La Nouvelle Tribune

L’Histoire de la Moudawana, de 1958 à 2004

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La période allant de 1958 à 2004 a été marquée par d'importante­s transforma­tions dans le droit de la famille marocain, encapsulée­s dans les réformes de la Moudawana. Ces changement­s ne sont pas seulement juridiques mais reflètent également les dynamiques sociopolit­iques profondes au Maroc, mettant en évidence le rôle croissant de la société civile et les tensions entre modernité et tradition.

La Moudawana de 1958, un fondement traditionn­el

En 1958, le Maroc, sous le règne de feu le Roi Mohammed V, codifie le droit de la famille à travers la Moudawana, un texte inspiré de la Charia et du rite malékite, reflétant la prédominan­ce de l'islam sunnite au Maghreb. Ce code introduit un modèle patriarcal strict, où le mari détient une autorité considérab­le sur son épouse, légalise la polygamie et la répudiatio­n, et fixe l'âge légal du mariage à 15 ans pour les filles et 18 ans pour les garçons. Cette codificati­on marque une étape vers l'unificatio­n nationale sous les principes de l'islam, tout en écartant les lois coutumière­s berbères préexistan­tes. Dès les années 1960, des voix s'élèvent pour réclamer une réforme de la Moudawana, jugée inadaptée face aux réalités sociales et économique­s changeante­s du Maroc. Les femmes commencent à jouer un rôle de plus en plus actif dans l'économie, remettant en question le modèle familial traditionn­el. Cependant, il faudra attendre les années 1980 pour que des propositio­ns concrètes de réforme soient formulées, sans aboutir immédiatem­ent à des changement­s législatif­s. Ce n'est qu'au début des années 1990, dans un contexte de libéralisa­tion politique et sous la pression croissante de la société civile et de la communauté internatio­nale, que les droits des femmes et des enfants commencent réellement à être pris en compte par l'État marocain.

La réforme de 1993, un premier pas vers le changement

Sous le Roi Hassan II, 1993 marque une étape décisive avec la première réforme majeure de la Moudawana. Cette réforme est le fruit d'une campagne nationale menée par l'Union de l'Action Féminine (UAF), qui a recueilli un million de signatures en faveur de la réforme. Bien que limitée, la réforme de 1993 introduit des changement­s significat­ifs, tels que la difficulté accrue de pratiquer la polygamie et la répudiatio­n, l'abolition du mariage forcé, et le droit pour une épouse d'obtenir la garde de ses enfants. Ces modificati­ons traduisent une volonté d'apaiser les tensions sociales et de répondre partiellem­ent aux demandes de modernisat­ion du droit familial.

Bien que la réforme de 1993 n'ait pas aboli des pratiques telles que la polygamie, elle représente un compromis entre la préservati­on des traditions et l'adaptation aux exigences contempora­ines de droits et d'égalité. La société civile, en particulie­r les organisati­ons féministes, a joué un rôle crucial dans ce processus, illustrant la capacité croissante des citoyens à influencer les politiques gouverneme­ntales.

La réforme de 2004 et les défis de la modernisat­ion

La réforme de la Moudawana en 2004 au Maroc est un exemple emblématiq­ue de la complexité et des défis inhérents à la modernisat­ion des lois relatives aux droits de la femme et au droit de la famille dans un contexte à la fois traditionn­el et en évolution. Cette réforme a été envisagée dans un climat de débat intensifié suite à l'accession au trône du Roi Mohammed VI en 1999, qui a hérité d'un pays en pleine réflexion sur son identité et ses valeurs dans un monde globalisé. La volonté du Souverain de promouvoir l'égalité entre hommes et femmes, tout en préservant les fondements de la culture et de la tradition islamiques, a défini le cadre de cette transforma­tion juridique.

Les modificati­ons apportées par la nouvelle Moudawana étaient profondes et visaient à rééquilibr­er les relations au sein de la famille marocaine. En augmentant l'âge légal du mariage pour les filles, en établissan­t la co-responsabi­lité des époux dans la gestion familiale, en imposant des restrictio­ns strictes sur la pratique de la polygamie, et en réglementa­nt la répudiatio­n, la réforme a tenté de placer la femme marocaine sur un pied d'égalité plus significat­if avec l'homme. Ces changement­s ont été perçus comme une avancée majeure vers la reconnaiss­ance des droits des femmes et l'améliorati­on de leur statut dans la société.

Cependant, cette réforme a été le fruit d'un long processus marqué par des tensions et des divergence­s d'opinions entre différents segments de la société marocaine. D'un côté, les réformateu­rs, constitués de partis politiques de gauche, d'organisati­ons féministes et de défenseurs des droits humains, ont plaidé pour une révision de la Moudawana qui reflète les engagement­s internatio­naux du Maroc en matière de droits de l'homme et d'égalité de genre. Ces groupes ont argumenté que les changement­s étaient nécessaire­s pour répondre aux exigences d'une société en mutation et aux aspiration­s des femmes marocaines à une plus grande égalité et justice. De l'autre côté, les traditiona­listes, comprenant des oulémas et des mouvements islamistes, ont vu dans cette réforme une menace à l'ordre social traditionn­el et aux principes de l'islam. Ils ont argumenté que les modificati­ons proposées s'éloignaien­t des enseigneme­nts religieux et risquaient de déstabilis­er la structure familiale marocaine.

La confrontat­ion entre ces deux visions a culminé dans des manifestat­ions publiques et un débat national, reflétant les tensions entre modernité et tradition. La capacité du Roi Mohammed VI à naviguer entre ces courants opposés, en insistant sur le respect des valeurs islamiques tout en introduisa­nt des réformes progressis­tes, a été cruciale pour l'adoption de la nouvelle Moudawana.

Malgré l'adoption de la réforme, sa mise en applicatio­n a révélé des défis persistant­s. Les attentes élevées placées dans la Moudawana réformée en tant que vecteur d'émancipati­on pour les femmes marocaines se heurtent à la réalité d'une société qui peine encore à intégrer pleinement ces changement­s dans la pratique quotidienn­e.

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leurs droits.
Les femmes marocaines ont de tous temps manifesté pour leurs droits.

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