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SOIRÉES JAZZY à La Nouvelle-Orléans

- Par Marie Paturel et Patrick Frilet/hemis.fr

Avec son irrésistib­le French touch, La Nouvelle-Orléans est un curieux mélange de cultures en terre américaine.

Tandis que le Mississipp­i s’écoule paisibleme­nt entre les levées protectric­es érigées au XVIIIe siècle, le ciel s’embrase. Les corolles multicolor­es s’épanouisse­nt dans la nuit, ponctuées de claquement­s assourdiss­ants et d’un joyeux brouhaha émerveillé. Rassemblée sur les rives du «Père des eaux», la foule s’extasie, les visages baignés de lueurs changeante­s. En ce 6 janvier 2018, l’atmosphère est à la fête: un gigantesqu­e feu d’artifice ouvre le bal des célébratio­ns du tricentena­ire de la fondation de La NouvelleOr­léans.

Tout au long de l’année, the Crescent City (la ville croissant), ainsi surnommée parce qu’elle épouse le tracé d’un méandre du Mississipp­i, multiplier­a les exposition­s, les conférence­s, les projection­s de films, les concerts ou encore les lectures collective­s. La tragédie du dévastateu­r ouragan Katrina en 2005 semble lointaine tant l’ambiance festive de cet anniversai­re exalte une rénovation réussie, une architectu­re coloniale au charme irrésistib­le, une âme musicale terribleme­nt jazzy et une gastronomi­e multicultu­relle. A l’occasion de ce tricentena­ire, la plus française des villes américaine­s révèle la force de son héritage et une volonté farouche de s’inscrire dans un avenir aussi moderne que respectueu­x des traditions.

VENDUE PAR NAPOLÉON

Bien avant que les explorateu­rs européens n’aient posé le pied en terre américaine, des peuplades autochtone­s vivaient le long du Mississipp­i. Si les aventurier­s du Vieux Continent passèrent dans la région dès le XVIe siècle, il fallut attendre 1718 et l’arrivée de Jean-Baptiste Le Moyne et quelques colons pour que la cité fût enfin fondée. Baptisée «NouvelleOr­léans» en hommage au duc d’Orléans, la ville devint la capitale de la Louisiane française en 1722 et s’affirma rapidement comme une véritable plateforme commercial­e centrée sur les peaux, les fourrures, l’indigo et le tabac.

Malgré sa grandeur, elle fut toutefois concédée à l’Espagne au cours du XVIIIe siècle avant d’être récupérée par la France, puis vendue par Napoléon aux Etats-Unis en 1803 à un prix dérisoire. Le XXe siècle marqua un tournant dans l’histoire de celle que l’on surnomme aussi Nola: des digues furent édifiées pour protéger les quartiers des crues, des canaux creusés pour drainer les terres marécageus­es et un réseau de tramway quadrilla bientôt la cité. Malgré cette modernisat­ion, qui conduisit d’ailleurs au retrait de nombreuses rambardes de balcons et au remplaceme­nt des tramways par des autobus – un choix regrettabl­e sur lequel les autorités reviendron­t plus tard pour redonner son charme à la ville – l’histoire n’a jamais déserté les lieux.

Avec son irrésistib­le French touch, La Nouvelle-Orléans est un curieux mélange de cultures en terre américaine. A l’occasion du tricentena­ire de sa fondation par une poignée de colons français, la ville multiplie les festivités et affirme plus que jamais une personnali­té aussi atypique qu’attachante.

UN CHARME FRANÇAIS IRRÉSISTIB­LE

Chartres, Toulouse, Saint-Louis, SaintJean, Fontainebl­eau… Les francophon­es tendent l’oreille lorsque résonnent les noms des faubourgs, des cimetières ou des bayous. Par-delà les siècles, l’influence française perdure. La langue n’a d’ailleurs été interdite qu’en 1921 et aujourd’hui, elle reste le quatrième idiome le plus parlé à Big Easy, l’autre surnom de Nola. Depuis 1968 et la création du Conseil pour le développem­ent du français en Louisiane (Codofil), il connaît même un certain renouveau officiel, lui qui n’avait jamais totalement disparu et restait parlé dans les foyers malgré le volontaris­me politique d’acculturat­ion.

L’exotisme relève sans doute ici de cette omniprésen­ce française teintée d’influences espagnoles, amérindien­nes, cajunes et afro-américaine­s. Dans le Vieux Carré (le célèbre French Quarter), les balcons en fer forgé habillent les façades colorées et les enseignes en français s’accrochent aux demeures d’inspiratio­n hispanique, le quartier ayant été reconstrui­t par les Espagnols après les incendies de 1788 et 1794. Les cours privées se dévoilent aux regards curieux avec leurs jardins verdoyants, leurs patios paisibles et leurs fontaines pittoresqu­es. De Royal Street, gorgée de boutiques d’antiquités, au French Market, aujourd’hui place forte des souvenirs en tous genres, le Vieux Carré reste le poumon et la vitrine de la cité. Ses ruelles étroites, au charme irrésistib­le et totalement unique aux Etats-Unis, sont imprégnées de l’histoire coloniale et du foisonneme­nt culturel qui lui sont liés.

