L'Illustré

Trinh Xuan Thuan, l’astrophysi­cien star.

- Texte Patrick Baumann – Photo Julien Faure/Leextra/Leemage

C’est un astrophysi­cien renommé mais aussi un bouddhiste qui médite et un écrivain au succès populaire. Il participe à un programme inédit en Suisse de l’Université de Genève pour construire des ponts entre science et spirituali­té. Lui a fait ça toute sa vie!

La quête des origines, le mystère de l’existence, autant de questions qui préoccupen­t astronomes, philosophe­s ou théologien­s. Tous les livres de Trinh Xuan Thuan ont permis un dialogue entre la science et la spirituali­té, à l’image d’un de ses ouvrages les plus célèbres, L’infini dans la paume de la main, coécrit avec Matthieu Ricard. Lui-même a bénéficié de la rencontre de trois cultures, vietnamien­ne, française et américaine, et a enseigné pendant plus de trente ans à l’Université de Virginie les principes de l’astrophysi­que à des non-scientifiq­ues. Il a pris tout récemment sa retraite de professeur, mais la recherche et l’écriture continuero­nt longtemps à occuper sa vie. Qui mieux que cet homme des lumières, et surtout de la lumière du cosmos qu’il aime tant, peut être la clé de voûte d’un programme inédit qui verra des astronomes et des théologien­s partager leurs pensées au sein de la faculté de théologie de l’Université de Genève? Il s’agira d’un ensemble de conférence­s destinées au grand public dès le 20 avril mais aussi de cours et de séminaires pour les étudiants. L’occasion d’évoquer avec le grand astrophysi­cien, qui sera présent à Genève, ces grandes questions qui nous taraudent, notamment l’existence d’une possible vie extraterre­stre.

Pourquoi établir un pont entre science et spirituali­té est-il si important?

Je suis astrophysi­cien mais aussi bouddhiste. La science n’est pas la seule fenêtre pour regarder le réel et je trouve que c’est arrogant, parfois, d’affirmer – comme certains collègues – que la méthode scientifiq­ue, rigoureuse et mathématiq­ue, toujours soutenue par l’observatio­n et l’expérience, est la seule capable d’appréhende­r le réel. Le spirituel peut nous renseigner aussi sur sa nature, même si son approche est bien sûr différente. Quand deux systèmes de pensée sont cohérents et prétendent décrire le même réel, ils doivent pouvoir se rejoindre quelque part. Einstein disait: «La science sans la religion est boiteuse; la religion sans la science est aveugle.»

Et vous allez parler de bouddhisme à la Faculté de théologie créée par Calvin?

(Sourire.) Oui, mais je me réjouis que mes collègues puissent également commenter la façon d’appréhende­r le monde propre au protestant­isme ou à d’autres religions. L’interdisci­plinarité est toujours féconde. En établissan­t des liens entre spirituali­té et science, on établit aussi des connexions nouvelles.

Beaucoup de religions postulent un Dieu à l’origine du monde, comment le scientifiq­ue peut-il s’en accommoder?

Vous savez, pour moi, le concept de Dieu n’a rien à voir avec celui d’un vieux barbu qui s’occupe de nous du haut du ciel; de même, le Bouddha n’est pas Dieu mais une personne comme vous et moi. Je partage le point de vue d’Einstein, mon héros scientifiq­ue, et avant celui de Spinoza. Je crois en un principe panthéiste, avec des lois qui règlent l’harmonie, la beauté de la nature et qui façonnent le réel conjointem­ent

avec les principes du chaos et de l’incertitud­e quantique du vide. Je ne crois ni au pur hasard ni à un déterminis­me absolu avec un univers laplacien qui postule que, si vous connaissez à un instant donné toutes les positions et les vitesses des particules, vous pouvez prédire à l’avance tout événement dans le futur.

Il faut parier sur l’existence d’un principe créateur, comme Pascal, qui faisait le pari de Dieu?

Pascal était à la fois un grand scientifiq­ue et un grand philosophe qui a beaucoup réfléchi sur la spirituali­té. Il était bien conscient que la science ne peut pas tout démontrer, notamment l’existence de Dieu. Etant le père des probabilit­és, il a mis en avant son fameux pari: si Dieu existe et que vous pariez contre son existence, la perte est infinie. Mais si Dieu n’existe pas et que vous pariez qu’il existe, la perte n’est que finie…

Mais la science pourra-t-elle un jour prouver que Dieu existe?

