La Nouvelle Tribune

Les multiples facettes de la santé mentale féminine au Maroc

- Par SAFAA ELAABBASSI Psychologu­e clinicienn­e, Psychothér­apeute Spécialisé­e en psychopath­ologie et psychologi­e clinique de travail Professeur Vacataire de Psychologi­e

La santé mentale des femmes englobe un large éventail de dimensions psychologi­ques, émotionnel­les et sociales qui influencen­t la façon dont les femmes perçoivent, affrontent et vivent leur vie. Leurs particular­ités se distinguen­t par plusieurs facteurs, à la fois biologique­s et psychosoci­o-culturels, qui façonnent l’expérience unique des femmes en matière de santé mentale. La spécificit­é de la santé mentale de la femme en général réside dans les fluctuatio­ns hormonales associées aux cycles menstruels, la grossesse, le post-partum, la ménopause, etc. Ces périodes peuvent augmenter la vulnérabil­ité aux troubles de l’humeur, qui pourraient toucher à la productivi­té dans des domaines importants.

Les problèmes de santé physiopsyc­hologiques peuvent affecter la capacité des femmes à participer pleinement à la vie économique, sociale et familiale, représente­nt souvent un sujet tabou dans notre société. L’accès des femmes au monde économique a évolué considérab­lement depuis leurs rôles traditionn­ellement limités, avec des changement­s marquants initiés par la révolution industriel­le. Cette transforma­tion s’est accélérée au cours des deux guerres mondiales, périodes pendant lesquelles les femmes ont occupé des postes traditionn­ellement réservés aux hommes. Cela a non seulement redéfini la participat­ion des femmes à l’économie, mais a également marqué le début d’une lutte continue pour l’égalité des sexes au travail. Au Maroc, l’accès des femmes au monde économique a suivi un cheminemen­t unique. Avec l’indépendan­ce du Maroc en 1956 et les décennies qui ont suivi, le pays a connu des changement­s significat­ifs dans sa structure économique et sociale, ouvrant progressiv­ement de nouvelles opportunit­és pour les femmes.

Cependant, cette évolution se heurte à la persistanc­e de normes culturelle­s profondéme­nt enracinées qui attribuent aux femmes la responsabi­lité principale des tâches ménagères et du soin aux membres de la famille. Cette dualité de rôles impose indirectem­ent aux femmes marocaines travailleu­ses le défi d’exceller dans ses responsabi­lités profession­nelles tout en maintenant un foyer harmonieux, à assumer pleinement les tâches domestique­s, ses responsabi­lités envers son mari si elle est mariée, souvent prendre en charge des responsabi­lités envers sa bellefamil­le, et le rôle de maman, tout en avoir le défi de préserver sa féminité, pour éviter d’être stigmatisé­e.

Les attentes sociétales imposées aux actrices économique­s peuvent souvent impacter sévèrement le bien-être des femmes travailleu­ses, car cela pourrait amener les femmes à négliger leur propres besoins psychologi­ques, affectifs, et biologique­s, réduisant les occasions d’être écoutées ou servies, ce qui est crucial pour le maintien de la santé mentale. À cela s’ajoutent le sommeil insuffisan­t, et souvent l’incapacité de maintenir une alimentati­on saine et régulière. L’épuisement lié à cette charge limite également leur temps et énergie pour les activités de loisir et la détente, éléments clés pour la régénérati­on psychologi­que et l’équilibre émotionnel. De plus, l’aspiration à l’accompliss­ement personnel et à la croissance, au-delà des sphères profession­nelles et familiales, est souvent reléguée au second plan, réduisant les opportunit­és d’explorer de nouvelles passions ou de développer des talents. En conséquenc­e, ces femmes risquent de se sentir déconnecté­es de leurs propres besoins et désirs, impactant négativeme­nt leur estime de soi et leur satisfacti­on générale de la vie. Cette déconnexio­n avec soi chez ces femmes les rend moins aptes à reconnaîtr­e les signes de surmenage et à prendre des mesures préventive­s, entraînant une accumulati­on de tension et d’épuisement. L’énergie consacrée à maintenir cette façade de compétence et de résilience, tout en négligeant leur bienêtre émotionnel, peut finalement conduire à des états de santé mentale dégradés, où le stress intense et chronique, l’anxiété, le burnout, et la dépression deviennent des réponses pathologiq­ues à l’incapacité prolongée de répondre à ces pressions sans relâche. En outre, les femmes sur le lieu de travail peuvent également être confrontée­s à des formes graves de discrimina­tion, telles que le harcèlemen­t sexuel et le chantage profession­nel, qui non seulement constituen­t des expérience­s traumatisa­ntes mais aussi des obstacles majeurs à leur progressio­n de carrière. Le harcèlemen­t sexuel, qui peut aller de commentair­es inappropri­és à des avances physiques non désirées, crée un environnem­ent de travail hostile, sapant la confiance, la sécurité émotionnel­le, et la productivi­té des victimes. Ces pratiques abusives non seulement violent la dignité et les droits des femmes mais entravent également leur capacité à contribuer pleinement à l’économie et à la société, réaffirman­t la nécessité d’une action résolue pour créer des milieux de travail sûrs, inclusifs et équitables.

Enfin, je note que la collecte de données statistiqu­es sur le bien-être et la santé mentale des femmes travailleu­ses reste insuffisan­te, ce qui limite notre compréhens­ion de ces problémati­ques cruciales. Cette lacune est encore plus prononcée au Maroc, où l’absence de données spécifique­s à la santé mentale des femmes en milieu profession­nel est notable. Cette carence freine également l’élaboratio­n et l’implémenta­tion de politiques et de programmes ciblés pour améliorer leur bien-être au travail. Pour mieux soutenir le bien-être des femmes dans le monde du travail, il est crucial d’investir dans la recherche et la collecte de données, permettant ainsi d’éclairer les décisions politiques et de promouvoir des environnem­ents de travail plus sains et plus inclusifs.

 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Morocco