SOIRÉES JAZZY à La Nouvelle-Orléans
Avec son irrésistible French touch, La Nouvelle-Orléans est un curieux mélange de cultures en terre américaine.
Tandis que le Mississippi s’écoule paisiblement entre les levées protectrices érigées au XVIIIe siècle, le ciel s’embrase. Les corolles multicolores s’épanouissent dans la nuit, ponctuées de claquements assourdissants et d’un joyeux brouhaha émerveillé. Rassemblée sur les rives du «Père des eaux», la foule s’extasie, les visages baignés de lueurs changeantes. En ce 6 janvier 2018, l’atmosphère est à la fête: un gigantesque feu d’artifice ouvre le bal des célébrations du tricentenaire de la fondation de La NouvelleOrléans.
Tout au long de l’année, the Crescent City (la ville croissant), ainsi surnommée parce qu’elle épouse le tracé d’un méandre du Mississippi, multipliera les expositions, les conférences, les projections de films, les concerts ou encore les lectures collectives. La tragédie du dévastateur ouragan Katrina en 2005 semble lointaine tant l’ambiance festive de cet anniversaire exalte une rénovation réussie, une architecture coloniale au charme irrésistible, une âme musicale terriblement jazzy et une gastronomie multiculturelle. A l’occasion de ce tricentenaire, la plus française des villes américaines révèle la force de son héritage et une volonté farouche de s’inscrire dans un avenir aussi moderne que respectueux des traditions.
VENDUE PAR NAPOLÉON
Bien avant que les explorateurs européens n’aient posé le pied en terre américaine, des peuplades autochtones vivaient le long du Mississippi. Si les aventuriers du Vieux Continent passèrent dans la région dès le XVIe siècle, il fallut attendre 1718 et l’arrivée de Jean-Baptiste Le Moyne et quelques colons pour que la cité fût enfin fondée. Baptisée «NouvelleOrléans» en hommage au duc d’Orléans, la ville devint la capitale de la Louisiane française en 1722 et s’affirma rapidement comme une véritable plateforme commerciale centrée sur les peaux, les fourrures, l’indigo et le tabac.
Malgré sa grandeur, elle fut toutefois concédée à l’Espagne au cours du XVIIIe siècle avant d’être récupérée par la France, puis vendue par Napoléon aux Etats-Unis en 1803 à un prix dérisoire. Le XXe siècle marqua un tournant dans l’histoire de celle que l’on surnomme aussi Nola: des digues furent édifiées pour protéger les quartiers des crues, des canaux creusés pour drainer les terres marécageuses et un réseau de tramway quadrilla bientôt la cité. Malgré cette modernisation, qui conduisit d’ailleurs au retrait de nombreuses rambardes de balcons et au remplacement des tramways par des autobus – un choix regrettable sur lequel les autorités reviendront plus tard pour redonner son charme à la ville – l’histoire n’a jamais déserté les lieux.
Avec son irrésistible French touch, La Nouvelle-Orléans est un curieux mélange de cultures en terre américaine. A l’occasion du tricentenaire de sa fondation par une poignée de colons français, la ville multiplie les festivités et affirme plus que jamais une personnalité aussi atypique qu’attachante.
UN CHARME FRANÇAIS IRRÉSISTIBLE
Chartres, Toulouse, Saint-Louis, SaintJean, Fontainebleau… Les francophones tendent l’oreille lorsque résonnent les noms des faubourgs, des cimetières ou des bayous. Par-delà les siècles, l’influence française perdure. La langue n’a d’ailleurs été interdite qu’en 1921 et aujourd’hui, elle reste le quatrième idiome le plus parlé à Big Easy, l’autre surnom de Nola. Depuis 1968 et la création du Conseil pour le développement du français en Louisiane (Codofil), il connaît même un certain renouveau officiel, lui qui n’avait jamais totalement disparu et restait parlé dans les foyers malgré le volontarisme politique d’acculturation.
L’exotisme relève sans doute ici de cette omniprésence française teintée d’influences espagnoles, amérindiennes, cajunes et afro-américaines. Dans le Vieux Carré (le célèbre French Quarter), les balcons en fer forgé habillent les façades colorées et les enseignes en français s’accrochent aux demeures d’inspiration hispanique, le quartier ayant été reconstruit par les Espagnols après les incendies de 1788 et 1794. Les cours privées se dévoilent aux regards curieux avec leurs jardins verdoyants, leurs patios paisibles et leurs fontaines pittoresques. De Royal Street, gorgée de boutiques d’antiquités, au French Market, aujourd’hui place forte des souvenirs en tous genres, le Vieux Carré reste le poumon et la vitrine de la cité. Ses ruelles étroites, au charme irrésistible et totalement unique aux Etats-Unis, sont imprégnées de l’histoire coloniale et du foisonnement culturel qui lui sont liés.