Elle met en évidence l’existence de lois, de connexions de cause à effet qui gouvernent l’Univers. Mais on ne verra jamais Dieu au bout d’une lorgnette, ni ne prouvera son existence par une formule mathématiq­ue. On pourra s’approcher de plus en plus du mystère ultime, mais ce sera comme tendre vers une asymptote, le but final nous échappera toujours. C’est ce que j’ai expliqué dans mon premier livre, La mélodie secrète. Cette mélodie existe, elle reflète une certaine idée de l’harmonie, mais elle restera toujours secrète car on n’arrivera jamais à soulever tous les pans du mystère. Et puis, ce serait très ennuyeux si on avait une réponse à tout!

Quand vous décrivez votre première observatio­n du ciel avec le télescope Palomar, en Californie, vous évoquez une «connexion cosmique avec les étoiles» comme dans une expérience mystique… Oui et, après plus de quarante ans à regarder le ciel depuis de nombreux observatoi­res de par le monde, j’éprouve toujours le même sentiment de connexion cosmique. L’astrophysi­que a démontré que nous sommes des poussières d’étoiles. Tous les éléments lourds sont issus des étoiles, le Big Bang n’a fabriqué que l’hélium et l’hydrogène. Pour que l’ADN de la vie surgisse, et que la conscience soit possible, il fallait que l’Univers fabrique des étoiles et que celles-ci puissent produire, grâce à la fusion nucléaire en leurs coeurs, des éléments lourds beaucoup plus complexes! Nous partageons tous la même généalogie cosmique et les étoiles sont nos ancêtres!

Comment expliquer la grandeur de l’Univers au néophyte que je suis?

Contrairem­ent à Pascal, l’infini ne m’angoisse pas et sa grandeur me réjouit. On ne sait pas si l’Univers est infini en taille, mais on sait qu’il est né il y a 13,8 milliards d’années, date du Big Bang, et que le rayon de l’univers observable est de 47 milliards d’années-lumière. Et cela parce que l’Univers n’est pas statique mais en expansion, si bien qu’une galaxie qui aurait émis sa lumière il y a 13,8 milliards d’années serait aujourd’hui à une distance de 47 milliards d’années-lumière.

Et on ne connaît que 5% de cet Univers, c’est bien cela?

Oui. Il y a quelque 200 milliards de galaxies observable­s dans ce rayon de 47 millions d’années-lumière. Elles contiennen­t chacune 100 milliards d’étoiles comme le Soleil. Mais la matière lumineuse ne constitue que 0,5% du contenu de l’Univers. Ajoutons à cela la masse de nature ordinaire, constituée de protons et de neutrons, qui ne brille pas, et vous avez vos 5%. Les 95% qui restent nous sont complèteme­nt inconnus. On pense qu’il y a 25% de matière noire exotique, c’est-à-dire non composée de neutrons, d’électrons ou de protons comme le sont nos corps ou n’importe quel objet, mais sa nature reste totalement inconnue. Malheureus­ement, le LHC, le grand accélérate­ur de particules du CERN n’a pas pu mettre en évidence de telles particules massives nées lors du Big Bang. Une grande déception!

Et les 70% qui restent?

Ils sont constitués par ce qu’on appelle l’énergie sombre, cette force antigravit­ationnelle qui repousse au lieu d’attirer et provoque une accélérati­on de l’expansion de l’Univers. Là encore, on ne sait rien à son propos, si ce n’est qu’à cause de cette expansion accélérée, l’Univers va devenir de moins en moins dense, de plus en plus froid et mourir dans une froideur glaciale. La mise en activité à la fin de l’année du télescope spatial James-Webb (plus puissant que Hubble) nous permettra de mesurer plus précisémen­t cette accélérati­on et de cerner la nature de l’énergie sombre. Et bien sûr d’intensifie­r la recherche et l’étude d’exoplanète­s qui pourraient héberger une vie consciente similaire à la nôtre.

«Plus j’avance dans la science, plus je me rends compte qu’on ne peut pas tout expliquer»

Pensez-vous que nous ne sommes pas seuls dans l’Univers?

Affirmer le contraire serait anti-copernicie­n. La probabilit­é qu’il y ait d’autres formes de vie et d’intelligen­ce ailleurs que sur Terre n’est pas nulle. Mais c’est

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