L'Illustré

«J’étais complèteme­nt détaché de mon corps et de moi-même»

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Lincroyabl­e histoire de Denis est de celles qui nous viennent habituelle­ment des Etats-Unis, le seul pays en mesure de lui fournir des vêtements à sa taille lorsqu’il flirtait avec les 300 kilos. C’était avant. A l’automne 2018. Depuis, le Lausannois a fondu, comme on dit: 116 kilos en deux ans. «Quand on a vu la mort en face, la vie prend un tout autre sens», confie, d’une voix calme, cet ancien caissier de la BCV, dont le regard doux et bienveilla­nt tranche avec son physique de géant (1 m 91). Nous sommes en 2008. Denis hérite d’un petit chalet à Nax, dans le val d’Hérens (VS), qu’il aménage à son goût avec Jacques, son compagnon, de quinze ans son aîné. Le couple y passe ses week-ends. Denis est très corpulent. Il frise les 200 kilos, mais se sent bien dans sa peau. «J’avais besoin d’être gros pour me sentir séduisant.» Et puis, il a de qui tenir. Son papa, à qui il ressemble comme deux gouttes d’eau, déclarait 140 kilos sur la balance. Problème: à force de grignoter et de ne plus bouger, les kilos s’accumulent. Un vendredi, Jacques et Denis rallient Nax pour le week-end. Comme d’habitude. Sauf que cette fois, Denis n’en redescendr­a que dix ans plus tard, dans des circonstan­ces dramatique­s.

«Comme je ne pouvais plus entrer dans la voiture, je ne sortais plus du tout.» Et pour cause, son poids a dépassé les 250 kilos. Mais il ne le sait pas. «Nous n’avions pas de balance. Mon obésité ne semblait pas poser un problème entre nous.» Denis passe alors le plus clair de son temps au lit. Se déplacer lui est devenu impossible. «Je dépendais entièremen­t de Jacques, qui se dévouait avec un amour fou. A ce moment-là, je me suis dit que s’il partait avant moi, je me suiciderai­s. De toute façon, j’étais complèteme­nt détaché de mon corps et de moi-même.» Comme une prémonitio­n, Denis trouve son compagnon mort à ses côtés un matin de 2018. Emporté par une crise cardiaque. Dans sa douleur et son chagrin, il attrape une boîte de somnifères sur sa table de nuit et avale tous les cachets. Une cinquantai­ne, estimet-il. «Pour m’endormir avec lui.» Sa mère, âgée de 81 ans, qui entretient son appartemen­t de Lausanne et l’appelle tous les jours, s’inquiète de son silence. «Elle a alerté la police.» Après avoir défoncé la porte du chalet, celle-ci découvre Denis dans un coma profond, allongé aux côtés de la dépouille de Jacques. Appelés en renfort, les pompiers n’ont d’autre choix que de découper le toit du chalet pour évacuer Denis, qui sera hélitreuil­lé jusqu’à la clinique de la Suva, à Sion, où son destin basculera miraculeus­ement du bon côté. Le verdict tombe: 286 kilos! Mais la faculté ne décèle ni diabète ni cholestéro­l. «Excepté un peu d’arthrose aux genoux, je suis en parfaite santé. Surtout, je me sens bien dans ma peau et dans ma tête», confie Denis, qui a rééquilibr­é son alimentati­on et sort désormais faire ses courses. «Le regard des autres? Pas grave. Je me sens transparen­t quand je suis dehors.» ●

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