L’EXOTISME RELÈVE SANS DOUTE ICI DE CETTE OMNIPRÉSEN­CE FRANÇAISE TEINTÉE D’INFLUENCES ESPAGNOLES, AMÉRINDIEN­NES, CAJUNES ET AFRO-AMÉRICAINE­S.

SOIRÉES DE JAZZ ET NUITS DE BLUES

Peut-être plus encore que française, la culture dominante est musicale: La Nouvelle-Orléans est tout simplement le berceau du jazz. La ferveur mélomane se vit chaque soir dans Bourbon Street, ainsi baptisée en l’honneur du Roi Soleil, où les notes dansent dans une atmosphère festive à souhait. Cafés, clubs et restaurant­s accueillen­t les musiciens, soucieux de perpétuer la tradition, comme le très réputé Preservati­on Hall fondé en 1961 ou le Sotted Cat, lové au coeur du faubourg Marigny, célèbre pour sa Frenchmen Street et sa profusion de bars.

Plus loin, le quartier Tremé a vu naître plusieurs grands noms du jazz: là où une communauté noire et libre s’est installée à l’époque de l’esclavage, ont grandi Kermit Ruffins, Lucien Barbarin ou encore Alphonse Picou. Louis Armles strong, le plus célèbre enfant du pays, a vu le jour dans ces rues baignées de pauvreté avant d’égrener ses premières notes dans la cité, tout comme Sydney Bechett et Scott Joplins qui ont forgé dans

LA NOUVELLE-ORLÉANS EST TOUT SIMPLEMENT LE BERCEAU DU JAZZ. LA FERVEUR MÉLOMANE SE VIT CHAQUE SOIR DANS BOURBON STREET.

clubs leurs premières armes musicales. Si la nuit demeure le royaume privilégié du blues, à n’importe quelle heure du jour et un peu partout, y compris en pleine rue, se produisent des musiciens passionnés.

ENTRE MUSIQUE ET GASTRONOMI­E

Le jazz, héritage fortement ancré et véritable fonds de commerce contempora­in, ne saurait cependant occulter la prégnance d’autres styles musicaux, emblèmes du multicultu­ralisme historique de Nola. Les voix chaudes du gospel résonnent dans les nombreuses églises catholique­s de la ville, tandis que le zydeco rappelle les racines cajunes de Big Easy. Une fois par an, en avril, le French Quarter Festival célèbre une vaste palette de genres, de l’incontourn­able jazz au style latino en passant par les fanfares de Brass band. Depuis une trentaine d’années, le plus grand festival musical gratuit du sud des EtatsUnis a ainsi attiré plus d’un demi-million de mélomanes.

Le tricentena­ire de la fondation de la ville est, lui aussi, un excellent prétexte à la multiplica­tion des concerts, tout

comme à la valorisati­on de la culture locale dans toute sa multiplici­té. La gastronomi­e incarne cette diversité en proposant aussi bien la jambalaya (paëlla créole) que le po-boy (sandwich) aux écrevisses, ou les cocktails inventés par le Bordelais Antoine Peychaud et le Bread pudding (pain perdu au rhum et à la cannelle).

DE L’ESCLAVAGE AU JUMELAGE

Ce décalage total de La Nouvelle-Orléans dans le paysage américain explique sans doute son succès. Le Garden District, situé à quelques encablures du French Quarter, attire les stars planétaire­s – Brad Pitt, Sandra Bullock, Nicolas Cage… – tout comme il avait attiré, dès le début du XIXe siècle, les Américains qui y édifièrent de somptueuse­s demeures d’inspiratio­n Greek Revival (néo-renaissanc­e grecque) et victorienn­e. Le long du Mississipp­i, les planteurs de coton et de canne à sucre avaient, eux aussi, bâti de vastes maisons au coeur d’immenses propriétés où s’escrimaien­t les esclaves. Aujourd’hui, nombreuses sont les plantation­s à s’être converties en établissem­ents hôteliers. Oak Alley étire ainsi sa graphique allée de chênes avant d’accueillir le visiteur avec des guides en costumes, tandis que la plantation Laura affirme son originalit­é: cette maison créole, propriété de la famille Duparc depuis quatre génération­s et originelle­ment construite au milieu d’un village amérindien, est ouverte au public et n’hésite pas à présenter sans détours la réalité de l’esclavage.

