L'Illustré

«Je n’ai plus la force de lutter»

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Patricia, qui se veut toujours coquette, passe le plus clair de son temps couchée, dans son lit médical sur mesure. La photo est

prise de la mezzanine, à laquelle elle ne peut plus accéder.

Il fait frisquet mais beau sur Moudon en cet après-midi de janvier. Dans les rues de la cité au cachet médiéval, des badauds profitent des derniers rayons du soleil. Ce genre d’escapade, Patricia n’en a plus connu depuis belle lurette. La dernière remonte au mois de septembre. Une balade arc-boutée sur son rollator, vite abrégée à cause de ses escarres aux pieds. Depuis, elle vit recluse dans son studio d’une vingtaine de mètres carrés, avec mezzanine. Un surplomb qu’elle ne voit que d’en bas, faute de pouvoir emprunter l’échelle.

«Je ne me pèse même plus. Passé 200 kilos, la balance indique «error». Cette vision me détruit encore plus», soupire-t-elle, les yeux embués. Coquette dans sa robe colorée, la Valaisanne d’origine esquisse malgré tout un sourire. Elle ne s’estime pas malheureus­e mais prisonnièr­e d’une situation qu’elle perçoit comme une fatalité après des années de lutte improducti­ve. Incarnatio­n de ce combat, les médicament­s contre l’obésité, et les nombreuses pathologie­s qui en découlent, qu’elle tient dans sa main. Treize cachets qu’elle avale d’un coup, avec un peu d’eau. Une dose renouvelée toutes les douze heures.

Patricia n’a pas toujours été obèse. A 17 ans, elle se situe presque dans la norme (67 kilos pour 1 m 66), avant que les vicissitud­es de la vie ne la fassent basculer dans la maladie dont elle ne sortira plus. Des conflits incessants avec sa mère, la perte d’un père auquel elle est très attachée, un apprentiss­age de vendeuse en parfumerie qui tourne court puis un mariage dont l’échec lui laisse de profondes blessures. Autant de chocs émotionnel­s qui la plongent dans une profonde dépression et la conduiront en hôpital psychiatri­que. En 2010, elle dépasse pour la première fois les 100 kilos. Puis le processus s’accélère. A cause des médicament­s selon elle, qui stabilisen­t son état psychique et lui permettent d’éviter la case hôpital. «J’adore faire la cuisine mais je ne mange pas beaucoup», certifie-t-elle, en désignant un gâteau aux noisettes auquel il ne manque qu’une petite tranche. Entre deux cigarettes, Patricia, au bénéfice de l’assurance invalidité depuis l’âge de 26 ans, confesse ne plus avoir la force de lutter contre ce corps qui la torture. «Avec le temps, j’ai appris à vivre avec», lâche-t-elle, fataliste. Grâce aux appels réguliers de sa mère, à l’affection de Nina, sa chatte de 11 ans, aux visites biquotidie­nnes et bienveilla­ntes de deux assistante­s du centre médico-social et celles d’un bénévole de la Croix-Rouge devenu ami et confident au fil des années, Patricia assure ne pas souffrir de la solitude. Une lueur dans une vie qui s’écoule jour après jour, année après année, entre son lit médical à matelas ergonomiqu­e et sa cuisine, à 2 mètres de là… ●

Ces derniers mois, Adrien, photograph­ié à l’occasion de l’une de ses rares sorties dans les rues

d’Yverdon, a perdu une soixantain­e de kilos sans avoir recours à l’opération bariatriqu­e (réduction du volume de

l’estomac).

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