Trinh Xuan Thuan, l’astrophysicien star.
C’est un astrophysicien renommé mais aussi un bouddhiste qui médite et un écrivain au succès populaire. Il participe à un programme inédit en Suisse de l’Université de Genève pour construire des ponts entre science et spiritualité. Lui a fait ça toute sa vie!
La quête des origines, le mystère de l’existence, autant de questions qui préoccupent astronomes, philosophes ou théologiens. Tous les livres de Trinh Xuan Thuan ont permis un dialogue entre la science et la spiritualité, à l’image d’un de ses ouvrages les plus célèbres, L’infini dans la paume de la main, coécrit avec Matthieu Ricard. Lui-même a bénéficié de la rencontre de trois cultures, vietnamienne, française et américaine, et a enseigné pendant plus de trente ans à l’Université de Virginie les principes de l’astrophysique à des non-scientifiques. Il a pris tout récemment sa retraite de professeur, mais la recherche et l’écriture continueront longtemps à occuper sa vie. Qui mieux que cet homme des lumières, et surtout de la lumière du cosmos qu’il aime tant, peut être la clé de voûte d’un programme inédit qui verra des astronomes et des théologiens partager leurs pensées au sein de la faculté de théologie de l’Université de Genève? Il s’agira d’un ensemble de conférences destinées au grand public dès le 20 avril mais aussi de cours et de séminaires pour les étudiants. L’occasion d’évoquer avec le grand astrophysicien, qui sera présent à Genève, ces grandes questions qui nous taraudent, notamment l’existence d’une possible vie extraterrestre.
Pourquoi établir un pont entre science et spiritualité est-il si important?
Je suis astrophysicien mais aussi bouddhiste. La science n’est pas la seule fenêtre pour regarder le réel et je trouve que c’est arrogant, parfois, d’affirmer – comme certains collègues – que la méthode scientifique, rigoureuse et mathématique, toujours soutenue par l’observation et l’expérience, est la seule capable d’appréhender le réel. Le spirituel peut nous renseigner aussi sur sa nature, même si son approche est bien sûr différente. Quand deux systèmes de pensée sont cohérents et prétendent décrire le même réel, ils doivent pouvoir se rejoindre quelque part. Einstein disait: «La science sans la religion est boiteuse; la religion sans la science est aveugle.»
Et vous allez parler de bouddhisme à la Faculté de théologie créée par Calvin?
(Sourire.) Oui, mais je me réjouis que mes collègues puissent également commenter la façon d’appréhender le monde propre au protestantisme ou à d’autres religions. L’interdisciplinarité est toujours féconde. En établissant des liens entre spiritualité et science, on établit aussi des connexions nouvelles.
Beaucoup de religions postulent un Dieu à l’origine du monde, comment le scientifique peut-il s’en accommoder?
Vous savez, pour moi, le concept de Dieu n’a rien à voir avec celui d’un vieux barbu qui s’occupe de nous du haut du ciel; de même, le Bouddha n’est pas Dieu mais une personne comme vous et moi. Je partage le point de vue d’Einstein, mon héros scientifique, et avant celui de Spinoza. Je crois en un principe panthéiste, avec des lois qui règlent l’harmonie, la beauté de la nature et qui façonnent le réel conjointement
avec les principes du chaos et de l’incertitude quantique du vide. Je ne crois ni au pur hasard ni à un déterminisme absolu avec un univers laplacien qui postule que, si vous connaissez à un instant donné toutes les positions et les vitesses des particules, vous pouvez prédire à l’avance tout événement dans le futur.
Il faut parier sur l’existence d’un principe créateur, comme Pascal, qui faisait le pari de Dieu?
Pascal était à la fois un grand scientifique et un grand philosophe qui a beaucoup réfléchi sur la spiritualité. Il était bien conscient que la science ne peut pas tout démontrer, notamment l’existence de Dieu. Etant le père des probabilités, il a mis en avant son fameux pari: si Dieu existe et que vous pariez contre son existence, la perte est infinie. Mais si Dieu n’existe pas et que vous pariez qu’il existe, la perte n’est que finie…
Mais la science pourra-t-elle un jour prouver que Dieu existe?