L’EXOTISME RELÈVE SANS DOUTE ICI DE CETTE OMNIPRÉSENCE FRANÇAISE TEINTÉE D’INFLUENCES ESPAGNOLES, AMÉRINDIENNES, CAJUNES ET AFRO-AMÉRICAINES.
SOIRÉES DE JAZZ ET NUITS DE BLUES
Peut-être plus encore que française, la culture dominante est musicale: La Nouvelle-Orléans est tout simplement le berceau du jazz. La ferveur mélomane se vit chaque soir dans Bourbon Street, ainsi baptisée en l’honneur du Roi Soleil, où les notes dansent dans une atmosphère festive à souhait. Cafés, clubs et restaurants accueillent les musiciens, soucieux de perpétuer la tradition, comme le très réputé Preservation Hall fondé en 1961 ou le Sotted Cat, lové au coeur du faubourg Marigny, célèbre pour sa Frenchmen Street et sa profusion de bars.
Plus loin, le quartier Tremé a vu naître plusieurs grands noms du jazz: là où une communauté noire et libre s’est installée à l’époque de l’esclavage, ont grandi Kermit Ruffins, Lucien Barbarin ou encore Alphonse Picou. Louis Armles strong, le plus célèbre enfant du pays, a vu le jour dans ces rues baignées de pauvreté avant d’égrener ses premières notes dans la cité, tout comme Sydney Bechett et Scott Joplins qui ont forgé dans
LA NOUVELLE-ORLÉANS EST TOUT SIMPLEMENT LE BERCEAU DU JAZZ. LA FERVEUR MÉLOMANE SE VIT CHAQUE SOIR DANS BOURBON STREET.
clubs leurs premières armes musicales. Si la nuit demeure le royaume privilégié du blues, à n’importe quelle heure du jour et un peu partout, y compris en pleine rue, se produisent des musiciens passionnés.
ENTRE MUSIQUE ET GASTRONOMIE
Le jazz, héritage fortement ancré et véritable fonds de commerce contemporain, ne saurait cependant occulter la prégnance d’autres styles musicaux, emblèmes du multiculturalisme historique de Nola. Les voix chaudes du gospel résonnent dans les nombreuses églises catholiques de la ville, tandis que le zydeco rappelle les racines cajunes de Big Easy. Une fois par an, en avril, le French Quarter Festival célèbre une vaste palette de genres, de l’incontournable jazz au style latino en passant par les fanfares de Brass band. Depuis une trentaine d’années, le plus grand festival musical gratuit du sud des EtatsUnis a ainsi attiré plus d’un demi-million de mélomanes.
Le tricentenaire de la fondation de la ville est, lui aussi, un excellent prétexte à la multiplication des concerts, tout
comme à la valorisation de la culture locale dans toute sa multiplicité. La gastronomie incarne cette diversité en proposant aussi bien la jambalaya (paëlla créole) que le po-boy (sandwich) aux écrevisses, ou les cocktails inventés par le Bordelais Antoine Peychaud et le Bread pudding (pain perdu au rhum et à la cannelle).
DE L’ESCLAVAGE AU JUMELAGE
Ce décalage total de La Nouvelle-Orléans dans le paysage américain explique sans doute son succès. Le Garden District, situé à quelques encablures du French Quarter, attire les stars planétaires – Brad Pitt, Sandra Bullock, Nicolas Cage… – tout comme il avait attiré, dès le début du XIXe siècle, les Américains qui y édifièrent de somptueuses demeures d’inspiration Greek Revival (néo-renaissance grecque) et victorienne. Le long du Mississippi, les planteurs de coton et de canne à sucre avaient, eux aussi, bâti de vastes maisons au coeur d’immenses propriétés où s’escrimaient les esclaves. Aujourd’hui, nombreuses sont les plantations à s’être converties en établissements hôteliers. Oak Alley étire ainsi sa graphique allée de chênes avant d’accueillir le visiteur avec des guides en costumes, tandis que la plantation Laura affirme son originalité: cette maison créole, propriété de la famille Duparc depuis quatre générations et originellement construite au milieu d’un village amérindien, est ouverte au public et n’hésite pas à présenter sans détours la réalité de l’esclavage.
En bordure du domaine coule le Mississippi où voguent encore des bateaux à aubes, très prisés des touristes. Les croisières offrent une douce excursion sur le fleuve, le long des rives que la municipalité a décidé de réaménager à l’occasion du tricentenaire. Ouverture d’un
nouveau terminal de ferry, nouveau pont piétonnier ou encore rénovation de l’Audubon Aquarium of the Americas Gallier Hall traduisent la volonté de modernisation et l’affirmation de l’attractivité de Nola. La ville la moins américaine des Etats-Unis confirme aussi sa francophilie et son attachement à l’histoire: l’année même de son 300e anniversaire, elle signe symboliquement un accord de jumelage avec la ville d’Orléans. Sympathique clin d’oeil à une French touch résolument appréciée des visiteurs du monde entier.