À LA RECHERCHE DU paradis suisse
C’est dans la montagne, là où l’immensité rime avec silence, où le vent arrache les pensées sombres et leur substitue une véritable paix de l’âme que je me suis toujours senti le mieux.
Les sommets étincelants de blancheur, les brumes évanescentes ou les cascades limpides dégringolant des falaises n’ont cessé de me procurer une énergie indicible, à la fois tonique et lénifiante. Longtemps, le monde alpin a été la raison essentielle de préparer mon sac et partir, seul de préférence; plonger pas à pas au coeur du mystère minéral, bivouaquer sur un bombement herbeux peu accessible, ou me perdre en esprit dans les horizons embrumés s’est imposé comme une réponse à cette fascination extrême, m’amenant parallèlement à photographier ces hauts lieux avec une passion dévorante.
Mais depuis peu, j’ai commencé à éprouver un plaisir analogue en allant moins loin et en photographiant des sujets plus éclectiques – à condition qu’ils soient séduisants – tel un vieux bateau vapeur magnifié par un éclairage singulier, une habitation nimbée de poésie ou simplement la douceur qui éclate d’un visage illuminé d’un sourire. Ainsi, en 2017, je me suis rendu à la fête populaire de l’Unspunnen, dans l’Oberland bernois, afin de tirer le portrait de quelques autochtones en liesse, vêtus de leurs habits folkloriques; une première pour moi.
LA SUISSE EN QUATRE SAISONS
L’idée de réaliser un travail rassemblant des images oniriques de différentes régions de la Suisse m’est venue à l’automne 2016. Prisonnier d’impératifs familiaux, j’ai vite délaissé la perspective
C’est dans la montagne, là où l’immensité rime avec silence, où le vent arrache les pensées sombres et leur substitue une véritable paix de l’âme que je me suis toujours senti le mieux, en harmonie profonde avec mon être intérieur.
d’un voyage au long cours au profit de plus courtes excursions dans mon propre pays, ce qui m’a montré que l’on peut aussi connaître cette ivresse nomade non loin de chez soi. Visitant tour à tour moult lieux de l’Oberland bernois, du Tessin, des cantons de Schwytz et Uri, des Grisons, du Valais et de cette terre vaudoise où je réside, j’ai vécu de fort beaux moments dans la nature sauvage ou à l’orée de la civilisation, me délectant de rencontres, de panoramas sublimes et de cette étonnante radiance des couleurs – sans cesse fluctuante au gré de la lumière ambiante et des saisons.
AVEC LES BOUQUETINS DE L’AUGSTMATTHORN
L’aventure commence dans l’Oberland bernois, sur les flancs de l’Augstmatthorn, un sommet dominant les eaux opales du lac de Brienz. Ce 29 octobre. il fait doux, le soleil est là, les bouquetins présents par dizaines, les randonneurs aussi. M’arrêtant souvent au détour du sentier, j’ai plaisir à humer les senteurs de l’automne et vibre en caressant du regard les mordorures qui transfigurent ces reliefs altiers. Le boîtier calé sur le trépied, je capture l’ambiance à travers mes objectifs, variant les cadrages et les angles de prise de vue.
Deux jours plus tard, me voilà à nouveau sur le même sommet. Toujours autant de bêtes à cornes, mais point de randonneurs. Le brouillard est dense, masquant le vide alentour. Sur une crête acérée, un bouquetin surgit soudain près de moi. Réglage hâtif sur le boîtier, déclic, et le voilà qui file déjà dans la pente. Cependant, un second le talonne, me laissant assurer quelques clichés. Bonheur! Cette virée n’était certes pas la première dans cette région, mais elle marqua de façon tangible le début d’un parcours captivant qui monopolisa l’essentiel de mon temps libre jusqu’à ce jour.
VALLÉES TESSINOISES ET BEL ACCUEIL
Mai 2017. Sous la chaleur devenue brusquement estivale, je découvre le Tessin, totalement inconnu à mes yeux. Délaissant ma tente si souvent utilisée lors de mes escapades, je loge chez un couple d’amis, qui de plus met à disposition un véhicule pour mes déplacements. Val Verzasca, Maggia, Blenio, gorges de la Breggia; combien de lieux enchanteurs n’ai-je pas visité au cours de ce séjour? Transporté par le caractère unique de ces vallées sillonnées de rivières émeraude ou argent, par le charme de ces villages de pierre lovés dans les forêts de hêtres et de châtaigniers, par cet accueil qui n’existe qu’aux portes de l’Italie, je suis revenu chez moi riche de nouvelles expériences, empli d’une nostalgie certaine. Merci Andrea et Toni! Autant je peux m’émerveiller des échanges ou des rencontres qui ponctuent mes voyages, autant la solitude reste un élément inhérent à ma démarche. Evoluer seul m’offre une liberté inégalée et me permet de vivre corps à corps avec les éléments naturels, d’être pleinement à l’écoute de mes inspirations. L’endroit est idéal, mais la lumière ne l’est pas; qu’importe, je peux y revenir sans que cela ne fruste personne.
