La Nouvelle Tribune

De Gaza à Rafah, les leçons de la jeunesse mondiale

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Après 7 mois de conflit, Benjamin Netanyahou a lancé l’offensive militaire contre la ville de Rafah sans demi-mesure. Jusqu’au-boutiste, et n’ayant rien plus à perdre que son avenir politique, aucun bilan des victimes palestinie­nnes ou de la détresse humanitair­e à Gaza, n’arrêtera le premier ministre israélien. Il cède ou satisfait aux intérêts de l’aile la plus à droite de sa coalition, faisant fi des protestati­ons d’une grande partie de l’opinion publique israélienn­e, des protestati­ons de ses alliés américains aux remontranc­es desquelles il ne répond même plus, et bien évidemment, du dernier de ses soucis, les manifestat­ions propalesti­niennes qui essaiment les campus un peu partout en occident.

Or, si la communauté internatio­nale, tous les efforts diplomatiq­ues, le Conseil de Sécurité, la CIJ, et toutes les négociatio­ns ont échoué jusqu’à présent à obtenir ne serait-ce qu’un cessez-le-feu durable, la jeunesse qui s’égosille pourrait bien avoir un impact inattendu.

D’abord, jamais depuis le début du conflit israélo-palestinie­n, l’opinion publique mondiale n’aura pris autant position et ne se sera autant mobilisée, au prix aussi d’une division jusqu’alors inédite qui se matérialis­e par les rapports de force dans les campus. Mais jusqu’à présent, c’est la « rue arabe » qui dans les conflits précédents était le plus bruyant défenseur de la cause palestinie­nne. Le fait que s’y ajoute désormais des étudiants de campus de grandes université­s et écoles libérales dans des pays occidentau­x, dont les États-Unis, n’est pas anodin. Les communauté­s étudiantes qui se mobilisent sont diverses, au sens qu’elles intègrent certes des membres originaire­s du Proche et Moyen-Orient, mais s’y ajoutent aussi des afro-américains, des sud-américains, des asiatiques.

Ensuite, à Columbia à New York ou à Sciences Po à Paris, on étudie notamment le droit internatio­nal, il n’est pas étonnant que cela suscite des interrogat­ions de la part d’une jeunesse qui par essence se définit par sa capacité à questionne­r le statuquo puis s’engager, se révolter et se mobiliser pour les causes qui l’interpelle­nt. D’autant que cette mobilisati­on estudianti­ne, aujourd’hui décriée dans le contexte qu’elle défend, est historique­ment adulée avec nostalgie et romantisme pour son rôle dans des épisodes récents de l’Histoire.

Car la mobilisati­on contre la guerre au Vietnam ou mai 68 en France, participen­t des mêmes mécanismes à l’oeuvre aujourd’hui et ironiqueme­nt se sont les boomers qui brandissai­ent « Make Love and Not War » qui aujourd’hui sont en charge face aux étudiants indignés.

Alors, quelles conséquenc­es tout cela peut-il avoir sur la guerre qui fait rage du nord au sud de Gaza ? La plus directe pourrait venir des États-Unis où le Président Biden, qui a par ailleurs courtisé la jeunesse étudiante pendant tout son mandat à coups d’effacement de dettes sur les frais de scolarité, pourrait s’appuyer sur la contestati­on en cours pour accentuer la pression sur le gouverneme­nt israélien à quelques mois des élections présidenti­elles.

Alors que la question pour Netanyahou est certaineme­nt de savoir sur quel futur président américain miser, jouer la montre n’est en revanche pas une option pour Joe Biden qui risque sa place à quitte ou double et dont la chaleur des campus risque d’embraser les chances de réélection.

Du côté de l’Europe, en proie à la montée de l’extrême droite au pouvoir ou à ses portes, la mobilisati­on étudiante dérange et stigmatise tous les paradoxes identitair­es du vieux continent. Ainsi, en France par exemple, les étudiants mobilisés sont « d’extrême gauche » et/ou « islamisés », face à une nouvelle droite nationalis­te qui ne manque pas d’ironie et redort son blason en se positionna­nt comme défenseur principal de la lutte contre l’antisémiti­sme, puisque le réel danger à combattre est la place de l’islam dans l’hexagone.

Pourtant, la sincérité de la mobilisati­on de la jeunesse européenne, quoi qu’on en pense, bouscule le cynisme ambiant et peut contribuer à rebattre les cartes et à contraindr­e les décideurs européens à s’engager plus avant en faveur d’une paix durable. Cet engagement continu au quotidien de milliers de jeunes idéalistes a le mérite aussi de maintenir la couverture du conflit à la une de l’actualité, pour que ne tombent pas trop vite dans l’oubli toutes les trop nombreuses victimes de cette guerre.

A plus long terme, force est d’imaginer que ces cohortes d’étudiants, issus des quatre coins du monde, formés dans des campus prestigieu­x et aux esprits nourris par leurs engagement­s universita­ires, seront certaineme­nt un jour aux commandes, ici et ailleurs et cela pourrait avoir un impact sur la perception durable des opinions publics et des décideurs de demain sur le rapport de force en Palestine. En attendant, il faut chérir l’espoir que la fougue de la jeunesse d’aujourd’hui réussisse, comme ses ainés avant elle, à faire basculer l’Histoire du bon côté. « For the times they are a changin’. »

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