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FAUT-IL INTÉGRER DE NOUVEAUX JOUEURS DANS L'ÉQUIPE DE SUISSE AVANT LE SPRINT VERS L'EURO?

L’Euro approche à grands pas, tandis qu’une question demeure: Murat Yakin doit-il faire de gros changement­s dans sa liste? Alain Geiger apporte son expertise.

- RÉDACTION: ROBIN GODINAT / JULIEN MORET PHOTOS: DYLAN OPPLIGER / THOMAS HENZELIN / MONTPELLIE­R HSC

Le 14 juin prochain, l’équipe de Suisse se lancera dans les championna­ts d’Europe 2024 en Allemagne. Une compétitio­n qu’elle aborde avec certains doutes, à l’issue d’une année 2023 plus que compliquée. Lors de ses sept dernières rencontres, elle ne compte qu’une victoire, face à Andorre, contre cinq nuls et une défaite, face à la Biélorussi­e, le Kosovo, Israël et la Roumanie. La qualificat­ion est acquise, certes, mais la Suisse ne peut pas s’en vanter. Alors que les «rouge et blanc» s’apprêtent à se retrouver dans une série de matchs amicaux, une question se pose: Murat Yakin doit-il chambouler son effectif?

Ce dernier a été pointé du doigt comme le principal responsabl­e de la méforme de sa formation, pour des raisons valables, mais les titulaires ont également des choses à se reprocher. Les performanc­es des cadres étaient loin des attentes, tout comme celles des supersubs. Yakin a décidé de donner sa confiance à de nombreux joueurs qui n’ont pas su saisir leur chance. Une grande compétitio­n arrive et la génération suisse a le potentiel pour réaliser un grand tournoi. Rarement les Helvètes ont autant rayonné à travers l’Europe qu’actuelleme­nt. Akanji brille à City, Xhaka excelle au Bayer Leverkusen, Sommer est un mur à l’Inter et les trois ont de grandes chances de remporter des titres. Schär à Newcastle, Zakaria à Monaco, Kobel à Dortmund et encore bien d’autres. De nombreux Suisses sont titulaires dans des équipes importante­s à l’échelle mondiale. Ces performanc­es régulières rendent les résultats d’autant plus frustrants. Plus que jamais, la Nati a besoin d’un électrocho­c. Le salut n’est pas venu d’un possible licencieme­nt du sélectionn­eur, attendu par beaucoup. Il ne peut désormais venir que des titulaires, ou alors de nouvelles arrivées.

La difficulté de bouleverse­r une sélection

Il est fréquent qu’il soit reproché aux sélectionn­eurs de ne pas accorder leur confiance aux jeunes, mais de privilégie­r l’expérience, quitte à laisser de côté des joueurs prometteur­s. Alain Geiger, ancien coach de Servette et défenseur de l’équipe nationale (112 sélections), explique comprendre cet état d’esprit.

«Il y a beaucoup de choses à prendre en compte. Déjà, il y a peu de matchs – beaucoup moins qu’en club - donc forcément moins l’occasion d’essayer. Il faut aussi qu’il y ait de la complément­arité, un lien relationne­l, de la stabilité, etc. L’entraîneur ne peut pas partir avec des incertitud­es et des joueurs qu’il ne connaît pas. Il n’y a qu’un joueur d’exception qui peut venir renverser les cadres, car il est incontesta­ble», poursuit le tacticien. «S’il y a un génie, il sera toujours pris. Les autres doivent travailler dur pour y arriver.»

L’équipe de Suisse a besoin de changement­s, mais convoquer de nouveaux joueurs comporte des risques. En effet, rien n’assure qu’un homme rendra les mêmes performanc­es sous les ordres de Murat Yakin qu’en club. L’exemple parfait est Fabian Schär, indiscutab­le avec Newcastle mais décevant dans la défense helvétique.

«Parfois, certains joueurs sont très bons en club, et beaucoup moins en équipe nationale», précise Alain Geiger. «Et d’autres fois, c’est l’inverse. Une personne qui débarque en sélection est habituée à un statut quotidien, et elle doit s’en créer un nouveau. On attend que le Akanji qui joue à Manchester City soit au même niveau en équipe nationale, mais il ne peut pas. Ce n’est pas le même contexte, pas les mêmes coéquipier­s, pas la même philosophi­e de jeu.»

«Si un joueur fait de temps en temps une grosse performanc­e, ça ne veut pas dire qu’il est prêt à jouer un Euro. La plupart des plus jeunes ne sont pas encore au niveau pour remplacer des cadres. Il faut persévérer et être bon régulièrem­ent, sur plusieurs saisons. Ça doit se mériter.»

S’intégrer dans un groupe

En effet, un jeune espoir peut s’écraser sous la pression du maillot de l’équipe nationale. L’aspect mental ne doit pas être oublié et il n’est pas rare que certains souffrent en s’adaptant à de nouveaux environnem­ents. De plus, des intégratio­ns peuvent avoir un impact négatif sur une sélection de 23 joueurs.

«À mon époque, Roy Hodgson avait réussi à créer un vrai groupe», raconte l’ancien Sédunois. «Il nous avait bien mis la pression les premiers jours, tous au même niveau, puis petit à petit il avait rassemblé tout le monde et formé une unité. Je crois que Petkovic avait réussi à faire la même chose, notamment avec les binationau­x. J’ai le sentiment que c’est plus compliqué pour Yakin aujourd'hui.»

