Réforme de la Moudouwana, quitte ou double
L’actualité est implacable depuis quelques mois, des conséquences du séisme ravageur d’Al Haouz aux images insoutenables et quotidiennes de Gaza. Dans ce contexte où l’attention de tous est portée sur les guerres et les catastrophes, il n’en demeure pas moins nécessaire de continuer de s’informer et de commenter les projets de fond qui se veulent la trame du Maroc de demain. L’un des chantiers les plus importants est celui de la nouvelle réforme de la Moudouwana, initiée par le Souverain, et dont la commission chargée de la production des recommandations pour la révision du Code de la Famille, s’est attelée à recueillir les propositions des divers partis politiques nationaux. Et si la majorité gouvernementale n’a pas encore dévoilé ses cartes sur ce sujet, les débats que génèrent les révisions proposées par les différents partis d’opposition indiquent, par leur volume et leur teneur, plus de divisions que jamais. En effet, si les partis politiques sont censés représenter les voix de leur électorat, leurs propositions témoignent de projets de société diamétralement opposés mais surtout d’une vision de la place de la femme qui en dit long sur le chemin encore à parcourir. Pour les partis qui se réclament de la gauche, sociale et progressiste, USFP, PPS ou FGD, certains sujets sont consensuels, bien que ceux-ci ne se soient pas particulièrement coordonnés sur leurs réponses aux réformes à mener sur le Code actuel. Ainsi, l’interdiction du mariage des mineurs doit être doublée d’une incrimination dans leurs recommandations. De même, la gauche appelle à une égalité entre l’homme et la femme pour la garde mais aussi la tutelle de l’enfant, ainsi que la suppression de l’article 400 de la Moudouwana qui donne le pouvoir d’interprétation au juge sur la base du rite malékite. Exit également la polygamie avec une demande d’interdiction clairement formulée par tous les partis d’opposition de gauche. Du côté des partis du bloc conservateur, l’Istiqlal et le PJD, n’abordent évidemment pas ces sujets avec les mêmes prismes. Pour autant, cela ne signifie pas que les propositions de ces partis ne tiennent pas compte des aspirations au changement, mais elles dénotent clairement d’une vision traditionnaliste de l’approche à suivre pour cette réforme.
Pour l’Istiqlal, les propositions du parti semblent chercher à favoriser le compromis sur de nombreux sujets, renvoyant la balle dans le camp de la justice pour trancher. Ainsi, la tutelle de l’enfant devrait suivre les décisions liées à la garde après le divorce et le mariage des mineurs devrait être interdit, mais si par hasard on devait le maintenir, il devrait être fixé à un âge minimal de 16 ans. Il n’en demeure que sur certains sujets, aucune avancée n’est tout simplement envisagée. Aucune proposition donc de révision pour l’héritage, l’article 400 est maintenu et surtout, la polygamie n’est pas interdite, l’Istiqlal recommandant d’en durcir seulement l’accès. Pour tous ceux que ces propositions ne vont pas satisfaire, il est nécessaire de comprendre que l’Istiqlal ne prendra pas de risque de froisser sa base électorale, attachée au conservatisme social et religieux. D’autant que le PJD représente le courant le plus dur de cette approche conservatrice, avec des propositions qui favorisent le statu quo social, voire l’aggravent. Qu’on ne s’y trompe pas, même les mesures qui semblent favorables à la femme, sont des témoignages limpides de la place que le PJD veut lui accorder. La fonction maternelle de la femme est un des piliers de la vision conservatrice, à ce titre, le PJD veut confier la garde de l’enfant à la mère en priorité après le divorce, libérant de facto l’homme de ces responsabilités éducationnelles et présentielles vis-à-vis de sa progéniture. De même, la tutelle peut revenir à la mère selon les recommandations du PJD, mais à la condition, qu’il restera à prouver, que le père a fait preuve de négligence dans l’exercice de ses responsabilités. Mieux encore, le PJD ne recommande absolument pas l’interdiction du mariage des mineurs, il veut le fixer à l’âge minimal de 15 ans. Dans le cadre du divorce, Benkirane and co, recommandent même la suppression du recours automatique au divorce. Il n’est évidemment pas question de changer quoi que ce soit aux règles de l’héritage, balayé d’un revers de la main, et pour les polygames, le PJD veut carrément en faciliter l’accès. En définitive, la réforme du Code de la Moudouwana n’est pas seulement un chantier législatif et juridique, c’est un débat profond sur le modèle de société qui se présente à tous. Comment concilier les traditions marocaines avec la nécessaire évolution du statut juridique de la femme, qui implique qu’elle soit protégée et qu’elle puisse exercer tous ses droits au même titre que l’homme ? Que pèse l’égalité entre l’homme et la femme, inscrite dans notre constitution, face au patriarcat et au machisme ? Un jour ou l’autre, il faudra trancher.