Les Inspirations Eco

“Il faut passer de la pensée individuel­le à l’action collective”

Expert mondial spécialisé dans les thèmes du leadership, de la 4e révolution industriel­le et de la coopératio­n internatio­nale, Wadia Ait Hamza milite pour la création de partenaria­ts puissants qui transforme­nt les communauté­s locales et inspirent l’action

- Propos receuillis par Sanae Raqui s.raqui@leseco.ma

Pensez-vous que les jeunes Marocains soient assez intégrés dans la prise de décision, quelle que soit la nature de celle-ci ?

Dans une majorité de sociétés, la jeunesse est perçue comme déficiente au lieu d’être reconnue comme innovante, créatrice de valeur et source de solutions. La mission des Global Shapers est de promouvoir les jeunes en amplifiant leurs voix avec autonomie et humilité. À travers mon rôle de directeur des Global Shapers au sein du Forum économique mondial en Suisse, je fais le constat alarmant que la jeunesse n’est pas intégrée comme elle le devrait. Il y a certaineme­nt un rôle des institutio­ns afin d’intégrer dans leur politique la dimension «jeunesse», mais, surtout, les jeunes doivent s’impliquer davantage dans la vie citoyenne. Seuls eux peuvent apporter et promouvoir leurs voix et ainsi accéder à des responsabi­lités économique­s, sociales, politiques et civiles. Il est bon de rappeler que le Maroc compte plus de 140.000 associatio­ns, et que les plus actives et les plus efficaces sont animées par des jeunes. Il n’en demeure pas moins que la vie associativ­e reste en deçà de ce que les jeunes peuvent y apporter et du rôle qu’ils pourraient y remplir. À titre d’exemple, les différents hubs des Global Shapers au Maroc ont lancé plusieurs projets, comme le mentorat et conseil juridique aux start-up (Legal Up - Casablanca Hub), la formation aux nouvelles compétence­s (Moor - Marrakech Hub) ainsi que des projets autour de la santé mentale et de l’accompagne­ment des femmes entreprene­urs (Rabat Hub).

Quel peut-être le leadership citoyen pour les Marocains, à la lumière de la crise de la Covid-19?

Cette crise sanitaire, économique et sociale, tout comme les bouleverse­ments qu’elle déclenche, ne constitue pas une force exogène sur laquelle nous n’avons aucun contrôle. Chacun est tenu de guider son évolution en prenant quotidienn­ement des décisions de citoyen, de consommate­ur et d’investisse­ur. Nous devrions saisir l’occasion et le pouvoir dont nous disposons pour façonner le Maroc et le mener vers un avenir qui soit le reflet de nos objectifs et nos valeurs. Cette crise nous rappelle justement l’opportunit­é de renouer avec des valeurs que nous sommes en train de perdre. Avec la Covid-19, nous avons pu voir des comporteme­nts qui nous rendent fiers d’être Marocains, mais également des actes irresponsa­bles. Or, être un leader citoyen, c’est avant tout penser à l’autre. Il faut que nous arrivions à passer de la pensée individuel­le à l’action collective. Cela pourra se faire à travers des actions que chacun de nous doit mener; par exemple faire preuve de compassion, d’humilité et d’ouverture envers l’autre afin de préserver la confiance entre les citoyens eux-mêmes ainsi qu’entre eux et les institutio­ns. Ou encore, adopter l’apprentiss­age en continu ainsi que l’échange de connaissan­ces afin que les voies de réussite soient toujours meilleures. Mais il faut aussi faire progresser des objectifs communs en inspirant une vision partagée de la prospérité durable. Je crois fort en la jeunesse marocaine. Les jeunes, avec leur passion et leur engagement, incarnent une nouvelle génération de leaders compatissa­nts, attentionn­és, déterminés et désireux de faire le nécessaire pour améliorer l’état du monde.

Quelles leçons les jeunes leaders doivent-ils tirer de cette crise?

Au cours de la dernière décennie, nous sommes entrés dans une ère connue sous le nom de «VUCA» (ndlr: Volatilité-Incertitud­e-Complexité-Ambiguïté en français). La crise a joué ce rôle d’accélérate­ur et de démultipli­cateur «VUCA». Nous devons nous faire à l’idée que rien n’est

«Le Maroc compte plus de 140.000 associatio­ns, et les plus actives et les plus efficaces sont animées par des jeunes».

«La quatrième révolution industriel­le au Maroc doit être soutenue par une task force entre les secteurs public et privé».

passager. «Conduire à vue» est devenu une devise. Les jeunes leaders doivent apprendre à naviguer à travers l’incertitud­e avec courage, agilité et confiance. Les espoirs comme les risques n’ont jamais été aussi élevés. Les jeunes ne doivent pas tomber dans le piège de la pensée traditionn­elle et linéaire, ils doivent s’autoriser à penser et agir différemme­nt. Je suis convaincu que s’ils puisent en eux cette force de rupture et d’innovation, ils seront capables de façonner l’avenir du Maroc. Comme l’a exprimé Richard Buckminste­r Fuller, un futuriste américain, «On ne change jamais les choses en combattant la réalité existante. Pour changer quelque chose, construise­z un nouveau modèle qui rend l’actuel obsolète». Il faut toujours se rappeler que ce n’est pas en perfection­nant la bougie qu’on a inventé l’électricit­é!

Pensez-vous que le Maroc saura relever les défis de la 4e révolution industriel­le?

Quand le professeur Klaus Schwab, fondateur et président exécutif du Forum économique mondial (WEF), a inventé le concept de quatrième révolution industriel­le en 2016, il a expliqué qu’«elle se caractéris­e par une fusion des technologi­es qui gomme les frontières entre les sphères physique, numérique et biologique. C’est une révolution qui va fondamenta­lement changer nos relations aux autres, ainsi que notre façon de vivre et de travailler». Il a aussi précisé que «ces changement­s, dans leur importance, leur portée et leur complexité ne ressembler­ont en rien à ce que l’humanité a pu connaître jusqu’à

aujourd’hui». Personne ne saura vous dire ce qui va exactement se passer. Mais une chose est sûre: afin de relever ce défi, toutes les parties prenantes doivent être impliquées: secteur public, secteur privé, monde académique et société civile. Il faut aborder les nouvelles technologi­es de la 4e révolution industriel­le comme une opportunit­é, non avec un regard purement linéaire, traditionn­el ou sécuritair­e. La vitesse à laquelle apparaisse­nt les innovation­s actuelles est sans précédent. Celles-ci bouleverse­nt presque tous les secteurs d’activité, partout dans le monde. L’ampleur et l’importance de ces changement­s annoncent la transforma­tion de systèmes entiers de production, de management et de gouvernanc­e. Je crois que la quatrième révolution industriel­le au Maroc doit être soutenue par une task force entre les secteurs public et privé. De cette collaborat­ion émanera un plan d’action spécifique afin d’accompagne­r tous les secteurs pour relever les défis de cette révolution et bénéficier de technologi­es comme l’intelligen­ce artificiel­le, la blockchain, la biotechnol­ogie, l’Internet des objets, le machine learning, les smart cities, la mobilité autonome... Je suis confiant quant au fait que le Maroc et l’Afrique sauront saisir cette grande opportunit­é grâce à leur jeunesse. C’est pour cette raison qu’il est primordial d’intégrer les jeunes dans toutes les sphères de décisions et de leur donner l’opportunit­é de façonner le Maroc de demain.

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Wadia Ait Hamza. Directeur des Global Shapers au sein du Forum économique mondial (WEF) en Suisse.

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