RENCONTRES TRIBALES en Papouasie
En Papouasie occidentale, les hautes terres et la vallée de Baliem étaient et sont encore parfois le théâtre de guerres tribales et de résistances.
En Papouasie occidentale, les hautes terres et la vallée de Baliem étaient et sont encore parfois le théâtre de guerres tribales et de résistances que le gouvernement peine à contrôler. En 1989, les autorités sont parvenues à un accord avec certains leaders afin de transcender cet art de la guerre par la fête et le jeu. Depuis, chaque année, des centaines de tribus descendent des montagnes en marchant parfois pendant cinq jours pour se rencontrer et exhiber la beauté et la puissance de leurs gestes millénaires.
De la rencontre explosive des plaques tectoniques, eurasiennes, pacifiques et australiennes est né le plus grand archipel de la planète: l’Indonésie. Sur ses 13’000 îles qui s’étirent sur 5’000 kilomètres de part et d’autre de l’Equateur, on parle plus de 1’200 langues. Tremblements de terre, éruptions et tsunamis façonnèrent pendant des millénaires les contours grandioses de l’archipel et la vie et les croyances de ses habitants. Aux portes orientales de l’Indonésie, la Papouasie déploie ses neiges tropicales au-dessus des nuages. Recouverte de forêts impénétrables, protégée par des sommets qui frôlent les 5’000 mètres, la seconde plus grande île au monde après le Groenland est le tout dernier morceau de planète inexploré.
Après une nuit à caresser les tarmacs de Denpasar, Makassar et Ambon, l’avion se pose enfin à Jayapura, à quelques kilomètres du 141e méridien. L’aéroport grouille de monde. Tout est différent: la lumière, les visages, les regards des gens et j’ai l’impression d’avoir changé de continent. Le vol de 8h00 du matin se pose enfin et il reste une place! Même si le gouvernement vient de refaire l’aéroport pour accueillir des avions plus importants capables de survoler les montagnes et leurs climats versatiles, atterrir dans les hautes terres reste un challenge pour les pilotes.
On vole dans les montagnes! A perte de vue, des paysages intacts de forêts, traversés par les méandres gracieux des rivières habillent les contreforts des versants abrupts de sommets déchiquetés. Ces paysages indemnes de toute emprise de l’homme sont d’une beauté extraordinaire.
En 20 ans, la présence humaine s’est développée de toute part, réduisant de manière drastique les espaces naturels. Survoler ces pans de nature vierge est un cadeau d’une valeur incommensurable.
L’avion glisse sur une piste bordée de maisons, l’aéroport est devenu le centre de la ville de Wamena, qui s’est développée à grande vitesse ces dernières années.
À L’APPROCHE D’UN AUTRE MONDE
La fête annuelle de la vallée de Baliem attire de plus en plus de visiteurs et tous les hôtels de la ville affichent complet six mois avant. Un employé de l’aéroport se propose de me déposer à l’immigration afin que je puisse obtenir mon permis de visite, obligatoire pour sillonner la Papouasie. Coup de chance, le chef de l’immigration est balinais, nous parlons de son île natale et de sa vie en Papouasie. Je lui demande si je peux faire appel au chef du village pour obtenir le droit de loger chez l’habitant. Je le fais rire; pas de chef du village à Wamena! J’obtiens mon permis et en prime le contact d’une magnifique jeune femme papou qui travaille pour le gouvernement et deviendra mon hôte et amie pendant mon séjour.
A peine sortie de l’immigration, Angel me fait monter dans sa voiture et nous roulons une quarantaine de minutes. Tout autour, l’amphithéâtre des Jayawijaya encercle la vallée. Nous croisons des groupes de villageois aux corps nus, apprêtés de leurs étuis péniens élancés et au corps et visages peints des ocres et gris de la terre. Ils marchent, nu-pieds sur une terre rocailleuse, vers une large esplanade qui grouille de monde.
