La Nouvelle Tribune

Égalité dans le mariage, encore coincées entre deux 3maria ?

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En 2024, la société marocaine a changé. Cellulaire à la main et TikTok en réflexe, peu importe d’où l’on vient, la dissonance entre la culture marocaine sur fond religieux entre en collision avec des idéaux de liberté en cropped top et tutoriels de maquillage. Là-dessus, la femme marocaine travaille à hauteur de 33,3% pour les diplômées uniquement, contre 92% pour les hommes diplômés, avec une discrimina­tion toujours virulente côté disparités salariales, accès à l’éducation et taux d’emploi. Et pourtant, l’Etat souhaite avancer avec une réforme du code de la famille où la femme serait (presque, un jour, Inchallah) l’égale de l’homme. Face à une société aux contradict­ions qui grincent, à quoi rêve la femme marocaine ?

Houston, nous avons un problème. Et pas qu’un, les ami(e)s. Voilà, en gros le topo : 2024, dans une contrée où coûte que coûte tradition et modernité se tendent la main, parfois en frôlant la grosse claque, l’union des sexes opposés bégaie, perdue entre des images de l’homme et de la femme qui subissent un flou gaussien colossal.

Face aux impératifs de modernisat­ion du pays, notamment pour attirer les touristes qui n’ont pas trop envie de visiter un lieu archaïque, et reléguer l’obscuranti­sme d’une position de la femme cantonnée à la préparatio­n du zaalouk et du changement de couches, la course est en marche.

Mais, aujourd’hui, l’idéal de l’homme marocain reste, disons-le, le pourvoyeur du foyer. Oui, si vous prenez les textes actuels, que vous rajoutez la perception imprimée dans l’inconscien­t culturel de manière indélébile, l’homme devrait fournir de quoi faire subsister le foyer, et même de quoi payer le forfait coiffeur de madame.

D’ailleurs, à l’acte de mariage, la dot est toujours de mise, petit (ou gros) montant, qui indique que quelque part vous avez été achetée l’équivalent de 2 chameaux et un troupeau de chèvres, voire d’une bague Cartier si vous avez tiré le gros lot. Femme entretenue versus femme indépendan­te, comment s’y retrouver ? C’est bien l’autre problème. En scrollant quotidienn­ement sur les réseaux sociaux, l’idéal internatio­nalisé du couple modèle où la femme est libre, égale, aimée, indépendan­te financière­ment et soutenue moralement par son époux dans ses entreprise­s, donnent des envies de mimétisme. Partage des tâches ménagères, accolades avec filtre, #besthubby inspirent les Marocaines qui s’imaginent vivre l’idylle instragram­mable avec Younès. Mais, en même temps, aimeraient bien que Younès continue à payer le resto, prenne en charge les frais du foyer, comme les textes, le droit, les mères et grand-mères, et l’héritage culturel l’ont bien inculqué. Manquerait plus que ça soit la nana qui porte la culotte, hchouma (et pourtant, dans les faits, cela arrange pas mal d’hommes de notre chère patrie, cela dit en passant). D’un côté, une nouvelle génération de femmes et la volonté d’un effort collectif impulsé par l’Etat voudraient que la femme marocaine sorte de son enclave avec une participat­ion économique plus poussée, une autonomisa­tion (empowermen­t en version trendy), un travail sur la précarité, le taux de chômage des femmes, l’écart des salaires, qui sont des axes alarmants mais aujourd’hui pointés du doigt et non plus assimilés comme normaux.

De l’autre, des textes de loi qui continuent de faire de l’homme le chef du foyer qui devrait assumer financière­ment sa femme. La question de l’égalité se pose donc là.

Comment être l’égale de celui qui devrait tout payer ? Sommes-nous des princesses à entretenir ou des femmes qui bossent et qui peuvent et veulent partager de manière équitable les charges du foyer ? Sans compter que les chiffres ne reflètent peut-être pas la vraie réalité du terrain. Combien de femmes marocaines travaillen­t dans des emplois précaires non déclarés pour soutenir les charges du foyer pendant que l’époux prend son café avec ses congénères ? Combien de femmes assument une activité profession­nelle et les tâches ménagères en faisant deux jobs à temps plein ? Et, combien sont effectivem­ent au foyer à ne rien faire pendant que monsieur trime ?

La question de l’homme idéal à la marocaine se heurte à une évolution dissonante. D’une part, l’homme de chez nous est vu comme le patriarche, la sécurité, la protection, celui qui amène le flouss et devrait assumer ses enfants et son épouse. C’est un dû dans le code de la famille actuel. Dieu merci, l’obéissance au mari a été retirée en 2004, histoire de pouvoir quand même aller faire ses courses sans demander la permission. Ce qui n’empêche pas les femmes marocaines de se faire taper dessus avec un taux de violences domestique­s de 52% – tout de même – et qui a augmenté depuis 2009, CQFD. D’autre part, la femme marocaine s’émancipe, non plus confinée chez elle, mais, avec un portable où elle voit le monde et rêve d’un époux aimant qui ne serait pas autoritair­e en la percevant comme une propriété mais bien comme son égale. Une femme qui voudrait faire des études, travailler, avoir un avenir qu’elle ne devrait qu’à ellemême et où elle pourrait disposer de droits égaux à celui de Monsieur. En combinant les deux, cela donne une vision antinomiqu­e et utopiste où l’on voudrait le beurre et l’argent du beurre, le prince charmant local qui pourrait être protecteur sans être dictatoria­l, participer aux frais du foyer sans être détenteur du pouvoir venu des cordons de la bourse, et Père Noël occasionne­l sans traiter sa femme en achat fractionné. Ce qui donne un statut bancal, des rêves brisés, et probableme­nt beaucoup de chemin à faire pour concilier mentalité façonnée par des siècles de patriarcat et de refrains où l’on doit le respect à l’homme, celui qui permet de manger et de respirer au passage, et le mirage d’un couple soudé où, comme le code actuel de la famille l’affirme, le mariage est « un pacte fondé sur le consenteme­nt mutuel et une union légale et durable, entre un homme et une femme. Il a pour fin la vie dans la fidélité, la pureté et la fondation d’une famille stable sous la direction des deux époux conforméme­nt aux dispositio­ns du présent code. »

Donc l’homme marocain est-il par essence le CEO des vies de leurs femmes même quand il participe aux frais du foyer autant qu’un lézard à Marrakech, ou est-il l’époux-partenaire ?

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