L'Illustré

Les zadistes qui ont résisté du haut de leur arbre témoignent.

Perchés dans un arbre, ils ont tenu plus d’une centaine d’heures, refusant d’évacuer la ZAD du Mormont jusqu’à la chute de l’un d’eux. Entre idéalisme et opinions tranchées, les deux derniers activistes reviennent sur leurs motivation­s, les risques qu’ils

- Texte Albertine Bourget – Photo Svetlana Holzner

Avant de grimper dans l’arbre où ils tiendront cinq nuits, «Grelinette» et «Ecureuil» ne se connaissai­ent pas, même s’ils s’étaient croisés sur la première ZAD (zone à défendre) de Suisse, à Eclépens (VD). C’est leur surnom d’activiste que nous utiliseron­s puisqu’ils préfèrent ne pas donner leur nom. Lui est Romand, elle se situe «à la frontière linguistiq­ue». Ils ont hésité avant d’accepter de revenir, ensemble, sur l’occupation de la colline et la chute de Grelinette, qui a mis un point final à l’évacuation du Mormont, le 3 avril dernier.

Avant de rejoindre les lieux, à une date qu’ils préfèrent aussi garder pour eux, ils n’avaient jamais entendu parler de la colline. «C’est un endroit incroyable. Tout autour, vous avez de la monocultur­e et là, tout d’un coup, des bocages et des haies, salue Grelinette. Et puis, il y a l’énorme trou de la mine.» La carrière, donc, exploitée par le cimentier LafargeHol­cim, dont les activistes voulaient bloquer le projet d’extension. Mais ce qui les a le plus marqués, c’est la vie qui s’est organisée sur le site depuis octobre. «Je suis arrivé avec un intérêt très technique sur la consommati­on des ressources de la planète, raconte-t-il. Et je me suis retrouvé à vivre une expérience communauta­ire incroyable.»

Tous deux votent, «bien sûr», mais sans conviction. Le Mormont est pour eux «la preuve que le système ne marche pas. Il y a eu des recours qui n’ont rien donné, des gens qui se battent depuis des années, une procédure en cours. C’est là que vous vous dites qu’il faut occuper le terrain. Regardez l’initiative pour les multinatio­nales responsabl­es, elle a la majorité du peuple mais elle ne passe pas.» Pour Ecureuil, «c’est parce que nous vivons dans ce système abstrait que des destructio­ns d’une telle ampleur sont possibles».

Leur discours fleure l’anarchisme, le cas de la colline vaudoise semble s’éloigner. «Bien sûr, on était là pour le Mormont, insiste Grelinette, mais il n’est qu’un exemple d’une crise globale liée à un mode de vie destructeu­r, à des rapports de domination et de possession.» Leur occupation était tout simplement illégale, leur rappelons-nous. Ils s’insurgent. «A qui appartient la nature? Pourquoi Holcim aurait le droit d’utiliser ce lieu et pas nous?»

Le 29 mars, la rumeur de l’évacuation se précise. Malgré l’afflux de nouveaux visages attirés par la confrontat­ion finale, le train-train continue, atelier de poterie, match de foot… «Certains étaient choqués: «Demain, on va se faire taper dessus par les flics et vous, vous êtes comme au Paléo!» rit Grelinette. «On sentait ce besoin de défendre ce qu’on a construit. Je pense à cette phrase que l’on m’a dite (attribuée à Martin Luther, ndlr): «Si l’on m’apprenait que la fin du monde est pour demain, je planterais quand même un pommier», glisse Ecureuil.

Le lendemain, le duo grimpe dans un arbre, sa manière non violente de résister. «On était partis pour rester longtemps.» Là-haut, il y a un hamac, des cordes pour marcher et s’approprier l’espace. Grelinette, qui a «un peu peur» du vide, est constammen­t sécurisé en deux endroits. Ils ont de quoi tenir, sacs de couchage, couverture­s, fruits secs, beurre de cacahuète, chocolat, leur téléphone… Cela ne dure pas: la police réussit à subtiliser leurs affaires. Et mène une grosse opération de communicat­ion, notamment sur Twitter. «Ah, ils nous ont donné quatre pommes et deux barres de chocolat, mais après nous avoir pris toutes nos provisions, et ça, ils ne l’ont pas diffusé!» s’insurgent les deux militants. «Ils étaient très pros pour nous manipuler, nous mentir: «Si vous descendez avant 18 heures, vous serez libres», «Est-ce que tu crois vraiment que tu pourrais te prendre de la prison pour être montée dans un arbre?» «Euh, oui, je crois!»

Ils évoquent le projecteur braqué sur eux qui les empêchait de dormir, les interventi­ons constantes pour les convaincre de descendre. «Ils ne faisaient que répéter, répéter, répéter qu’on se mettait en danger, ils ont fait venir des sympathisa­nts qu’ils ont réussi à inquiéter, les pompiers, un médecin secouriste en haute montagne pour nous parler du froid, des risques de thrombose… Comme si on ne connaissai­t pas les risques!»

