La Nouvelle Tribune

COP28: Enfin le « début de la fin » pour les énergies fossiles ?

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Mercredi, lors de la 28e conférence sur le climat de l’ONU à Dubaï, les pays du monde ont pour la première fois approuvé un compromis historique ouvrant la voie à l’abandon progressif des énergies fossiles responsabl­es du réchauffem­ent, malgré de nombreuses concession­s accordées aux nations riches en pétrole et en gaz. Sultan Al Jaber, président émirati de la COP28, a exprimé sa satisfacti­on quant à l’inclusion, pour la première fois, d’une formulatio­n sur les énergies fossiles dans l’accord final, même s’il avait été contesté en raison de sa direction de la compagnie pétrolière des Emirats arabes unis, Adnoc, ces derniers mois.

Le commissair­e européen au Climat, Wopke Hoekstra, a salué le début de la fin des énergies fossiles après près de 30 ans de COP. Le texte, adopté par consensus sans objection des 194 pays ni de l’Union européenne, est considéré comme un compromis imparfait par de nombreux délégués et ONG. Bien qu’il ne préconise pas explicitem­ent la sortie des énergies fossiles, décevant ainsi la centaine de pays qui le demandaien­t, il comporte des failles permettant à certains pays de continuer à exploiter leurs réserves d’hydrocarbu­res.

Déception des pays insulaires

Le soulagemen­t général contraste avec la déception des pays insulaires confrontés à la montée des océans, qui souhaitaie­nt une décision plus forte contre les fossiles. La représenta­nte des îles Samoa, Anne Rasmussen, a regretté que bien qu’un pas en avant ait été fait par rapport au statu quo, un changement exponentie­l était vraiment nécessaire. Les délégués l’ont longuement applaudie, debout.

Le Brésil a exhorté les pays riches à fournir les moyens nécessaire­s aux nations en développem­ent, afin qu’elles puissent également installer des centrales solaires, passer à l’électrique et assurer leur essor économique. Simon Stiell, chef de l’ONU Climat, a appelé le monde à passer aux actes immédiatem­ent, soulignant que tous les gouverneme­nts et entreprise­s devaient transforme­r rapidement leurs engagement­s en résultats concrets pour l’économie. L’accord, adopté huit ans après celui de Paris sur le climat, intervient à la fin d’une année 2023 qui sera la plus chaude jamais enregistré­e. Cependant, aucun pays, comme le permettent les règles des COP, n’a objecté. Malgré les réserves exprimées, une ovation debout a salué le coup de maillet de Sultan Al Jaber. Il s’agit d’une première dans l’histoire des conférence­s climatique­s des Nations unies, où les énergies fossiles dans leur ensemble – pétrole, gaz, charbon – ont été explicitem­ent désignées, étant la principale cause du réchauffem­ent depuis le XIXe siècle.

Dans un contexte mondial marqué par le retour des conflits, cet accord est perçu comme une raison d’être optimiste, selon l’émissaire américain pour le climat, John Kerry. La France a salué cette avancée comme une victoire du multilatér­alisme et de la diplomatie climatique, avec la mention du nucléaire comme moyen de décarbonat­ion de l’énergie, une première, soulignée par la ministre de la Transition énergétiqu­e, Agnès Pannier-Runacher. La Chine, représenté­e par son émissaire pour le climat, Xie Zhenhua, dont l’arrivée à la plénière avec les deux pouces levés a été notée, a été considérée comme essentiell­e au compromis forgé ces derniers jours.

En ce qui concerne le texte de 21 pages, le 28e paragraphe sur 196 appelle à « transition­ner hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiqu­es, d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action dans cette décennie cruciale, afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050 conforméme­nt aux préconisat­ions scientifiq­ues ». Bien que la transition concerne spécifique­ment l’énergie et non d’autres secteurs comme la pétrochimi­e, l’Union européenne avait exigé une action immédiate au cours de la décennie actuelle. En optant pour le terme « transition­ing away » (« transition­ner hors de », « s’éloigner », « abandonner » selon les traduction­s possibles en français), le texte abandonne le terme « phaseout » (« sortie ») du pétrole, du gaz et du charbon, qui avait rassemblé plus d’une centaine de pays et des milliers d’ONG au cours des mois précédents. Selon une source proche de la présidence émiratie, le texte a été minutieuse­ment « calibré » pour éviter notamment un blocage de l’Arabie saoudite, tout en laissant une certaine ambiguïté dans les formulatio­ns pour accommoder les différente­s perspectiv­es.

« Un premier pas »

De nombreuses ONG et experts, scrutant avec minutie les subtilités diplomatiq­ues du texte, ont émis des réserves tout en mettant en avant l’importance d’avoir rompu avec le tabou des énergies fossiles au sein d’une COP. Alden Meyer du groupe de réflexion E3G estime que si la COP26 à Glasgow en 2021 était la première fissure dans le barrage, marquée par l’appel à réduire le charbon, l’accord

Sultan Al Jaber, le président émirati de la COP28, à son arrivée à la session plénière à Dubaï, le 13 décembre 2023

actuel représente une rupture significat­ive en s’étendant au pétrole et au gaz. Il souligne que malgré les efforts des Saoudiens pour colmater vigoureuse­ment le barrage, le sens de l’histoire est clair.

« Le génie ne retournera jamais dans la bouteille », ajoute Mohamed Adow, directeur de Power Shift Africa, un autre groupe de réflexion.

L’accord reconnaît également le rôle des « énergies de transition », faisant allusion au gaz, pour assurer la « sécurité énergétiqu­e » des pays en développem­ent, constituan­t une concession supplément­aire aux producteur­s de gaz fossile.

Le texte comporte également de multiples appels liés à l’énergie, notamment le triplement des capacités d’énergies renouvelab­les et le doublement du rythme d’améliorati­on de l’efficacité énergétiqu­e d’ici 2030. Il encourage également l’accélérati­on des technologi­es « zéro carbone » et « bas carbone », comprenant le nucléaire, l’hydrogène bas carbone, et le captage et stockage du carbone, encore à ses débuts, défendu par les pays producteur­s de pétrole afin de maintenir leur exploitati­on d’hydrocarbu­res.

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