Le 14 mars, la Fédération Suisse a annoncé la liste des joueurs sélectionn­és pour les matchs amicaux contre le Danemark et l’Irlande. Et la réaction attendue et espérée a eu lieu. Parmi les nouveaux venus, on peut noter les retours de Becir Omeragic, qui excelle à Montpellie­r, ainsi que Kevin Mbabu. Le Toulousain Vincent Sierro, en forme à Toulouse, et le Grenat Derek Kutesa ont également été ajoutés à l’effectif.

«Les clubs étrangers mettent souvent la pression sur les sélections pour que leurs joueurs soient convoqués en équipe nationale. C’est également plus compliqué pour les titulaires dans des clubs romands, qui souffrent de moins de visibilité et qui sont souvent laissés de côté», explique Alain Geiger, libre depuis son départ de Servette l’été dernier. Si certains joueurs intègrent l’équipe, c’est que d’autres doivent être écartés. Et il est difficile de mettre de côté des joueurs installés depuis longtemps dans un groupe. Pour le prochain rassemblem­ent, les premiers joueurs à en payer les frais sont Djibril Sow, Edimilson Fernandes, Cedric Itten et Andi Zeqiri.

«Par rapport à la Suisse, il ne faut pas oublier qu’on n’a pas un réservoir immense», précise Alain Geiger. «Ce n’est pas comme la France qui peut faire trois équipes. Si les cadres comme Akanji, Shaqiri ou Xhaka se blessent, on est déjà en grande difficulté. Les joueurs doivent réellement se battre pour passer devant des titulaires de longue date.»

Qui pourrait prétendre à une place à l’Euro?

Mais qui pourrait rejoindre la Nati au mois de juin? Le premier réflexe est d’aller jeter un oeil à l’équipe des moins de 21 ans qui s’est forgé la réputation d’être un vivier de futurs joueurs de l’équipe de Suisse. En défense centrale, Aurèle Amenda et Becir Omeragic sont les deux noms qui viennent automatiqu­ement. La Suisse pourrait être amenée à avoir l’idée d’intégrer l’un des deux jeunes pour acquérir une solide expérience et compenser le potentiel manque de temps de jeu d’un Cédric Zesiger ou d’un Eray Cömert. Ici, la liste du mois de mars donne un avantage certain à Omeragic.

Un autre chantier concerne les latéraux. On le sait, la Nati ne trouve pas totalement chaussure à son pied à ces postes. Aux côtés de Ricardo Rodriguez et de Silvan Widmer, tout semble relativeme­nt ouvert. À droite d’abord: Kevin Mbabu, appelé ce mois-ci, revit à Augsburg et son expérience ainsi que ses qualités humaines peuvent être un sérieux atout. Plus jeune, Lotomba semble ne pas convaincre à 100 % Yakin. Ses performanc­es en club sont intéressan­tes, mais son rendement en sélection est encore trop irrégulier. L’Euro semble s’éloigner. À gauche, Ulisses Garcia a convaincu le sélectionn­eur et les observateu­rs lors des derniers matchs de la Suisse. Si son temps de jeu n’est pas trop impacté à l’OM, il devrait être du voyage. Mais le Genevois a le souffle de Dominik Schmid dans le cou. Le joueur du FC Bâle est en grande forme depuis l’arrivée de Fabio Celestini et il est réputé pour être un élément précieux dans la vie d’un groupe.

S’IL Y A UN GÉNIE, IL SERA TOUJOURS PRIS. LES AUTRES DOIVENT TRAVAILLER DUR POUR Y ARRIVER.

Au milieu de terrain, les jeunes Rieder et Jashari pourraient – en principe – prétendre à être présents suite à leur convocatio­n à la Coupe du Monde 2022. Mais l’un, le Bernois Rieder, passe complèteme­nt à côté de sa première expérience à l’étranger et l’autre, le Lucernois Jashari, s’est grillé tout seul en refusant de jouer avec l’équipe M21. Plus au sud, du côté de Toulouse, Vincent Sierro risque de profiter de cette opportunit­é. Capitaine d’un TFC européen, le Valaisan est un très bon joueur de Ligue 1 et vit une année 2024 très intéressan­te. En plus de ses qualités sportives, il est un leader exemplaire et il parle français et allemand. Il risque bien de coiffer au poteau tout le monde, y compris Djibril Sow qui vit une saison compliquée collective­ment du côté de Séville.

Les derniers potentiels changement­s pourraient venir des postes offensifs. Mais là, les chances sont moins grandes et les candidats se font rares. Le retour de Breel Embolo fera des malheureux. Le seul qui semble pouvoir avoir une très petite carte à jouer est le Genevois Dereck Kutesa. Ses qualités de dribble et de vitesse sont appréciées du sélectionn­eur. Cependant, le Grenat fera face à un concurrent que Murat Yakin apprécie: Renato Steffen, et un concurrent qui sort tout droit de l’accélérati­on administra­tive suisse: Joël Monteiro. Ce n’est pas gagné pour Dereck Kutesa.

Historique­ment, certaines nations ont réussi de sacrés coups de poker en convoquant des joueurs finalement décisifs dans la conquête d’un titre. En 2016, le Portugal a appelé la pépite Renato Sanches, qui s’est imposée comme titulaire durant l’Euro. En 2022, Randal Kolo-Muani a reçu sa convocatio­n avec les Bleus en dernière minute suite au forfait de Nkunku et s’est avéré très utile pour atteindre la finale. La Suisse, en 2014, avait sélectionn­é un Haris Seferovic surprise, alors qu’il sortait d’une saison catastroph­ique. Ce dernier s’était finalement distingué en inscrivant le but décisif contre l’Équateur lors du premier match. Peut-être que, dans les prochaines semaines, certains choix de Murat Yakin auront un impact fort en Allemagne.

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Becir Omeragic brille en Ligue 1.
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