«Je mange pour éviter de penser»
Vous êtes sans doute nombreux(ses) à vous dire: «A 24 ans, il pourrait réagir, tout de même. Prendre son courage à deux mains pour tenter de sortir de cette situation.» Figurez-vous que c’est exactement à ce projet qu’Adrien s’est attelé il y a quelques mois. Se prendre en main. Quitter Yverdon et l’appartement de sa maman, où il passait ses jours et une grande partie de ses nuits derrière son ordinateur, pour voler de ses propres ailes et reprendre, qui sait, la formation informatique qu’il a abandonnée il y a quelques années, faute de soutien. «J’ai perdu une soixantaine de kilos et, du coup, regagné un peu de confiance en moi. Je me sentais prêt à réussir le grand saut.» Grâce à sa rente AI, sa situation financière le lui permet. Adrien s’installe donc dans un petit appartement de la banlieue de Fribourg. Suffisamment loin pour couper le cordon ombilical et pas trop pour appeler au secours en cas d’urgence. Mais, très vite, les angoisses le rattrapent. Dans son élan d’enthousiasme, il n’a pas pris garde aux obstacles qui se dressent devant sa première expérience de single. Son cadre de vie est certes bucolique, mais éloigné de la ville. Tout comme le magasin d’alimentation et les commodités les plus proches. Et puis, l’appartement est petit, la cabine de douche trop exiguë pour sa corpulence. Après quelques semaines, la solitude lui pèse et le regard des gens le stresse les rares fois où il s’aventure dehors. Un enchaînement de difficultés qui le plonge dans une grosse déprime, blues qu’il essaie de réprimer en mangeant.
Adrien retombe dans le cercle vicieux qu’il pensait enfin briser. «Quand je vais mal, je mange pour éviter de penser.» Un réflexe, un refuge plutôt, qu’il rejoint à chaque fois que souffle le vent contraire. «Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours été en surpoids.» Enfant, il souffre d’une ambiance familiale délétère.
A 12 ans, il est placé en institution, où il vit l’enfer. Souffre-douleur de la classe la journée, harcelé et même agressé sexuellement le soir. Bafoué, humilié, Adrien souffre en silence. Et mange pour oublier. La chirurgie bariatrique (réduction du volume de l’estomac), le jeune Vaudois y a songé, bien sûr. «J’ai même suivi des cours de préparation, qui ne m’ont pas convaincu. Le ratio gain/risque et séquelles que l’opération réserve parfois a fini de me décourager.»
Aujourd’hui, Adrien est de retour chez sa mère, le moral dans les talons. «J’ai une sensation de vide. Comme si j’étais mort à l’intérieur.» Une nouvelle rechute, brutale, six mois après avoir tant espéré renaître… ●