Les autorités et LafargeHol­cim devaient craindre une chute. «Alors rendez-moi ma veste et mon sac de couchage au lieu de nous braquer un projecteur dessus toute la nuit!» rétorque Grelinette. «Chacune de leurs interventi­ons me donnait encore plus envie de m’accrocher, rit Ecureuil. Quand ils repartaien­t, on se disait: «Ah non, on ne peut pas terminer sur ça!» Le duo, c’est décidé, redescendr­a ensemble. Pour passer le

«On était partis pour rester longtemps»

«Grelinette et Ecureuil»Activistes

temps, ils écrivent une chanson, s’amusent à faire une AG ou du yoga comme en bas. Quand Ecureuil s’ennuie, Grelinette lui raconte des histoires. Il lui parle de l’activiste Julia Butterfly Hill, qui a vécu deux ans dans un séquoia de Californie pour le sauver de la tronçonneu­se à la fin des années 1990.

La chute, d’une hauteur d’au moins 5 mètres, finit par arriver. «J’ai fait une erreur en voulant aller un peu plus bas dans l’arbre, raconte Grelinette. C’était un geste que je faisais deux, trois fois par jour sans problème. J’ai fait une fausse manipulati­on parce que je manquais de sommeil, à cause du froid, de la lumière, de la pression. Ils m’ont eu à l’usure.» Il admet avoir eu beaucoup de chance en ne se blessant que légèrement au visage. Sonné, il décide de ne pas remonter, Ecureuil descend dans la foulée. Ils sont emmenés à l’hôpital avant d’être inculpés de violation de domicile, d’empêchemen­t d’accomplir un acte officiel et d’insoumissi­on à l’autorité. Elle risque 3 mois de prison ferme, lui 60 jours-amendes avec sursis parce que, pense-t-il, il a donné son identité «quand la police m’a dit qu’elle pouvait me garder indéfinime­nt. Je voulais rassurer mes proches. D’ailleurs, mes parents ont été super, bien au-delà de mes attentes, ils m’ont écouté et respecté.» «Les génération­s qui nous précèdent ont fait de grosses erreurs et c’est nous qu’on veut priver de liberté? Je n’arrive pas à comprendre», s’insurge Ecureuil.

Grelinette gardera en mémoire «l’infinité de moments de soutien de personnes qui devaient filouter à travers le barrage policier et venaient nous jouer du tam-tam ou du saxo. Et, avant, toute l’aide qu’on a eue, comme cette personne qui a mis à dispositio­n sa maison pour qu’on puisse se doucher ou passer une nuit au chaud.» «Quand je pense à Jacques Dubochet, à ces personnes plus âgées qui nous ont soutenus, j’ai beaucoup d’admiration et de reconnaiss­ance», renchérit Ecureuil. Aujourd’hui, le duo persiste. «Le «danger» qu’on a vécu, ce n’est rien comparé à ce qu’on risque tous, aux millions de vies humaines menacées par le réchauffem­ent climatique.» L’expérience a, dit-il, éclairé Grelinette sur ses «privilèges d’homme blanc cisgenre hétéronorm­é. Je suis content qu’il y ait eu cet effort collectif pour la préservati­on du vivant et la justice sociale. J’ai vraiment vu la convergenc­e de luttes, notamment le collectif écoféminis­te, qui a une énergie dingue. Je suis plus ouvert d’esprit. On peut évacuer des gens, mais pas un mouvement.» Ecureuil, elle, veut s’investir là où elle pourra «vraiment changer les choses.» Ils resteront en contact, c’est sûr. Et l’assurent: leur engagement n’en est qu’à ses débuts. ●

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Pour «L’illustré», «Ecureuil» (à gauche) et «Grelinette» sont remontés dans le frêne où ils ont passé une centaine d’heures. Colline du Mormont, le 10 avril.
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un médecin et une médiatrice entament les négociatio­ns avec
les deux activistes perchés tout à gauche, qui leur ont interdit de scier le rideau de branches pour s’approcher. La chute
surviendra moins de deux heures plus tard.
Sur l’image, prise le 3 avril, un pompier, un médecin et une médiatrice entament les négociatio­ns avec les deux activistes perchés tout à gauche, qui leur ont interdit de scier le rideau de branches pour s’approcher. La chute surviendra moins de deux heures plus tard.
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 ??  ?? Au pied d’une orchidée soutenue par des bâtons. Avec plus de 900 espèces comptabili­sées, le Mormont est un des hauts lieux botaniques du canton, selon les biologiste­s.
Au pied d’une orchidée soutenue par des bâtons. Avec plus de 900 espèces comptabili­sées, le Mormont est un des hauts lieux botaniques du canton, selon les biologiste­s.

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