Double krach boursier et obligataire en conséquence
Bank Al-Maghrib, vient de marquer un tournant de sa politique monétaire avec la décision de son dernier conseil de relever le taux directeur de +50 pdb, une amplitude plus utilisée depuis la crise financière de 2008. Il s’agit certes d’un revirement de sa politique monétaire qui opte pour le soutien de la stabilité des prix au Maroc. Cette décision atteste d’un changement de perception de BAM quant au caractère « transitoire » de l’inflation au Maroc, elle admet que celle-ci est réellement durable. Certes, avec ce resserrement monétaire elle revient à son orthodoxie habituelle basée sur la lutte contre l’inflation, mais elle répond également à la problématique des investisseurs institutionnels du pays. En effet, partageant leurs portefeuilles entre les placements et/ou investissements en bourse et les obligations tout particulièrement les bons du Trésor, ces derniers ont beaucoup souffert d’un manque de rendement et donc de rentabilité financière depuis quelques années, avec l’installation dans la durée des taux bas, l’inertie et l’inefficience du marché financier.
De fait, ils n’ont pas tardé à réagir dès le lendemain, au signal donné par BAM celui du retournement de tendance des taux, en procédant à des ventes en bourse dans des volumes très importants. Les institutionnels ont ainsi porté le volume quotidien des transactions sur le marché boursier à 750 millions de dirhams, montant largement au-dessus de la moyenne quotidienne sur le marché central, sur les 5 dernières années. Sous l’effet de cette vague de ventes d’actions le Masi a perdu 5% en 5 séances, amplifiant sa plongée dans le négatif depuis le début de l’année à plus de -13%. Il faut reconnaître qu’un mini krach boursier s’est produit en réaction au relèvement du taux directeur de 50 pdb et à la réorientation à la hausse des taux d’intérêt qui en découle.
Les investisseurs toutes catégories confondues ont bien compris que le revirement de BAM est annonciateur d’une situation économique de crise. Et qu’une inflation durable au niveau national s’annonce comme une sérieuse contrainte a la reprise économique.
Ces mêmes investisseurs qui, imposant leurs exigences de rentabilité sur le marché primaire des adjudications sur la base d’anticipations inflationnistes, ont eu satisfaction lors de la dernière séance d’adjudication du 13/09/2022, où le Taux du 5 ans s’est apprécié d’environ 30 PBS a 2,65%, dépassant ainsi pour la 1ère fois depuis 2015, le Taux du 10 ans, de 2,41%.
De même que sous leur pression, la courbe obligataire a connu des tensions haussières au cours de 2022. Orientés principalement par les flux, les taux ont accélère leur inflexion tout au long du mois de septembre, imposant une certaine normalisation des taux a court terme.
Ainsi, la tendance haussière des taux obligataires a atteint +64 PBS pour la maturité 2 ans depuis le début de l’année, avant même le relèvement du TD de la Banque Centrale et devrait se poursuivre avec certainement le krach obligataire qui s’impose pour cette catégorie de titres, dont la valeur se déprécie avec la remontée des taux.
Et donc, pour les investisseurs, Bank Al-Maghrib a clarifié l’avenir proche qui sera caractérisé par une période de hausse des taux. Car elle semble déterminée à contrer les pressions inflationnistes. A ce titre, elle a fini par s’aligner sur la trajectoire des grandes Banques Centrales a l’international pour lutter contre une inflation importée. Sachant qu’au Maroc, l’IPC (indice des prix à la consommation) a affiché une hausse de 8,0% à fin aout 2022, un plus haut observe des trois dernières décennies. D’autant qu’une autre source de pression inflationniste s’impose chez nous, celle de la dépréciation du Dirham face au Dollar. Avec les relèvements agressifs et successifs du taux directeur de la Fed, le dollar s’est fortement apprécié certes vis-à-vis de l’euro mais aussi du dirham avec un indice Dollar qui a atteint son plus haut en septembre depuis 20 ans. Or la dépréciation du dirham est un facteur d’alimentation de l’inflation dans notre pays.
Concrètement, les conditions de liquidités sur le marché des changes interbancaires, sont de moins en moins favorables en raison de la forte progression des flux imports. Plus de 50% des importations du Maroc
se font en Dollar dont principalement les produits énergétiques et céréaliers. L’écart entre le cours de référence du MAD et son Mid panier est a plus de +3,60%, soit un plus haut depuis la mise en place de la reforme de change en 2018. Ce dernier se rapproche ainsi du seuil haut de la bande de fluctuation du dirham fixe a 5%. Et donc la parité USD/MAD atteint son plus haut, depuis plus de 10 ans, a 10,81, soit une hausse de +17% en 2022. En conclusion, la décision de Bank Al Maghrib de porter son taux directeur de 1,5% à 2%, a le grand mérite d’avoir clarifié sa politique monétaire, en revenant à sa première mission celle de lutter contre l’inflation. Elle a aussi ainsi rassuré les marchés en allant dans leur sens, en reconnaissant que dans le contexte international il est difficile pour une banque centrale de continuer à soutenir une croissance impossible. D’autant que la sensibilité des marchés de capitaux à l’annonce de crises est très élevée, et leurs réactions spontanées. A notre petite échelle tant le marché financier que ceux primaire et secondaire des bons du trésor, l’ont bien démontré par leur pression à la hausse sur les taux quand BAM résistait à augmenter son taux directeur dans l’espoir vain de continuer à soutenir l’économie…