Ce voyage dans les temps les plus anciens de l’humanité mettent à fleur de peau tous mes sens. L’énergie; la beauté qui émane de cette rencontre hors du commun… Les hommes portent dans le nez les défenses de cochons sauvages. Sur la tête, des coiffes de plumes de casoars et d’oiseaux du paradis. Leurs visages peints me transportent vers un monde où l’homme et la nature ne faisaient qu’un. Ils incarnent la beauté et la puissance de la terre, des plantes et des oiseaux. Mi-hommes, mi-oiseaux. Je déambule; trois jours à écouter les chants et les gestes, subjuguée par les couleurs et ces centaines de regards et de cris, ancrés dans les profondeurs de l’humanité.
L’HISTOIRE D’UNE VALLÉE OUBLIÉE
L’inaccessibilité et l’isolement des hautes terres sont tels que les populations papoues présentes depuis 50’000 ans ont évolué en autarcies absolues, favorisant le développement de plus de 1’000 langages et tout autant de différences culturelles. Un concentré de biodiversité extraordinaire...
En 1848, l’île fut séparée en deux. Pas par le feu des entrailles de la Terre, mais par un coup de crayon de l’homme sur le 141e méridien d’une carte aux contours encore très approximatifs. La Papouasie, à la géographie méconnue, devient alors hollandaise, allemande, puis anglaise. A cette date, les hautes terres inaccessibles qui composent la quasi-totalité de l’île sont supposées inhabitées. Il faudra attendre 1938 qu’un avion survole l’île pour que soit découverte, au coeur des Jayawijaya, la vallée de Baliem et ses peuples à l’agriculture la plus vieille du monde. Les visages de ses habitants ne seront montrés au monde qu’en 1969, avec la diffusion du documentaire «Dead Birds» de Robert Gardner. La première piste sera construite sur les bords du lac Habbema et la région restera jusqu’à ce jour uniquement accessible par avion. Les hautes terres des peuples Dani Yali et Lani sont restées invisibles aux 4’000 ans d’histoire commerciale entre les Chinois, les Indiens
LEURS VISAGES PEINTS ME TRANSPORTENT VERS UN MONDE OÙ L’HOMME ET LA NATURE NE FAISAIENT QU’UN. ILS INCARNENT LA BEAUTÉ ET LA PUISSANCE DE LA TERRE, DES PLANTES ET DES OISEAUX. MI-HOMMES, MI-OISEAUX.
et les Arabes, et ces tribus ont passé ainsi entre les mailles des 400 dernières années de colonisation européenne. Pour eux, les seuls propriétaires de la terre sont les ancêtres, en ce sens que ce sont les premiers à avoir occupé les terres, construit une maison, ouvert un «yabuk», un jardin, nommé les montagnes et les rivières. La terre leur appartient et leurs descendants ne sont héritiers que du droit d’usage. Au regard du nombre d’années que le premier papou a passé à construire sa maison et à donner le nom à la rivière Baliem, l’idée que la montagne et la rivière de leurs ancêtres soient revendiquées par des étrangers ne peut pas avoir de sens pour eux. Un choc culturel qui devint un enjeu de résistance sanguinaire et controversé avec Jakarta, qui prit le contrôle de la Papouasie en 1963.
LE TEMPS DES RÉVOLTES
Sans même avoir eu le temps de dire au revoir aux Hollandais, ils devinrent alors citoyens indonésiens et chrétiens, après s’être pris une pluie de soldats australiens et japonais, suite à la Seconde Guerre mondiale qui embrasa le SudEst asiatique. En 1969, sous la pression de l’église, les fétiches sont brûlés et les chamanes, les «hwalahun» tout-puissants sont déclassés par leurs pairs au rang de villageois lambdas. C’est vrai qu’aux yeux de l’église, il ne fait pas bon vivre nu à 2’300m d’altitude avec pour seul attribut un étui pénien. Surtout si c’est pour invoquer les ancêtres, les montagnes ou les fétiches, manger ses ennemis ou se soigner avec les plantes alors que la médecine moderne et dieu sont là pour sauver le monde...
