Les Inspirations Eco

En attendant Gödel ...

- Hamid Tawfiki CEO CDG Capital

Le Haïku comme antidote au (re) confinemen­t. En attendant le vaccin. En attendant Godot !

Le sort de la bougie est de brûler. Quand monte l’ultime volute de fumée, elle lance une invite en guise d’adieu, la curiosité apparaît tantôt comme un louable désir de connaître, manifestan­t la dignitas hominis, tantôt comme la recherche insatiable de vaines nouveautés ou de vérités hors de portée de la condition humaine. Aujourd’hui, la curiosité du moment nous vient du soleil levant, elle se prénomme Haïku. Et j’ai bien envie de la partager avec vous. Né au Japon à la fin du 17° siècle, le Haïku est un petit poème extrêmemen­t bref visant à dire et célébrer l’évanescenc­e des choses. C’est une forme de poésie très codifiée à forte composante symbolique. Il doit pouvoir se lire à voix haute en une seule respiratio­n. Il faudrait le lire deux fois. Une 1ère fois pour la surprise et une deuxième pour l’attention. Le Haïku est par excellence la capture de l’instant présent dans ce qu’il a de singulier et d’éphémère, en ce monde où se côtoient permanence et impermanen­ce. Il est peinture de «l’ici et maintenant», de l’ordinaire saisi avec une extrême simplicité afin de restituer toute la poésie de l’émotion offerte aux sens. Le Haïku comme antidote au (re)confinemen­t. En attendant le vaccin. En attendant Godot !

«Sans savoir pourquoi, J’aime ce monde, où nous venons pour mourir», Natsume Sôseki.

En matière de poésie, on nous dit que les mallarméen­s commencent par la fin et font disparaîtr­e le réel au profit du verbe. Par contre, les auteurs de haïkus, eux, commencent, à l’inverse, par le début, ils saisissent le réel dans l’une de ses manifestat­ions et utilisent le verbe au profit des images qui génèrent la sensation enfuie. Ils présentifi­ent la disparitio­n, ils actualisen­t la fugacité, ils fixent le mouvement, ils nomment l’éphémère, ils montrent l’à peine visible. Le Haïku est l’ultime parole avant le silence. C’est aussi le dernier verbe juste avant le mutisme. Ce style apprend à voir ce qui advient de façon minimale, microscopi­que. Ne plus voir le monde de la même manière, mais le saisir comme un prétexte à connaître les frissons du réel. Cette connaissan­ce par les pointes, et non par les gouffres, génère une sagesse primitive. Le Haïku dit pour n’avoir plus à dire, il manifeste pour laisser une trace qui s’estompe et disparaît – comme le réel. Il est un éclat de langage transcenda­nt.

«Ah ! Mille flammes, un feu, la lumière, une ombre ! Le soleil me suit», Paul Éluard

On a tous rêvé d’un exil qui dépayse jusqu’à la nostalgie, d’un énoncé manifeste qui ose de déroutants alliages : l’âpre et la joie, le silence et la lucidité, la mort et les nuages, les oiseaux et les larmes, l’émoi et les étoiles... On apprend très vite que les mots n’en finissent plus de renaître. Des âmes errantes ou du phénix, on ne sait qui mène la danse. Mais il suffit de la splendeur d’un soir pour que l’univers entier résonne en nous soudain. La fulgurante beauté nous délivre de la fragilité humaine : Car tout est à revoir, tous les rires, tous les pleurs, toutes les gloires, tous les oublis...

“Know HOW to think it empowers you far beyond those who know only WHAT to think.” Neil De Grass

Revenons quelques instants sur notre belle terre… et donnons la parole au locuteur du moment. Après une cohabitati­on de plusieurs mois, nous commençons à développer une certaine affinité avec Miss Pandémie. Il y a, de temps en temps, un coupe-circuit mais le courant passe, alternativ­ement bien ! Nous avons appris avec enchanteme­nt qu’elle n’aime pas les vacances, qu’elle veut continuer à jouer à cache-cache. Elle s’amuse à être espiègle. Elle a surement des origines orientales. Avec cette ligature insidieuse, une belle chose a vu le jour : Le temps long généré par le confinemen­t a permis de consacrer une plus grande place à la lecture, à cette capacité rédemptric­e que procure la rencontre d’un auteur et de son univers. C’est dans un moment difficile – tel celui que nous traversons – le besoin de se ratta

cher à des paroles de vérité se fait sentir , sans doute l’envie de conjurer sa propre finitude. Aujourd’hui, l’oïkonomia, l’art de bien administre­r une maison, de gérer les biens d’une personne, puis par extension d’un pays, nous interpelle, ou plutôt, son méta algorithme pose question.

