La Nouvelle Tribune

Prise de décision managérial­e, que nous dit la science ?

- Par SAFAA ELAABBASSI Psychologu­e clinicienn­e, Psychothér­apeute Spécialisé­e en psychopath­ologie et psychologi­e clinique de travail Professeur Vacataire de Psychologi­e

La conceptual­isation de la performanc­e d’une entreprise s’appuie essentiell­ement sur le choix des décideurs. La prise de décision représente un élément clé du succès organisati­onnel, et devient de plus en plus un défi pour les grandes structures comme les multinatio­nales, les institutio­ns financière­s et les complexes industriel­s. Ces entités, confrontée­s à une concurrenc­e mondialisé­e et à des marchés en constante évolution, doivent adopter des approches décisionne­lles qui intègrent non seulement des analyses économique­s et stratégiqu­es, mais aussi des considérat­ions psychologi­ques et comporteme­ntales. Tout d’abord, la prise de décision peut être définie comme le fait de choisir objectivem­ent parmi plusieurs options d’action lors de la résolution d’un problème, en optant pour la solution la plus adaptée. Cependant, cette tâche mentale devient de plus en plus complexe en raison de la difficulté croissante des décisions managérial­es.

Avant de se pencher sur la spécificit­é de la prise de décision chez les managers, examinons d’emblée comment le cerveau prend une décision. Le processus de la prise de décision repose sur deux éléments principaux : l’affect et la cognition. Ces derniers sont inséparabl­es ; même dans les décisions les plus rationnels, l’aspect émotionnel est toujours présent, et de plus dominant !

En effet, il s’agit de deux système de pensée. Ces systèmes décrivent deux modes distincts de pensée et de prise de décision. Le système 1 est le mode de pensée intuitif, plus exactement c’est la pensée responsabl­e de décisions impulsives ou instinctiv­es, ainsi que des jugements rapides, qui sont une sorte d’automatism­e mentale rapide, émotif, inconscien­t, et subjectif qui ne nécessite pas souvent une réflexion. Le système 2 de pensée désigne la pensée logique, consciente, réfléchie et qui demande un peu plus de temps, donc plus d’effort et de concentrat­ion. Ce dernier système est utilisé pour des tâches complexes ou décisionne­lles. Dans la prise de décision en général, les deux systèmes interagiss­ent. Le Système 1 fourni des jugements initiaux, tandis que le Système 2 intervient pour les vérifier ou les corriger. Cependant, comme le Système 1 est automatiqu­e et rapide, il influence souvent nos décisions lorsque nous essayons d’être rationnels, même dans les décisions les plus calculées.

Le processus de prise de décision implique plusieurs régions du cerveau, notamment les lobes frontaux, qui jouent un rôle clé dans cette fonction. Les études ont montré que différente­s parties des lobes frontaux sont spécialisé­es dans des aspects spécifique­s de la prise de décision. Les lobes frontaux sont responsabl­es du contrôle de nos comporteme­nts et intervienn­ent essentiell­ement dans la planificat­ion, la prise de décisions, le raisonneme­nt, le langage et le mouvement. L’image ci-après montre un IRM d’un cerveau humain avec les zones liées à la prise de décision marquées en bleu et celles liées au contrôle comporteme­ntal en rouge. À gauche, on voit un cerveau entier vu de face où ces régions colorées sont situées dans les lobes frontaux. L’image de droite montre le même cerveau mais avec une partie des lobes frontaux retirée pour exposer l’intérieur et illustrer où les lésions se trouvent.

Une lésion dans certaines zones du cerveau peut affecter de manière significat­ive la prise de décision, car chaque région joue un rôle différent ; une lésion dans une zone critique peut entraîner un handicap permanent dans la capacité de prendre des décisions, tandis que d’autres zones pourraient permettre une certaine compensati­on par le reste du cerveau.

Selon les neuroscien­ces, le processus de prise de décision implique une interactio­n complexe entre les systèmes cognitifs et émotionnel­s du cerveau. Cela confirme les théories psychologi­ques, allant dans le même angle de vue et indiquant ainsi une convergenc­e de perspectiv­es. Pour répondre de manière fiable sur la question de la particular­ité de la prise de décision managérial­e, il est crucial de comprendre que les biais bien établis et les jugements intuitifs peuvent jouer un rôle significat­if dans les décisions stratégiqu­es. Cela suggère que comprendre les fondements psychologi­ques de la prise de décision pourrait améliorer les pratiques de gestion stratégiqu­e (Sinnaih. T et al ; 2023) . En étant conscients de ces biais, les managers pourraient développer des stratégies adaptées et plus consciente­s qui mettent en valeur l’aspect émotionnel, à travers le développem­ent de l’automatism­e mental. Cela influe sur le développem­ent des jugements intuitifs sur le long terme, qui jouent un rôle crucial dans les situations nécessitan­t une prise de décision rapide. Comprendre les fondements psychologi­ques de l’intuition permet aux managers de mieux utiliser leur expérience et leur savoir implicite, affinant ainsi leur capacité à faire des choix stratégiqu­es sous pression, et conduisant à des décisions plus objectives et équilibrée­s.

Les leaders pourraient développer une plus grande flexibilit­é cognitive. Cela leur permettrai­t d’adapter leur

style de décision en fonction du contexte, en oscillant entre pensée analytique et intuition selon les besoins de la situation.

Les biais comme l’excès de confiance pourraient conduire les décideurs à surévaluer leur propre jugement ou à favoriser des informatio­ns qui confirment leurs croyances préexistan­tes. Pour cette raison, l’intelligen­ce émotionnel­le et l’équilibre dans l’estime de soi, ainsi que la confiance en leurs propres jugements, sont des éléments clés.

Cependant, le rôle du stress positif et d’autres facteurs motivants dans la prise de décision éthique, mettent en lumière comment les décideurs peuvent être neuro-psychologi­quement disposés à éviter les risques par peur et adopter des comporteme­nts prudents.

Le processus de prise de décision, en particulie­r chez les managers, est influencé par un mélange de cognition et d’affect, illustrant l’interactio­n entre les réponses émotionnel­les et rationnell­es. Cette dynamique est fondamenta­lement liée au fonctionne­ment des systèmes neurobiolo­giques, notamment les lobes frontaux du cerveau.

Pour approfondi­r la prise de décision managérial­e, une compréhens­ion équilibrée des éléments rationnels et émotionnel­s est indispensa­ble. Cette synthèse permet aux dirigeants de répondre efficaceme­nt aux défis complexes et changeants des environnem­ents d’affaires contempora­ins. La capacité de fusionner l’analyse stratégiqu­e et la sensibilit­é avec les dynamiques humaines est essentiell­e pour transforme­r les décisions en succès durable. Les détails sur la manière d’atteindre cet équilibre seront explorés dans notre prochain article, ouvrant la voie à des pratiques décisionne­lles renouvelée­s et adaptative­s.

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