TRANSPORTÉ PAR LE CARACTÈRE UNIQUE DE CES VALLÉES SILLONNÉES DE RIVIÈRES ÉMERAUDE OU ARGENT, PAR LE CHARME DE CES VILLAGES DE PIERRE LOVÉS DANS LES FORÊTS DE HÊTRES ET DE CHÂTAIGNIERS, PAR CET ACCUEIL QUI N’EXISTE QU’AUX PORTES DE L’ITALIE.
SOUS LES MURAILLES DE BRUNNEN
Mes lieux de prédilection ne sont pas forcément les panoramas vantés par les slogans publicitaires; j’aime plus encore ces coins méconnus qui se dévoilent en les apprivoisant peu à peu. C’est ainsi qu’au mois de juin, j’arrive à Brunnen, au bord du lac des Quatre-Cantons, sans même avoir pris le temps d’étudier la région. Un passage récent m’a révélé le caractère insolite de l’endroit: une portion du lac se trouve enchâssée entre des murailles en gradins s’élevant jusqu’aux sommets enneigés; de quoi émoustiller mes rêves et mon imaginaire. Ciels d’orages, éclairages tranchés et une lune presque pleine me permettent de ramener une poignée de clichés intéressants, reflets de tant d’instants prodigieux.
DANS LES TÉNÈBRES DE LA HAUTE-ENGADINE
Un mois plus tard, en plein été, j’installe ma petite tente à Morteratsch, en HauteEngadine. Le camping est sympathique, ombragé, néanmoins très fréquenté à cette saison. Sur les sentiers aussi il y a foule, mais comme je traque souvent des atmosphères différentes de celles qu’offre le soleil en plein midi et que les pastels du crépuscule sont capables de me transporter dans un ailleurs fabuleux, il est fréquent que je pratique la randonnée à contre-courant, croisant dans ma montée les derniers marcheurs sur le chemin du retour. De ce fait, je rentre de nuit, affrontant parfois les esprits maléfiques des ténèbres. Fort heureusement, un soir au moins, j’y échappe, les pétards du 1er Août, fête nationale, les ayant sans doute repoussés vers la frontière italienne…
MÉLÈZES ET BINNTAL
Ce besoin constant de me retrouver au contact d’une nature vierge me pousse à me rendre en octobre dans le Binntal, en Valais. Un car postal m’y amène. La route serpente sur un flanc de montagne, traverse un tunnel et me dépose au camping, le seul de la région. A peine arrivé, je suis magnétisé par le décor;
hauts sommets jonchés de caillasse, villages pittoresques et la forêt qui tapisse les pentes abruptes, sublimée par les couleurs de l’automne.
Après quelques errances photographiques, une randonnée dans le haut de la vallée exige un effort beaucoup plus conséquent, néanmoins largement récompensé; au soir, le soleil perce les brumes, enflammant les éboulis et quelques mélèzes se détachant d’un fond rocailleux austère. Un tableau parfait! L’oeil collé au viseur, je savoure la scène, actionnant maintes fois le déclencheur de mon boîtier avant que les signes précurseurs de la nuit se manifestent et m’incitent à partir. Le surlendemain, départ à l’aube pour une marche de huit heures (aller-retour) qui me conduit au Geisspfadsee, un lac perché à 2’439m d’altitude. Durant la descente, l’obscurité me surprend dans un pierrier chaotique et dangereux. L’obstacle surmonté, je file à bonne allure jusqu’à ma tente plantée 700 mètres plus bas, des images plein la tête.
ENTRE LAVAUX ET RIVES DE NEUCHÂTEL
Au cours des semaines suivantes, je ne me lasse pas de faire des incursions dans le Lavaux, à deux pas de mon domicile, pour saisir les palettes de couleurs de la vigne à cette époque de l’année. Les feuillages de l’été ont décliné en jaune or et ocres saisissants, contrastant avec les eaux du bleu Léman. Comblé, j’y reviens en décembre, une fine pellicule blanche ayant transformé le paysage.
L’hiver me dévoilera d’autres merveilles encore, comme ces formations de glace nées d’une forte bise conjuguée à un froid polaire, que j’ai pu immortaliser sur les rives du lac de Neuchâtel. Fait assez rare, la neige s’est mêlée à ce mariage tout en dentelle. Beauté éphémère qui résume à elle seule tous ces instants magiques glanés durant ce parcours, vécu à fleur de rêve, à travers cette Suisse si belle et si déroutante, mon pays...