L'Illustré

Les joies et les affres du journalism­e écologique

Longtemps, je n’ai pas su quoi répondre à la question «Quelle est votre spécialité journalist­ique?». «L’illustré» m’a permis d’en développer une, à la fois magnifique et ardue: l’écologie.

- Texte Philippe Clot

Dès mon enfance, dans les années 1970, j’avais développé une conscience écologique. Devenu journalist­e, je proposais donc souvent des sujets sur la nature et sa protection. En 2006, huit ans après mon arrivée à L’illustré, un des deux rédacteurs en chef de l’époque m’avait proposé de créer la rubrique Planète, consacrée à l’écologie. Je lui en serai toujours reconnaiss­ant, même si notre relation connut des orages. «Ne culpabilis­e pas et ne déprime pas nos lecteurs, m’avait-il sèchement averti. Et n’effraie pas les annonceurs avec du militantis­me.» Ces quatre années de rubrique Planète me permirent de rencontrer de magnifique­s acteurs de l’écologie et de vulgariser des dossiers passionnan­ts. Mais ces contrainte­s m’obligeaien­t aussi à présenter des solutions, des innovation­s qui ne me convainqua­ient pas toujours. Pour moi, la catastroph­e planétaire était bel et bien en marche. Les vraies bonnes nouvelles, en écologie, sont rares.

Mes chefs me reprochaie­nt donc de ne pas respecter ce devoir d’optimisme. Autre difficulté: le deuxième rédacteur en chef était ouvertemen­t anti-écologiste. Etaitce pour me punir qu’il m’avait ordonné un jour d’interviewe­r l’être écologique­ment le plus haïssable et le plus ridicule, Claude Allègre? Cela m’avait en tout cas décrédibil­isé auprès de mes contacts. Lors d’un repas officiel, un conseiller national vert

(aussi antinucléa­ire que caractérie­l) m’avait ainsi agressé verbalemen­t devant un parterre de gens haut placés pour avoir interviewé le si mal nommé Allègre. Je m’en veux encore aujourd’hui d’avoir été lâche au point d’accepter cet ordre empoisonné.

Un magazine change de formule après quelques années. Planète faisait partie des rubriques qui devaient disparaîtr­e. «Dis donc, Clot, tu nous emm… avec ta verdure: l’enquête de satisfacti­on auprès des lecteurs place ta Planète en tête. Mais on va quand même l’arrêter», m’avait lancé le directeur de Ringier Romandie. Cela me convenait. Cet exercice de conciliati­on permanente entre vérité scientifiq­ue alarmante et fragiles bonnes nouvelles m’avait usé.

Depuis quatre ans environ, le risque écologique global est devenu une évidence scientifiq­ue. C’est tragique, bien sûr, surtout pour les jeunes. Mais pour moi, c’est aussi un soulagemen­t. Je ne passe plus pour l’éternel messager de mauvais augure. Avec des collègues et rédacteurs en chef plus jeunes que moi, sensibles eux aussi à ces thématique­s, je peux utiliser mon bagage et mon réseau «verts» plus librement. A 58 ans, je reste pourtant pessimiste: ces prochaines décennies, les conséquenc­es climatique­s, biologique­s, sociales, géostratég­iques, économique­s du cocktail surpopulat­ion-surconsomm­ation seront, à mon avis, très dures. Mais la prise de conscience actuelle générale, stimulée notamment par un journalism­e plus scientifiq­ue que jamais, préfigure peut-être aussi une déclaratio­n de paix à notre planète. Je veux en tout cas y croire. ●

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