Pourtant, ainsi apprêtés, il ne font plus qu’un avec cette nature hors norme. Ils y puisent les secrets de leur éternité en embaumant leurs morts de plantes et de fumées, donnant à certains le pouvoir de rester matériellement avec les vivants pendant des siècles. Ces momies à la peau noire cendrée défient le temps, en vivant comme les hommes dans les petites «honai», les huttes. Après des millénaires de dérives des continents et 50’000 ans d’histoire humaine, il aura fallu moins de 50 ans pour semer la zizanie dans la vallée de Baliem et se rapprocher de ce présent de plus en plus homogène que nous appelons la modernité. Depuis 1989, le festival de Baliem joue un rôle important dans la part de reconnaissance de la culture papoue des hautes terres, mais aussi dans le développement du tourisme qui constitue un apport financier certes essentiel, mais aussi équivoque avec son lot de déviances et de fragilités.
C’EST VRAI QU’AUX YEUX DE L’ÉGLISE, IL NE FAIT PAS BON VIVRE NU À 2’300M D’ALTITUDE AVEC POUR SEUL ATTRIBUT UN ÉTUI PÉNIEN. SURTOUT SI C’EST POUR INVOQUER LES ANCÊTRES, LES MONTAGNES OU LES FÉTICHES, MANGER SES ENNEMIS OU SE SOIGNER AVEC LES PLANTES ALORS QUE LA MÉDECINE MODERNE ET DIEU SONT LÀ POUR SAUVER LE MONDE...
POUR EUX, LES SEULS PROPRIÉTAIRES DE LA TERRE SONT LES ANCÊTRES, EN CE SENS QUE CE SONT LES PREMIERS À AVOIR OCCUPÉ LES TERRES, CONSTRUIT UNE MAISON, OUVERT UN «YABUK», UN JARDIN, NOMMÉ LES MONTAGNES ET LES RIVIÈRES. LA TERRE LEUR APPARTIENT ET LEURS DESCENDANTS NE SONT HÉRITIERS QUE DU DROIT D’USAGE.
Le permis de visite obligatoire pour arpenter la vallée de Baliem peut être demandé à l’immigration à Wamena, mais aussi à Jayapura. Tout trek dans les environs doit être enregistré préalablement à la police. Il est important de s’informer des conditions politiques. Certaines régions peuvent entrer en tension et être fermées aux étrangers.
POUR Y ALLER
Wamena n’est accessible que par avion depuis Jayapura, via les compagnies Nam Air, Wings Air et Trigana Air. 10 kilos de bagage par personne seulement sont autorisés par les trois compagnies qui desservent quotidiennement Wamena depuis Jayapura.
Depuis Wamena, Susi Air dessert les localités les plus reculées des hautes terres: Aphalapsili, Bokondini, Dekai, Elelim, Karubaga, Kenyam, Mapenduma, Mulia, Pasema et Tiom.
LANGUE ET COUTUMES
Il est vrai que certaines tribus Yali avaient la mauvaise réputation de manger leurs ennemis. L’Indonésie en a profité pour interdire le cannibalisme, ce qui n’enlève rien à l’accueil et à la gentillesse des peuples Dani, Yali, et Lani… S’il n’est pas bon de se faire des ennemis papous, il est très facile de s’en faire des amis. Le bahasa indonésien est la langue commune. Peu de monde parle anglais. Les guides anglophones appliquent donc des tarifs qui peuvent être très chers. Jardins, forêts, rivières, montagnes, villages et certains arbres appartiennent aux ancêtres. Demander la permission est essentiel pour ne pas troubler les coutumes. Enfin, ne sortez jamais sans du tabac à offrir en échange d’une conversation ou d’une photographie.
VIVRE LE FESTIVAL
Le festival annuel de Baliem se déroule du 8 au 10 août 2018.
www.baliemfestival.com
Il est possible de dormir au Baliem Valley Ressort. A 40 minutes de Wamena, cet hôtel intégré dans un village Dani est le fief d’un scientifique et collectionneur allemand, tombé amoureux de la Papouasie il y a 40 ans. Au fil de ses expéditions, il a rassemblé une importante collection d’art papou et ouvert un musée en Allemagne. Le restaurant de l’hôtel est un musée qui offre un panorama grandiose sur le mont Trikora, entouré de magnifiques pièces Asmat, Dani et Yali.
Le Baliem Valley Ressort propose une dizaine d’expéditions à prix élevés, mais savamment organisées, dont certaines guidées par le physicien Werner Weiglein, comme l’ascension de la Pyramide de Carstensz ou les zones les plus reculées des territoires Asmat.
www.dr-weiglein-expeditions.de