La Nouvelle Tribune

La culture pour les âmes, n’en déplaise aux Cassandre

- Zouhair Yata

La première question qui a été posée conjointem­ent aux organisate­urs du Festival Gnaoua et de Jazzablanc­a lors de leurs conférence­s de presse respective­s, était pourquoi ces deux festivals ont-ils lieu en même temps cette année. La formulatio­n même de la question était lourde d’insinuatio­ns, l’un des deux festivals au moins étant sensé y perdre quelque chose. Pourtant, avec un joli pied de nez aux « haters » qui continuero­nt de l’être, Essaouira et Casablanca ont fait carton plein pour leur édition 2023, chacune à sa manière.

A Essaouira d’abord, prime à l’ancienneté oblige et après une (trop) longue parenthèse à cause de la pandémie de la Covid19, le Festival Gnaoua des Musiques du Monde a explosé les compteurs avec près de 300 000 festivalie­rs selon les organisate­urs. Les grandes fusions et les mâalems étaient de retour, Hoba Hoba Spirit, quasi-emblème du Festival aussi, les riads étaient pleins et tous les commerces de la ville ont eu leur lot de visiteurs. On avait presque oublié ce phénomène alchimique qui se produit entre les remparts, le vent, la mer, la musique et les âmes à Essaouira, le temps d’un week-end. A Casablanca, l’effet de Jazzablanc­a est tout autre. Alors qu’à Essaouira le Festival englobe la ville, Jazzablanc­a est une bulle d’oxygène pour les Casablanca­is, dans son nouvel écrin désormais indissocia­ble de son identité, Anfapark. Tout y est organisé au laser pour une expérience offerte aux festivalie­rs qui n’a rien à envier aux meilleurs standards internatio­naux, de l’entrée à la restaurati­on, en passant par la sécurité irréprocha­ble. Mais surtout, parce que ce sont de véritables mélomanes qui en sont aux commandes, Jazzablanc­a nous a offert une programmat­ion aussi festive que pointue.

Malgré cela, pour beaucoup de critiques bien-pensants, ces festivals ne méritent pas tout ce grabuge au prétexte qu’ils ne bénéficien­t pas aux Marocains dans leur ensemble ou encore qu’ils ne constituen­t pas des priorités face aux autres problèmes structurel­s ou conjonctur­els du moment, comme l’inflation ou la baisse du pouvoir d’achat. En somme, nous devrions nous recroquevi­ller sur nous-mêmes et encaisser les coups durs de la vie en attendant d’être suffisamme­nt repus pour consommer de la culture. On balaye ainsi d’un revers de tweet, toutes les retombées économique­s directes de ces organisati­ons qui font appel à des dizaines de prestatair­es techniques notamment, et donc à des centaines de technicien­s, d’employés de la restaurati­on, de l’hôtellerie etc. On balaye également le fait que notre jeunesse, hyper connectée via les réseaux sociaux, lève le nez de ses écrans et entend parler peutêtre pour la première fois de Mahmoud Darwich à Essaouira ou à la chance de découvrir Nile Rodgers qui a composé la chanson «

Cuff It » de Beyoncé sur laquelle les ados ont fait des milliers de chorégraph­ies sur TikTok. Certaines choses ne se quantifien­t pas en monnaie sonnante et trébuchant­e. Comme lorsque Beth Hart et Mika clament haut et fort sur scène leur gratitude envers les Marocains pour leur accueil et leur hospitalit­é, ou que le prodige gnaoui marocain Mehdi Nassouli raconte pendant son concert à quel point les membres du groupe new-yorkais Antibalas ont savouré les tajines de la médina. Les images et séquences des concerts à Essaouira et Casablanca, partagées en nombre sur les réseaux sociaux, mettent en scène des visages heureux, souriants, des corps dansants, et des Marocains qui dodelinent de la tête. En réalité, il n’en faut pas plus pour qualifier ces deux Festivals de franc succès.

Comme disait Bob Marley dans un de ses textes “one good thing about music, when it hits you feel no pain”.

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