Le pensionnat de Saint-Maurice, c’est fini. Des personnalités se souviennent.
Faute d’élèves, la vénérable institution bas-valaisanne où passèrent des milliers d’étudiants romands fermera ses portes en juin prochain. Quelques-uns de ses illustres pensionnaires se souviennent avec nostalgie de leurs années sous le rocher.
Le compte à rebours a été implacable. Après un pic de fréquentation frisant les 300 élèves dans les années 1970 et 1980, la célèbre structure gérée par les chanoines de la royale abbaye a connu une longue période de décroissance. Avec une forte accélération depuis 2015. Plusieurs fois reportée, sa fermeture est désormais inéluctable. En cette saison de pandémie, ils ne sont plus que sept, les bacheliers qui arpentent les quatre étages de l’imposante bâtisse du XVIIIe siècle. A moins de 15 000 francs par année par élève, l’affaire n’est plus tenable, le déficit dépassant la centaine de milliers de francs par exercice. Ainsi, le vendredi 18 juin 2021, le chanoine Antoine Salina, aux commandes de l’établissement depuis 1990, en poussera définitivement le verrou, mettant fin à une histoire dont le premier chapitre a été écrit en 1806. Depuis cette date, l’internat, pratiquement le seul de Suisse romande, a vu passer en ses murs épais plusieurs dizaines de milliers de pensionnaires romands. Il en comptait 238 en 1907 sur 277 étudiants et encore 180 il y a trente ans. Dès l’an prochain, les locaux devraient être réaménagés en salles de classe pour le collège, qui accueille 1160 élèves alors qu’il est conçu pour en recevoir 800. Si l’établissement passera aux mains de l’Etat du Valais, qui financera sa rénovation, l’internat, lui, classé aux monuments historiques, sera loué à la communauté.
Le neveu de feu Mgr Henri Salina peine à cacher son émotion: «Une grande page d’histoire de la congrégation se tourne. Le monde change et, avec lui, les générations. C’est une réalité à laquelle nous devons nous adapter, même si elle n’est pas facile à vivre», confie l’ecclésiastique, pour qui il est loin, le temps où les familles catholiques confiaient sept ans durant jusqu’à six de leurs enfants à l’institution. «Bien que le lieu soit ouvert à toutes les confessions, sa prise en charge holistique ne correspond peut-être plus tout à fait aux valeurs familiales d’aujourd’hui. Ajoutée au développement des transports, l’idée de dormir dans un dortoir et de se soumettre à une certaine discipline apparaît trop spartiate à la génération actuelle, qui a plus que naguère son mot à dire dans le choix des parents.» Pourtant, l’époque où l’on assimilait l’internat à une maison de correction est bien révolue, tout comme l’image de la messe obligatoire et des prières d’avant le repas, rituels dissociés depuis belle lurette du cadre scolaire. Loin aussi, le règlement de 1798 qui interdisait aux étudiants «de fréquenter les auberges ou maisons où l’on vend du vin». Dans le même registre, on citera enfin ce fait
divers qui ébranla l’institution en 1990: 13 internes âgés de 14 à 19 ans furent exclus pour avoir trafiqué et consommé de la drogue. Suprême humiliation, leurs noms furent placardés sur les murs avec le motif de leur expulsion.
Autre temps, autres moeurs. «Entre bienveillance et respect des règles du bien-vivre ensemble, notre mission consistait davantage à accompagner ces jeunes gens vers la meilleure des voies pour eux qu’à les éduquer», précise Antoine Salina, qui enseigne l’économie, l’allemand et la religion. Alors que les noms d’éminents professeurs religieux jalonnent l’histoire du plus ancien monastère d’Europe occidentale encore en activité (fondé en 515), ils ne sont plus que trois chanoines à dispenser des cours parmi la centaine d’enseignants. Car, à l’instar de son internat, la congrégation n’est pas non plus épargnée par la crise des vocations. Après avoir connu un essor important dans les années 1960 (144 chanoines), l’effectif est tombé à une trentaine. D’ailleurs, tous les internats religieux du pays, Ensiedeln (SZ) et Disentis (GR) en tête, ont soit profondément changé leur mode de fonctionnement, soit disparu. L’abbaye de Saint-Maurice faillit elle-même fermer sous l’occupation napoléonienne.
L’institution dut sa survie aux députés de la Diète, qui décidèrent de la sauver en 1806, en lui attribuant le statut de collège cantonal, le troisième après Sion et Brigue. Depuis, la qualité de son enseignement n’a jamais été démentie. En atteste la longue liste des anciens tenue avec rigueur par Patrick Progin, professeur de philosophie à la retraite. Y apparaissent pêle-mêle Pascal Couchepin, François Lachat, l’humoriste Stéphane Lambiel et le chanteur Pascal Rinaldi, les hommes d’affaires et de culture Bernard Nicod et Léonard Gianadda, le philosophe Jean Romain, Guy Mettan et François Gross, devenus patrons de presse, les écrivaines Noëlle Revaz et Anne-Lou Steininger, ainsi qu’une ribambelle de «sportifs» emmenés par Sepp Blatter, l’ancien président de la FIFA, la vocation sportive du gymnase faisant partie intégrante de sa réputation. C’est d’ailleurs lui, en 1906, qui fonda le premier club de football du canton, trois ans avant le FC Sion. Autre histoire… ●