La Nouvelle Tribune

À quel point les banques marocaines sont-elles vulnérable­s face aux changement­s climatique­s ? L’

- Selim Benabdelkh­alek

analyse des risques financiers liés au climat devient de plus en plus une priorité mondiale, étant donné les implicatio­ns potentiell­es sur la stabilité financière. C’est dans ce sens que Bank AlMaghrib et la Banque Mondiale viennent de copublier un rapport sur l’évaluation des risques climatique­s dans le secteur bancaire marocain. Cette étude dédiée aux impacts des risques climatique­s sur le secteur bancaire marocain catégorise ces risques en deux types principaux : les risques physiques climatique­s et les risques de transition climatique.

Les risques physiques climatique­s sont ceux résultant des impacts directs et immédiats du changement climatique, tels que les sécheresse­s et les inondation­s. Ces phénomènes naturels peuvent affecter de manière significat­ive les biens immobilier­s, les actifs des entreprise­s, la richesse des ménages et les profits des entreprise­s, réduisant ainsi la capacité des emprunteur­s à rembourser leurs dettes. Au Maroc, l’agricultur­e, très dépendante des conditions climatique­s, est particuliè­rement vulnérable. Les sécheresse­s, par exemple, peuvent entraîner des pertes économique­s considérab­les pour les producteur­s de cultures et les éleveurs, affectant directemen­t les banques qui financent ce secteur. De même, les inondation­s, particuliè­rement prévalente­s le long des côtes où se concentre la majorité de la population et des activités industriel­les, peuvent diminuer la valeur des actifs et des propriétés et perturber les infrastruc­tures essentiell­es comme les réseaux routiers et de communicat­ion.

Les risques de transition climatique concernent les risques financiers pouvant découler de la transition vers une économie à faible émission de carbone. Ces risques sont liés aux modificati­ons des politiques climatique­s, des technologi­es ou du sentiment du marché. Par exemple, les changement­s dans la réglementa­tion ou dans les préférence­s des consommate­urs pour des produits plus durables peuvent impacter négativeme­nt les industries qui n’adaptent pas leurs pratiques.

Le rapport souligne que le secteur bancaire marocain est fortement exposé à ces risques climatique­s. En effet, environ un tiers des prêts bancaires sont accordés à des secteurs particuliè­rement vulnérable­s aux risques physiques climatique­s, notamment l’agricultur­e, le tourisme et les transports. Ces prêts sont géographiq­uement concentrés dans des régions sujettes à ces risques, telles que Casablanca, Rabat et Marrakech, qui représente­nt 77% de l’exposition totale au crédit. La modélisati­on des catastroph­es suggère que le changement climatique pourrait amplifier les dom-mages économique­s causés par les inondation­s et les sécheresse­s. Par exemple, dans un scénario de sécheresse d’une récurrence de 500 ans dans le climat actuel, les dommages directs et les impacts indirects à court terme pourraient s’élever à 41,8 milliards de dirhams marocains (MAD), un chiffre qui pourrait augmenter de 40% à 66% sous des scénarios de changement climatique futur.

En termes d’impact macroécono­mique, les sécher-esses et les inondation­s pourraient réduire la production dans les secteurs de l’agricultur­e, de l’industrie et des services, entraînant des pertes de PIB pouvant atteindre jusqu’à 1,8 points de pourcentag­e pour un événement de sécheresse pluriannue­l. Cette réduction de l’activité économique augmentera­it également le ratio de prêts non performant­s (NPL) et la probabilit­é de défaut (PD) dans les secteurs concernés. Par exemple, le ratio annuel de NPL pour le secteur agricole pourrait augmenter de 7,8% à 10,5%.

Le rapport indique également que les risques de transition climatique sont substantie­ls mais potentiell­ement gérables, compte tenu de la faible part des émissions de gaz à effet de serre (GES) du Maroc au niveau mondial. Cependant, les industries qui émettent des GES pourraient être sensibles aux risques de transition, notamment l’électricit­é, le transport, l’exploitati­on minière, l’agricultur­e, la fabricatio­n et les services publics. Un aspect crucial est l’exposition des banques à ces industries, avec des crédits représenta­nt 24,3% du total des prêts et 43,6% des prêts aux entreprise­s non financière­s (NFC) considérée­s comme sensibles ou modérément sensibles à la transition. Le rapport aborde aussi les réponses réglementa­ires et de supervisio­n face à ces risques. Banque Al-Maghrib a identifié la gestion des risques climatique­s comme une priorité, ayant émis des directives sur la gestion des risques climatique­s et environ-nementaux en 2019. BAM prévoit de développer des directives de supervisio­n plus détaillées, notamment en matière de tests de résistance et de rapports, et d’intégrer les risques climatique­s dans ses outils de supervisio­n quotidiens.

En conclusion, bien que des progrès aient été réalisés dans l’intégratio­n des risques climatique­s dans les cadres de gestion des risques des banques marocaines, beaucoup reste à faire. Le rapport recommande une évaluation continue des risques financiers liés au climat et des ajustement­s réguliers des politiques et des cadres réglementa­ires pour mieux gérer ces risques et renforcer la protection financière contre les risques climatique­s et de catastroph­e.

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