BEST BOUTIQUE AWARD 2018
Cette année, la très grande disparité constatée à Genève et Zurich démontre qu’un fossé se creuse entre les enseignes qui ont compris et adapté leur approche désormais centrée sur l’expérience client et celles qui demeurent trop fermées sur une vente en f
Texte: Cristina d’agostino. Coordination: Sylvie Bernaudon et Hans Uli von Erlach. Illustrations: Denis Kormann
AGenève comme à Zurich, les écarts entre les meilleurs et les plus bas du classement se creusent. Rue du Rhône, c’est à Vacheron Constantin que revient la palme de l’excellence cette année, avec une note frôlant la perfection de 4,93 sur 5. A la treizième place en 2017, la marque fait une remontée spectaculaire. Le directeur de la boutique genevoise Salvatore Latrofa, contacté juste avant la mise sous presse de cette édition, fier de cette première place, explique : « Ce résultat me ravit, car tout au long de l’année, j’ai encore davantage insisté auprès de nos collaborateurs pour qu’ils parlent avec leur coeur. Il faut être courtois et cordial. Parler avec passion. Quant à notre protocole de l’art de la vente, j’ai souhaité que l’histoire de la marque et les différentes techniques propres à Vacheron Constantin soient encore plus vivantes. A chaque fois que nous montrons un produit, nous glissons l’histoire de notre patrimoine et nos savoir-faire. Mais cela demande de la pratique. Un vendeur est comme un sportif. S’il s’entraîne, il a des résultats. Alors, à chaque moment creux, c’est ce que nous faisons. Nous mettons sur pied des jeux de rôle, entre nous. Il ne faut pas réciter, il faut faire vivre l’histoire et le produit. » A Zurich, c’est au tour de Van Cleef & Arpels de monter sur la première marche du podium avec l’excellente note de 4,89 sur 5. Les commentaires des clients mystère sont éloquents. L’un deux raconte : « Je me suis immédiatement senti comme si j’entrais dans une oasis. L’accueil a été chaleureux, parfaitement orchestré, sans aucune attente. J’ai beaucoup appris sur la marque au travers d’histoires toujours différentes en fonction de la montre proposée. Rien n’était récité, la fluidité du discours était remarquable. Le service était subtil, très attentionné, détaillé, de la manière dont on m’a débarrassé de mon manteau aux gants em-
”Tu vois chéri, muscles et raffinement vont ensemble parfois“
« Comment ça, au-dessus de mes moyens ? »
ployés pour la manipulation des pièces, jusqu’au service de l’espresso. L’utilisation de tablettes était employée uniquement pour que je ne perde pas de vue les différentes priorités évoquées par montre. L’humain était au centre. Magistral ! » Du côté des multimarques, les résultats témoignent d’une hausse générale du niveau du service. A Genève, c’est Kurz Bader qui arrive en tête avec un résultat de 4,20 sur 5 alors qu’il pointait à la cinquième place en 2017 avec 3,24. A Zurich, l’honneur revient à la boutique Beyer, qui totalise 4,55 et remonte elle aussi de cinq rangs. Le client mystère dévoile : « Alors que la boutique connaissait une très grande affluence, le vendeur a pris tout le temps qu’il fallait pour me servir. La compréhension de ma demande a été parfaitement respectée et il m’a proposé plusieurs choix de modèles et de marques très pertinents. Une très haute expertise du vendeur ! »
______Le piège de la digitalisation et de la globalisation
Trop de boutiques encore confondent subtile utilisation de data et digitalisation extrême du protocole de vente. Cette édition révèle une perte d’intérêt croissante du client lorsque le vendeur emploie la tablette à chaque étape de son argumentation ou insiste trop lourdement pour obtenir des données. Ce client mystère explique : « En s’appuyant systématiquement sur sa tablette, l’argumentation paraît peu sûre, la perte de contact avec le vendeur est constante. Plusieurs boutiques ont été trop insistantes dans la demande de données, soit pour un envoi de photos de montre par SMS ou par e-mail. Ce n’est pas approprié. » On le voit, garder l’émotionnel et l’humain au coeur de la relation, en jouant avec les anecdotes et le patrimoine historique de la marque dans une argumentation sur mesure en fonction du profil du client est aujourd’hui capital. Rester local, faire découvrir une particularité de la ville dans laquelle se trouve la boutique au fil de la discussion, ou offrir une attention locale (chocolats, pâtisserie, boissons) est un autre point à ne pas négliger. Le client a besoin d’identification avec l’enseigne, mais aussi avec la boutique. Si la marque est globale, l’expérience doit être locale. Séduire individuellement avec une expérience luxe est aujourd’hui la clé de la fidélisation. La pression de l’e-commerce étant toujours plus forte, le point de vente doit se muer en lieu d’expérience, que la vente se fasse ou non. Mais elle ne doit pas se limiter à un décorum, à une vue spectaculaire sur la ville, à une coupe de champagne, à une visite d’exposition thématique, elle doit surtout se focaliser sur le client. Le manque global d’expertise du ven-
« Plusieurs boutiques ont été trop insistantes dans la demande de données »
deur sur la technique a été relevé cette année, alors que le client est toujours plus exigeant et connaisseur. Trop de boutiques en 2018, à Genève ou à Zurich, ont dédaigné sortir des montres des vitrines, n’ont jamais invité le client à s’asseoir, à donner une explication sur un garde-temps onéreux, en jugeant le client sur son apparence ou sur son apparente méconnaissance de la marque. L’expérience luxe est loin d’être encore intégrée. Pour preuve, ce client mystère révèle : « Dans cette boutique de la rue du Rhône, j’ai dû beaucoup insister et argumenter pour que le vendeur me montre un modèle précis. Je me suis alors entendu dire : « Ce produit vaut 100 000 francs, vous pouvez mettre ce prix ? » Dans une autre boutique, c’est la mise en doute de la connaissance du client pour la marque qui freine la démarche du vendeur. Cet autre client raconte : « Le vendeur m’a d’emblée averti que la marque était réservée aux collectionneurs et que si je ne la connaissais pas, c’est que je n’avais probablement pas les moyens. »
Je me suis alors entendu dire « Ce produit vaut 100 000 francs, vous pouvez mettre ce prix ? »