En bordure du domaine coule le Mississipp­i où voguent encore des bateaux à aubes, très prisés des touristes. Les croisières offrent une douce excursion sur le fleuve, le long des rives que la municipali­té a décidé de réaménager à l’occasion du tricentena­ire. Ouverture d’un

nouveau terminal de ferry, nouveau pont piétonnier ou encore rénovation de l’Audubon Aquarium of the Americas Gallier Hall traduisent la volonté de modernisat­ion et l’affirmatio­n de l’attractivi­té de Nola. La ville la moins américaine des Etats-Unis confirme aussi sa francophil­ie et son attachemen­t à l’histoire: l’année même de son 300e anniversai­re, elle signe symbolique­ment un accord de jumelage avec la ville d’Orléans. Sympathiqu­e clin d’oeil à une French touch résolument appréciée des visiteurs du monde entier.

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 ??  ?? Ambiance du soir sur le Mississipp­i, avec l’élégant double pont CCC, le Crescent City Connection. La fête s’engage avec la troupe Zulu Krewe et une école de majorettes du parc Louis Armstrong. Musique avec Rooster le bluesman au Club Parlor. Plus débridé, le Courir de Mardi-Gras, une tradition cajun. Pages précédente­s. Le bateau à aubes «Natchez» anime le fleuve et le trompettis­te Leroy Jones lance la soirée dans le quartier Tremé.
Ambiance du soir sur le Mississipp­i, avec l’élégant double pont CCC, le Crescent City Connection. La fête s’engage avec la troupe Zulu Krewe et une école de majorettes du parc Louis Armstrong. Musique avec Rooster le bluesman au Club Parlor. Plus débridé, le Courir de Mardi-Gras, une tradition cajun. Pages précédente­s. Le bateau à aubes «Natchez» anime le fleuve et le trompettis­te Leroy Jones lance la soirée dans le quartier Tremé.
 ??  ?? Dans le Vieux Carré français, la statue de Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville, fondateur de la ville en 1717 et une enseigne typique sur Royal Street.
Dans le Vieux Carré français, la statue de Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville, fondateur de la ville en 1717 et une enseigne typique sur Royal Street.
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 ??  ?? Le French Quarter, qui peut se découvrir en calèche ou à pied. La vieille ville a su garder tout son charme.
Le French Quarter, qui peut se découvrir en calèche ou à pied. La vieille ville a su garder tout son charme.
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 ??  ?? Deux artistes devant les devantures du Vieux Carré et une jeune femme du quartier Marigny. La couleur égaie aussi cette maison typique d’Algiers Point. A droite, l’étonnant décor d’un salon de tatouage de Bourbon Street.
Deux artistes devant les devantures du Vieux Carré et une jeune femme du quartier Marigny. La couleur égaie aussi cette maison typique d’Algiers Point. A droite, l’étonnant décor d’un salon de tatouage de Bourbon Street.
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 ??  ?? Au coeur du Vieux Carré, les musiciens du Balcony Music Club. En page de gauche, le Crescent Blues and BBQ Festival bat son plein, sous les accents du guitariste Leo Bud Welch. Ambiance de nuit plus tranquille sur les trottoirs de Bourbon Street.
Au coeur du Vieux Carré, les musiciens du Balcony Music Club. En page de gauche, le Crescent Blues and BBQ Festival bat son plein, sous les accents du guitariste Leo Bud Welch. Ambiance de nuit plus tranquille sur les trottoirs de Bourbon Street.
 ??  ?? Les musiciens du Vieux Carré animent le quartier français en jouant simplement dans la rue.
Les musiciens du Vieux Carré animent le quartier français en jouant simplement dans la rue.
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 ??  ?? Orchestre de jour sur Bourbon Street. A Henderson, c’est le musicien zydeco Geno Delafosse et son orchestre qui mettent l’ambiance au bar de l’embarcadèr­e de Whiskey River. A droite, à la Pointe aux Chênes, un crevettier sur le bayou. Autre bayou à Lake Fausse Pointe où la mousse espagnole recouvre les cyprès. Image de fin d’escale avec ce bateau à aubes qui quitte la ville, toujours en musique.
Orchestre de jour sur Bourbon Street. A Henderson, c’est le musicien zydeco Geno Delafosse et son orchestre qui mettent l’ambiance au bar de l’embarcadèr­e de Whiskey River. A droite, à la Pointe aux Chênes, un crevettier sur le bayou. Autre bayou à Lake Fausse Pointe où la mousse espagnole recouvre les cyprès. Image de fin d’escale avec ce bateau à aubes qui quitte la ville, toujours en musique.
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