Elle met en évidence l’existence de lois, de connexions de cause à effet qui gouvernent l’Univers. Mais on ne verra jamais Dieu au bout d’une lorgnette, ni ne prouvera son existence par une formule mathématique. On pourra s’approcher de plus en plus du mystère ultime, mais ce sera comme tendre vers une asymptote, le but final nous échappera toujours. C’est ce que j’ai expliqué dans mon premier livre, La mélodie secrète. Cette mélodie existe, elle reflète une certaine idée de l’harmonie, mais elle restera toujours secrète car on n’arrivera jamais à soulever tous les pans du mystère. Et puis, ce serait très ennuyeux si on avait une réponse à tout!
Quand vous décrivez votre première observation du ciel avec le télescope Palomar, en Californie, vous évoquez une «connexion cosmique avec les étoiles» comme dans une expérience mystique… Oui et, après plus de quarante ans à regarder le ciel depuis de nombreux observatoires de par le monde, j’éprouve toujours le même sentiment de connexion cosmique. L’astrophysique a démontré que nous sommes des poussières d’étoiles. Tous les éléments lourds sont issus des étoiles, le Big Bang n’a fabriqué que l’hélium et l’hydrogène. Pour que l’ADN de la vie surgisse, et que la conscience soit possible, il fallait que l’Univers fabrique des étoiles et que celles-ci puissent produire, grâce à la fusion nucléaire en leurs coeurs, des éléments lourds beaucoup plus complexes! Nous partageons tous la même généalogie cosmique et les étoiles sont nos ancêtres!
Comment expliquer la grandeur de l’Univers au néophyte que je suis?
Contrairement à Pascal, l’infini ne m’angoisse pas et sa grandeur me réjouit. On ne sait pas si l’Univers est infini en taille, mais on sait qu’il est né il y a 13,8 milliards d’années, date du Big Bang, et que le rayon de l’univers observable est de 47 milliards d’années-lumière. Et cela parce que l’Univers n’est pas statique mais en expansion, si bien qu’une galaxie qui aurait émis sa lumière il y a 13,8 milliards d’années serait aujourd’hui à une distance de 47 milliards d’années-lumière.
Et on ne connaît que 5% de cet Univers, c’est bien cela?
Oui. Il y a quelque 200 milliards de galaxies observables dans ce rayon de 47 millions d’années-lumière. Elles contiennent chacune 100 milliards d’étoiles comme le Soleil. Mais la matière lumineuse ne constitue que 0,5% du contenu de l’Univers. Ajoutons à cela la masse de nature ordinaire, constituée de protons et de neutrons, qui ne brille pas, et vous avez vos 5%. Les 95% qui restent nous sont complètement inconnus. On pense qu’il y a 25% de matière noire exotique, c’est-à-dire non composée de neutrons, d’électrons ou de protons comme le sont nos corps ou n’importe quel objet, mais sa nature reste totalement inconnue. Malheureusement, le LHC, le grand accélérateur de particules du CERN n’a pas pu mettre en évidence de telles particules massives nées lors du Big Bang. Une grande déception!
Et les 70% qui restent?
Ils sont constitués par ce qu’on appelle l’énergie sombre, cette force antigravitationnelle qui repousse au lieu d’attirer et provoque une accélération de l’expansion de l’Univers. Là encore, on ne sait rien à son propos, si ce n’est qu’à cause de cette expansion accélérée, l’Univers va devenir de moins en moins dense, de plus en plus froid et mourir dans une froideur glaciale. La mise en activité à la fin de l’année du télescope spatial James-Webb (plus puissant que Hubble) nous permettra de mesurer plus précisément cette accélération et de cerner la nature de l’énergie sombre. Et bien sûr d’intensifier la recherche et l’étude d’exoplanètes qui pourraient héberger une vie consciente similaire à la nôtre.
«Plus j’avance dans la science, plus je me rends compte qu’on ne peut pas tout expliquer»
Pensez-vous que nous ne sommes pas seuls dans l’Univers?
Affirmer le contraire serait anti-copernicien. La probabilité qu’il y ait d’autres formes de vie et d’intelligence ailleurs que sur Terre n’est pas nulle. Mais c’est