UNE ANNÉE DANS LES GLACES
C’est à ce jour la plus importante expédition en Arctique. Trois cents hommes et femmes de 20 pays ont passé le pôle Nord à la loupe. Parmi eux, trois équipes suisses. Elles sont de retour et ce qu’elles ont découvert est sensationnel.
Le brise-glace Polarstern a dérivé six mois dans les glaces éternelles du Nord. Dans une obscurité complète, prisonnier d’une gigantesque banquise. Pendant cent cinquante jours, les hommes et les femmes embarqués ne voient pas le soleil. Ils travaillent, mangent et dorment dans le noir. Puis, début mars, un premier rayon de soleil touche le brise-glace. Presque en même temps, trois scientifiques suisses rallient le navire. Ils ont derrière eux un voyage d’un mois dans l’obscurité à bord d’un bateau russe. «Ce fut une impression étrange d’arriver enfin, de revoir la lumière naturelle», se rappelle Reza Naderpour, 32 ans, de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage, à Birmensdorf (ZH). Le voyage a duré deux semaines de plus que prévu. Pendant tout le mois de février, il a navigué avec Amy Macfarlane, 26 ans, de l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches, à Davos, et Julia Schmale, 39 ans, de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, à Sion.
Sur le Polarstern, ils vivent l’aventure de leur vie comme membres de Mosaic, la plus grande expédition en Arctique de l’histoire. Un an du
rant, 300 hommes et femmes venus de 20 pays travaillent dans les glaces éternelles. Une mission importante puisque nulle part le changement climatique causé par l’homme ne s’avère aussi dramatique que dans le Grand Nord. Les températures grimpent, la glace fond. Mais on ne sait pas encore exactement quels effets ces changements opèrent sur notre environnement. Les données manquent. Les spécialistes de l’atmosphère, les océanographes et les biochimistes à bord du Po
larstern se sont donné pour but d’élucider cette zone d’ombre. C’est la toute première fois que des scientifiques peuvent s’activer une année entière dans la région.
Pour collecter les données, ils sondent la mer jusqu’à 4,3 kilomètres de profondeur et, à l’aide d’un ballon-sonde, mesurent la température, l’humidité de l’air et l’axe des vents à 36 kilomètres d’altitude. Les scientifiques de Birmensdorf calculent l’épaisseur et la dimension de la glace arctique à l’aide d’un instrument à micro-ondes. Les gens de Davos examinent dans le moindre détail les diverses couches de neige. Et ceux de Sion placent sous leur microscope les particules en suspension.
Avec son coût de 140 millions d’euros, Mosaic est à ce jour l’expédition au pôle Nord la plus dispendieuse et aura constitué une tâche logistique herculéenne: 70 tonnes d’équipement, dont 5000 mètres de câbles électriques. Et pour rassasier les affamés: 14000 oeufs, 1400 litres de lait et 150 pots de Nutella, notamment.
Tempêtes de neige, glace qui se fissure, froid intense: hommes et femmes travaillent dans de rudes conditions. Le 10 mars, la température tombe à -42°C. Avec le vent, le ressenti est de -65°C. Quelques mois plus tard, il en va tout autrement: «Un jour, nous étions dehors en t-shirt,