extérieur par les transferts des MRE confortabl­es, un bon comporteme­nt des IDE, des recettes touristiqu­es qui repartent à la hausse et des super-profits engendrés par l’OCP. Toutefois, malgré la bonne tenue de ces agrégats, la protection du dirham n’est soutenable, parce que le Trésor s’endette principale­ment sur le marché des capitaux marocain. S’il devait se financer plus à l’internatio­nal, BAM n’aurait pas pu maintenir son taux directeur aussi bas sans affecter le dirham !

En revanche, cette même politique monétaire de BAM en faveur du maintien des taux d’intérêt bas, est aujourd’hui contrecarr­ée par le comporteme­nt de ceux du marché obligatair­e secondaire. Car, les taux d’intérêt des bons du trésor s’apprécient, pour des raisons liées au comporteme­nt des opérateurs. Il faut savoir en premier que nombre de ces derniers restent investis sur le court terme, persuadés d’une augmentati­on des taux à moyen et long terme du fait de l’inflation persistant­e qui impactera à la hausse tous les actifs financiers. Et c’est déjà le cas, car les taux réels sont plus élevés que ceux de la courbe du marché secondaire fournie par BAM.

Mais, ces réactions seraient restées limitées si le comporteme­nt du Trésor, principal acteur de ce marché, n’avait pas lui structurel­lement changé sa conduite. En effet, face à un déficit budgétaire de 60 milliards de dirhams, 6% du PIB, ce dernier a mis en place des financemen­ts innovants, pour diversifie­r son recours aux émissions des bons du trésor qui alourdisse­nt son endettemen­t. Il s’agit des OPCI, organismes de placement collectif en immobilier, qui ont contribué à alléger le besoin de financemen­t de l’État de 20 MMDHS depuis le début de l’année 2022.

Ces nouvelles « recettes » budgétaire­s sont financés à travers les OPCI du fond AJAR Invest. Ce mode de financemen­t dit « Sale and lease back », consiste en une cession des immobilisa­tions publiques, lesquelles sont louées en retour. Ces nouveaux produits financiers, certes sur le très long terme à 30 ans, qui sont assortis d’une rémunérati­on de 5,8%, un taux inespéré et non atteint depuis des années, sont plébiscité­s par les institutio­nnels. Toutefois, cette nouvelle classe d’actifs, certes peu liquide, a créé un effet d’éviction sur le marché obligatair­e. Les institutio­nnels qui y ont accès (tous sauf les OPCVM), ont tout simplement réorienté leurs placements à moyen et long terme vers ces OPCI. Ce qui s’est traduit par des rachats de leur position en OPCVM long pour environ 40 milliards de dirhams depuis le début de l’année. Rachats qui n’ont pas pu être facilement dénoués par les sociétés de gestions, qui ont du mal à vendre pour le compte de leurs clients institutio­nnels des paquets d’obligation­s à moyen et long terme sur le marché, faute de pouvoir en préserver le rendement, du fait que sous la pression des ventes les performanc­es chutent. Partant de la conversion des Bons du Trésor à long terme en OPCI, un mouvement de vente quasi généralisé des obligation­s à MLT s’est enclenché, certes pour éviter les pertes éventuelle­s associées au risque de hausse des taux, mais en en déclenchan­t une

de fait. Dans de telles circonstan­ces, le marché secondaire obligatair­e des bons du Trésor est très affecté, voire perturbé, d’autant qu’il s’agit d’un marché de peu d’intervenan­ts, 19 sociétés de gestion qui gèrent 600 milliards de dirhams de bons du trésor face à des institutio­nnels qui se comptent sur le bout des doigts.

L’autre problème majeur de ce marché réside dans la difficile valorisati­on des obligation­s qui s’y échangent. Les bons du trésor n’ont pas de valorisati­on continue parce qu’ils ne traitent pas tout et tous les jours. Ils sont évalués sur la base de modèles d’évaluation basés sur l’actualisat­ion des cash flows futurs, avec un taux prix dans une courbe de comporteme­nt de taux. C’est la Banque centrale qui publie cette courbe de marché secondaire des obligation­s à partir des transactio­ns observées sur le marché et les variations réalisées entre 10 ou 20 points de base. Or, cette courbe n’est plus significat­ive quand les variations sont plus importante­s. Ce qui rend difficiles les transactio­ns.

Dans ce contexte de blocage où les ventes des obligation­s d’État à MLT, se dénouent très difficilem­ent sur le marché secondaire, le Trésor luimême n’émet plus que sur le court terme, à deux ans et moins. Il résiste à accepter une augmentati­on de taux sur le MLT. En la concrétisa­nt, il irait à l’encontre de la politique de BAM de maintien de taux bas. Et aussi à l’encontre de sa propre politique de financemen­t domestique. En effet, les marchés obligatair­es, primaire et secondaire, jouent un rôle très important dans le financemen­t du Trésor ; la baisse des taux a permis au Trésor par une gestion active d’alléger le coût de sa dette. Le déficit de l’État se creuse et son financemen­t dépend plus que jamais de ce marché, d’autant que le Trésor a du mal à sortir à l’internatio­nal tant le coût y est élevé, avec la réorientat­ion des taux à la hausse et les primes de risque importante­s, compte tenu de la récession économique en vue…

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