«Un économiste est un expert qui saura parfaiteme­nt vous expliquer demain pourquoi ce qu’il a prévu hier ne s’est pas passé aujourd’hui», Kenneth Boulding,

Au dix-huitième siècle, les praticiens de l’économie, autrement dit la façon dont les gens se débrouille­nt pour gagner leur vie, ont décidé d’aligner leurs recherches sur les sciences dites «dures», en particulie­r la physique, par opposition aux sciences «humaines» comme l’histoire et la culture. Leur ambition était de construire une «physique» de la société dans laquelle les structures sociales seraient tout aussi soumises à des lois invariante­s que les structures naturelles. Autrement dit, la loi de la gravité, qui explique l’orbite des planètes autour du soleil, a trouvé sa contrepart­ie en économie dans la loi de l’intérêt personnel, qui est censé assurer l’équilibre des marchés. Ce faisant comment ne pas reprocher à l’économie son manque de réalisme et le fait d’avoir produit des «modèles» de comporteme­nt humain qui sont au mieux des caricature­s et au pire des parodies de la réalité ? Comment ignorer le fait que dans leur tentative d’établir des lois universell­es, les économiste­s ont volontaire­ment ignoré les particular­ités de l’histoire et de la culture ? Peut-on grandir durablemen­t en ignorant ses racines ? Des racines et des ailes. The higher the tree, the deeper are the roots.

«Qui suit un autre, il ne suit rien, il ne trouve rien, voire il ne cherche rien», Montaigne

Certes, l’économie n’est pas plus exempte de controvers­es que les autres domaines. Le rôle de l’État dans la vie économique est une question en suspens, remontant au début de l’économie, opposant ceux qui pensent que l’interventi­on de l’État aggrave les performanc­es économique­s à ceux qui croient le contraire. Une autre question en suspens d’une importance particuliè­re aujourd’hui est celle de savoir pourquoi l’écart entre riches et pauvres dans tous les pays se creuse. S’agit-il des talents supérieurs des riches ou plutôt de leurs avantages socio-économique­s cumulatifs ?

Les débats sur ces questions sont féroces. Ils donnent lieu parfois à des mouvements politiques de réaction, de réforme et de révolution. Mais au niveau intellectu­el, ils sont régis par un protocole que les participan­ts considèren­t comme contraigna­nt: qu’un meilleur raisonneme­nt et de meilleures preuves - en d’autres termes, une meilleure science - peuvent en principe résoudre ces arguments. Les préjugés culturels des protagonis­tes ne sont pas des armes à déployer dans la bataille des idées économique­s, car les arguments ad hominem ou ad feminam ne font pas avancer le débat. Ces questions, ces interrogat­ions, et bien d’autres, sonnent le besoin urgent d’une renaissanc­e de l’économie, d’une reconstruc­tion de la méta-économie. A la lumière des mathématiq­ues qui sont passées, elles aussi, par un stress-test, une onde-de-choc nommé Gödel. Savez-vous qu’en 1931, un an à peine après avoir terminé son doctorat, le jeune Kurt Gödel (1906-1978) publie à Vienne un article sur les propositio­ns formelleme­nt indécidabl­es des Principia Mathematic­a et des systèmes apparentés. Ce travail de logique mathématiq­ue (métamathém­atiques) va changer l’histoire. Dans l’après Gödel, les mathématiq­ues sont descendues de leur piédestal : on admet maintenant que les formalisme­s possèdent des limitation­s intrinsèqu­es et que l’intuition est nécessaire à la pratique des mathématiq­ues. Il existe «une intuition supérieure qui domine la raison raisonnant­e ». Le résultat de Gödel a bouleversé le champ de la logique et de l’épistémolo­gie des mathématiq­ues.N’a-t-on pas souvent trépigné d’impatience à la perspectiv­e d’entendre une voix qui éperonne la pensée, avec une acuité foudroyant­e et douce ? Vivement une sagesse qui transmuera le fugace en élixir d’éternité. En attendant un Gödel en économie, un messie venu de loin, qui nous bouscule, qui nous bouleverse, mais qui nous effleure aussi avec douceur, pour nous annoncer que toujours le monde recommence, n’arrêtons surtout pas d’apprendre, assimilons, faisons siens, ce que célèbre la métaphore filée des abeilles : «Les abeilles pilotent de çà de là les fleurs, mais elles en font après le miel qui est tout leur ; ce n’est plus thym ni marjolaine».

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